30 mai 2013

La punition des sociétés sans Dieu

Ce qui m’a le plus surpris, lorsqu’il y a quelques mois je racontais l’histoire d’un proche qui a reçu un objet tombé accidentellement d’une fenêtre, c’est la réaction des gens une fois rassurés sur l’issue sans gravité de l’incident. Leur première question était de savoir si la personne allait attaquer en justice

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« Tu vas porter plainte ? »

C’était si naturel, si immédiat chez tant de gens, que j’en suis arrivé à me demander si c’était pas moi qui faisais preuve de naïveté en ne pensant pas comme ça. Pour moi, on porte plainte contre une malveillance manifeste, quelqu’un qui a essayé de te faire du mal. Pour moi, plainte = culpabilité morale de quelqu’un. Mais si le mal tombe du ciel, si c’est accidentel, c’est la faute à personne, c’est « trop injuste » et c’est tant pis pour ta pomme. 

Or selon la logique de ces gens, il peut y avoir plainte dès lors qu’il y a préjudice. Puisqu’on peut obtenir réparation, il faut obtenir réparation : de la personne qui a fait tomber l’objet, de son assurance, du syndic de l’immeuble… On s’en fout ! Du moment que quelqu’un paye. 

C’est un réflexe qui n’était pas si répandu, je pense, il y a encore quelques décennies. Et derrière cet instinct, ne se trouve peut-être pas seulement le vil appât du gain, mais un besoin désespéré de mettre son malheur sur les épaules de quelqu’un, dans une société où Dieu ou le Hasard ne sont plus là pour ça. La disparition d’une engeance divine, la sécularisation de la vie, la laïcité des opinions, l’obsolescence du lien entre pouvoir et divin… entraînent la disparition de tout fatalisme. 

Tant qu’il y avait la Providence, les catastrophes avaient toujours un Responsable. Mais dans un monde où Dieu est mort, qui accuser ? Contre qui se retourner ? On est orphelin, seul face à l’idée angoissante de chaos et d’aléatoire - idée insupportable qui rend dingue le commun des mortels. 

« Vas-z-y tu m'as traité !? »

Dès lors, si l’on refuse le hasard et s’il n’est pas de Dieu (le hasard étant le Dieu des non-croyants), c’est ici-bas que doit nécessairement se trouver le coupable à désigner. Quelqu’un doit payer. C’est ainsi que McDonalds devient responsable d’un quidam qui se renverse un café brûlant sur les genoux, ou que l’on se met automatiquement à la recherche du « responsable politique qui n’a pas pris les mesures préventives qui s’imposaient » quand une canicule touche le pays…

Dans une société sans Dieu, rien ne peut être mis sur le dos du Destin, rien ne peut non plus être laissé au hasard. Dans une société sans Dieu, chaque situation entraîne des responsabilités, des droits et des devoirs que l’on consigne dans des codes civils. En échange, pour nous punir, Dieu nous envoie cette armée de gens qui s’avance lentement en toute impudeur : la génération des juristes, des plaignants, des ayant-droits, des clients qui réclament et des citoyens qui exigent sans plus de retenue. Voici l’un des enfers possibles.

17 commentaires:

  1. pas de fatalité sous l'égide de l'article 1384 alinéa 1 (responsabilité du fait des choses ; il faut une faute tout de même mais beaucoup d'exceptions).
    t'as le mouvement de judiciarisation de la société mais t'as aussi le conditionnement des productions cinématographiques et télévisuelles US hein (c'est comme pour : "vous m'avez pas lu mes droits" quand tu te fais serrer en France).

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    1. La gueule de l'abruti à 6 h 02 lors des rires en réponse a son "vous avez un mandat ?" est jubilatoire.
      A.g.

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    2. hehe, oui c'est bon ça. On connait mieux le droit pénal US que le code de procédure pénale français...

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  2. Une autre interprétation de ce réflexe du procès en France : la culture judiciaire made in USA véhiculée par la culture audiovisuelle.

    Elle témoigne surtout d'un manque flagrant de culture juridique française. En effet, nos tribunaux n'accorderont que des compensations symboliques, l'essentiel du préjudice étant pris en charge par les dispositifs d'assurances santé.

    C'est d'ailleurs la raison de la judiciarisation à l'américaine : sans système de protection sociale, la seule manière d'obtenir une prise en charge consiste à attaquer. Si ce n'est déjà fait, ne vous étonnez pas d'entendre parler prochainement de victimes de l'attentat de Boston traduisant la municipalité en justice, seul moyen pour eux de régler leurs factures médicales.

    Bref, Dieu est mort, l'assurance santé l'a tué.

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    1. En d’autres lieux, on m’opposait d’ailleurs que les US sont à la fois très portés sur la religion tout en étant le pays par excellence de « l’envie du pénal ». C’est en effet problématique et tend à prouver que ma thèse est de la connerie !

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    2. C'est le problème d'identifier la source du " tout pénal ". Est-ce le fruit de la mécanique du libéralisme politique (Michéa) ou est-ce le fruit de l'excès de démocratie (Muray) ? Où alors les deux à la fois ? Ou alors la problème se situe encore ailleurs ?

