28 juin 2013

La révolution dans ton cul



Vous me direz : qu’est-ce qu’un article de presse ? Que vaut le papier d’un journaliste ? La plupart du temps, pas grand-chose. On ne saurait s’appuyer sur cette manne de médiocrité pour se faire des idées, certes. Mais l’article que je propose ici n’est ni une référence, ni une caution de sérieux : c’est un modèle de naïveté qui rendrait son sujet amusant s’il n’était pas si tragique. L’avantage du naïf, c’est qu’il dit des vérités sans soupçonner ce qu’elles révèlent. Il ne s’en méfie pas, et pose donc les choses on ne peut plus clairement. Jetons donc un œil sur les lignes de ce poussif…

L’iranien moderne et sa femme vont donc pouvoir faire une révolution avec leurs culs : c’est toujours ça que les mollahs n’auront pas ! S’il faut croire ce journaliste sur parole, les iraniens entrent dans la modernité le pantalon sur les genoux. Bonne méthode : nous qui y sommes jusqu’au cou, nous savons que c’est la meilleure façon non seulement d’y entrer, mais d’y faire carrière. Mais que promettent ces spectaculaires changements ?

Pour le journaliste, ce n’est « ni positif, ni négatif ». Qu’on en juge : augmentation des divorces, des avortements, de la prostitution, de la prostitution masculine, perte du rôle des familles, baisse de la natalité. Ce que ne dit pas le neuneu, c’est que ces joyeusetés ne sont qu’un début. Nous pouvons sans peine imaginer la suite logique de cette modernisation ni positive ni négative : perte de l’autorité, rébellion des pré-adolescents, rejet des valeurs désuètes (respect, politesse, goût du savoir, traditions, etc.), individualisme, explosion de la criminalité et de la délinquance, érotisation de l’espace public, emprise de la pornographie, consommation de masse, Mc Donald’s, etc. Ni positif, ni négatif : moderne !

Évidemment, c’est de notoriété publique, une révolution ne saurait être négative. On ne sait pas vraiment pourquoi mais la société la plus bourgeoise de l’histoire humaine (la nôtre) passe son temps à rêver de révolution. Rêver pour éviter d’en faire. En parler pour en rester là. L’évoquer pour la conjurer, comme les enfants s’efforcent de faire du bruit quand ils rentrent de l’école la nuit tombée, en hiver, et que l’obscurité silencieuse est chargée de fantômes. Brrr ! On ne fait plus de révolution par chez nous, d’accord, mais on a le T.shirt du Che ! Et puis on s’enflamme pour la première manifestation de lycéens venue, comme s’il s’agissait du grand soir.



On a beau dire, le monde moderne a démocratisé la révolution, il l’a mise pour ainsi dire à portée de main. Le plus fainéant, le plus timoré d’entre nous peut toujours se rabattre sur une révolution à sa mesure. Chaque saison propose la sienne : la révolution numérique, la révolution du surgelé, la révolution des vols low cost, la révolution de la fibre optique, la révolution du gel fixant : nous passons d’une révolution à l’autre sans même prendre la peine de couper une tête. Bien sûr, les révolutions proposées sont des ersatz, on n’y retrouve plus l’authenticité des émeutes du temps jadis, ni les lynchages furieux qui leur donnaient cette patine rare. Mais à la qualité perdue répond la quantité : au nom de quoi refuserait-on à quiconque le droit à la révolution ?

Orgueil de la démocratie : l’égalité. Il ne saurait être question de réserver quoi que ce soit à un petit nombre. Le petit nombre, c’est le diable (sauf, bien sûr, quand le petit nombre est homosexuel – mais passons). Ainsi, l’éducation doit être « la plus large possible », la culture doit désormais être « pour tous », tandis que chacun à droit à la propriété, à manger de la viande, à partir en vacances au soleil, à cinq fruits et légumes par jour, etc. Dans tous ces cas, bien sûr, la jouissance égalitaire aurait de quoi se plaindre : l’éducation est certes « la plus large possible », mais elle n’éduque plus vraiment ; la culture est « pour tous », mais il s’agit surtout d’aller voir des concerts d’Olivia Ruiz. Et ne parlons pas de la qualité de la viande ! La révolution, c’est un peu pareil : les Iraniens la firent une bonne fois, il y a 35 ans. Maintenant qu’ils entrent dans la modernité, ils vont pouvoir la faire trois fois par semaine, mais avec des préservatifs.

5 commentaires:

  1. Excellent.
    T'as juste oublié la révolution des baisses de tarifs chez Free, ainsi que leur révolution de l'augmentation des problèmes techniques.

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    1. Et l'ADSL, et les minitels, et la "transparence"...

      Sinon, il faut que vous voyer ça, Beboper... "Liberté, Egalité, Ferrero Rocher":

      http://www.chocoladdict.fr/2012/10/liberte-egalite-mini-rocher/

      Of course, Manoeuvre est dans le coup!

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    2. Sinon, pour ceux qui s'imagienent que le rock est révolutionnaire: http://www.youmake.tv/video?id=7514

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  2. Comme souvent, très beau papier.

    Mais pourquoi tout ceci me fait penser à Pujadas et à France 2 ? Ah mais oui, à l'époque ou je le suivais encore, le Journal de France 2 commençait souvent par cette phrase: " Vous ne vous en doutez pas encore mais ceci (ou cela) est une véritable révolution..." Il s'agissait souvent d'une pub pour un gadget d'Apple ou d'un autre phénomène culturel festif venu des USA.

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  3. "Aucune révolution n'est assez révolutionnaire"

    Martin Heidegger

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