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    3. Responsabilisation individuelle, tout le contraire français + idéologie interventionniste au sens nécessité de résultat de l'action, puisé dans la morale religieuse.
      Aux usa les services de police et de justice ne sont pas comme en france utilisé selon la définition Grecque "d'administration de la vie de la cité" mais dans l'optique "law enforcement", l'application de la loi.
      Excellent et très juste article. Le "je veux déposer plainte !!" pour n'importe quoi est devenu un mantra d'assisté.
      A.g.

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    4. Ce n'est pas de la connerie, Xix. C'est juste qu'on est protestantisés en même temps qu'américanisés.

      Ne mettons pas toutes les religions dans le même sac: le protestantisme est la religion de la sortie de la religion, le premier pas vers le déisme, c'est à dire l'athéisme déguisé (Bossuet).

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    5. De Maistre pensait plus précisément au calvinisme comme esprit subversif des valeurs du catholicisme.

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    6. je reviens sur cet échange avec un peu de retard, je viens de tomber sur une définition de ce délire du "droit de tous à tout" qui me semble beaucoup plus complète et mieux définie que chez michéa ou muray :

      http://www.dailymotion.com/video/xzzdw0_conference-d-herve-juvin-d-une-crise-a-l-autre-vers-un-nouveau-monde-partie-1_news

      http://www.dailymotion.com/video/xzzvhf_conference-d-herve-juvin-d-une-crise-a-l-autre-vers-un-nouveau-monde_news

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  3. Bonne article et très juste.
    D'où le principe de précaution qui a poussé la clinique à faire accoucher ma cousine avec deux mois d'avance sous prétexte que le petit avait l'air bizarre sur les échographies. Ils ont mis l'enfant sous assistance respiratoire pendant deux semaines pour ne pas qu'il claque. En dehors d'être sorti trop tôt, l'enfant n'avait rien d'anormal à la base, se sont-ils rendus compte après.
    Ils avaient peurs du procès au cas où. Certainement l'habitude.
    Le principe de précaution est mis en place pour se protéger du judiciaire, et au-delà de la soi-disant nécessité, pour des raisons économiques.
    Le principe de précaution de journaux comme Closer ou Voici est d'avoir un "budget procès" pour se prémunir des mises en demeure des célébrités.

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    1. ça vaudrait limite le coup de leur faire un procès du coup, non ?

      plus sérieusement, la gestion de la grossesse est un truc qui relève plus de la sorcellerie que de la médecine, des choses deviennent tabous de manière aléatoire, on met en place des interdits alimentaires (susceptibles de changer de tout au tout d'une grossesse à l'autre et/ou d'un hôpital à l'autre), on trouve toujours un truc nécessitant des examens complémentaires et dont la découverte met la femme enceinte dans un état de stress nécessitant d'autres examens, augmentant à son tour le niveau de stress et provoquant d'autres examens etc. pour au final accoucher d'un gamin parfaitement normal dans 99.9% des cas (le 0.1% restant étant probablement lié aux médicaments inutiles administrés à la mère pendant la grossesse ou a des accouchements déclenchés avant terme etc.).

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    2. euh, c'est ta déduction ça qu'ils ont déclenché l'accouchement parce qu'ils avaient peur du procès Para.
      C'est pas un principe de précaution le budget procès de Voici et Closer : c'est un principe de fonctionnement. je veux dire que ça se pratiquait avant l'émergence du principe de précaution qui est plus à mon sens une manière de nous faire croire qu'on s'intéresse (ou qu'on peut avoir une action sur) aux questions de santé publique ou environnementales.

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    3. suis d'accord sur le commentaire concernant la grossesse. C'est d'ailleurs absolument pathétique de constater que sous leurs grands airs de spécialistes ayant mangé au self les derniers fruits de la connaissance, les médecins finalement n'y comprennent pas grand chose au grand miracle de la vie...

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    4. Oui, effectivement, je me suis égaré sur Voici et Closer.

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  4. « Quand l'homme cesse de croire en Dieu, ça n'est pas pour croire en rien mais pour croire à n'importe quoi. »
    G.K. Chesterton

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  5. Effectivement, c'est une mode très américaine, qui n'a pas lu l'histoire de la femme qui porte plainte contre McDo pour s'être cassé le fémur sur la flaque de soda qu'elle avait elle-même renversé, ou le mec qui attaque en justice un fabriquant de camping-cars parce qu'il n'avait pas précisé dans le manuel que se faire du café en conduisant était interdit...

    Au-delà de Dieu et de la société du Mammon-roi, je pense que c'est surtout le reflet de l'ultra-égalitarisme malsain qui règne actuellement, celui qui pousse des profs à dire aux parents d'enfants surdoués: "ouais mais s'il veut pas être frappé, il a qu'à écouter Sexion d'Assaut et jouer au jeu du foulard au lieu de se repasser du Vivaldi et d'étudier les insectes". L'idée, c'est que tout peut être compensé en petites coupures, même la pire beauferie.

    Comme on va pas demander au gogolito lambda d'être aussi intelligent que son voisin, ni à une mère d'élever ses enfants aussi bien que sa voisine, un petit procès fait l'affaire, même pour les motifs les plus absurdes.
    Et heureusement que l'existence de Dieu n'a pas été reconnue, sinon, vive les plaintes pour le mauvais temps ou la foudre qui déclenche des incendies... Après tout, si ma maison est inondée et qu'à 50 km c'est pas le cas, c'est une saloperie de discrimination anti-égalitaire.

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