8 août 2012

Les mauvaises pensées de Monsieur le Chien


Chose rare, ce qu’on remarque d’abord dans les BD du blog de Monsieur le Chien, à part le dessin, c’est l’excellent sort fait à l’orthographe, et à sa copine la grammaire. Le Chien est un classique, il parle comme il faut, c'est-à-dire en respectant suffisamment bien les règles pour obtenir le droit de s’en affranchir quand cela est nécessaire. On sent que contrairement à la quasi-totalité des auteurs de BD, il a lu aussi des livres ousqu’il n’y a pas d’images dedans.

Son humour repose autant sur l’efficacité de son trait que sur le décalage systématique entre l’image et son commentaire. Chose encore plus rare : dans cette veine, il arrive à ne pas s’épuiser. Son humour doit aussi beaucoup à une façon de ne pas rire des mêmes choses que tout le monde, surtout pas des mêmes choses que les auteurs de BD standard.

Le dessinateur de BD standard est un être généralement affreux, à la poitrine creuse à force d’être repliée sur un bureau, à la barbe systématiquement dégueulasse. Quand il est jeune, le dessinateur de BD est tatoué ou piercé. Aucune exception à ce déterminisme biologique n’a encore été officiellement constatée en France. Quand il est moins jeune, il s’arroge le droit de laisser ses cheveux poivre & sel pousser, filasses et raréfiés, jusqu’à la consécration : le catogan. Les dessinateurs à l’ancienne, façon E.P. Jacobs, portant cravate et chantant l’opéra, c’est fini.

Par essence, l’auteur de BD est un nerd, un maniaque capable de passer des centaines d’heures à gribouiller des choses tout seul dans son coin. L’évidence masturbatoire de son activité ne saurait du reste lui être reprochée : sans fignolage, sans polissage, sans travail de la main, rien de bien solide ne se fait. Soit. En revanche, cette abnégation à coups de paluche lui porte sur le jugement : à force de ne considérer les choses que par le petit bout (le sien), l’auteur de BD en vient à ne plus respecter que ce qui lui ressemble et « pense » comme lui. Pour l’aider dans cette ignoble voie, il dispose d’effigies repoussantes toute faites, qu’il utilise ad nauseam dans ses planches et dans sa vie privée : le beauf, le chasseur, le curé, le collabo, le père de famille, le lecteur du Figaro, l’aficionado, le macho, le flic, le militaire, le directeur d’école, l’opposant à l’avortement, le conservateur, l’épicier à blouse, le réac, etc. Ces affreux-là composent un bestiaire pratique qui dispense de réfléchir et permet, en plus, de se poser en s’y opposant, comme l’avait bien repéré Philippe Muray en son temps. Bestiaire méprisable, aux pensées immondes et pire, archaïques, qui forme un portrait inversé du gentil auteur de BD, homme de bien qui n’est qu’ouverture d’esprit et tolérance, amen. La figure ultime de cet indécrottable sûr-de-lui, c’est, bien sûr, Cabu : le monde peut changer, la Chine peut émerger, la pollution peut faire crever les sols, les glaces du Pôle peuvent fondre, le djihad peut embraser l’Afrique, la démographie peut s’affoler, la peste bubonique peut ravager Paris, les deux seuls dangers menaçant le monde selon Cabu, c’est le militarisme et le curé de campagne. Eh oui, l’auteur de BD ressemble à s’y méprendre à une autre icône du Bien : le chanteur de la Nouvelle Scène Française, mais en plus bête encore.

Il faut avoir jeté un œil sur les BD en vente dans les petits festivals, ces BD qui ne font pas la une des journaux spécialisés mais qui sont quand même passées par le filtre de l’édition, pour embrasser la torpeur intellectuelle qui touche la quasi totalité de ces cons-là. Ils n’évitent aucun cliché : en 2012, on ne sera pas surpris de la surpopulation nazie (et des néo nazie) dans les BD françaises, de la prolifération d’histoires lamentablement édifiantes sur les gentils et les méchants, de l’inquiétant désir d’Occupation que trahissent ces sempiternels ressassements, et du manichéisme comique qui règne à Débileland. Comme des Cabu insatiables, ils tartinent leurs chefs d’œuvres de dangers imaginaires, de terreurs passées dont ils ignorent tout, de courageuses dénonciations de crimes universellement connus, d’un prêchi-prêcha gauchisant qui range irrémédiablement la moitié du genre humain et la totalité de l’Histoire de France dans le camp du mal, comme on aligne les salauds contre un mur. Il est presque devenu inutile de lire une BD française : on sait ce qu’on y trouvera, et quel ordre y règne.

(Cliquez pour agrandir, tas de myopes)

Dans cette mare, Monsieur le Chien tranche d’une façon nette, quoiqu’il ne se spécialise pas non plus dans le propos politique. Simplement, en lisant ses BD, le lecteur averti constate très vite que les clichés en question ne s’y trouvent pas, que l’auteur n’essaye pas de se tailler un autoportrait en gloire en dénonçant avec audace les accords de Munich, la prise d’Alger ou celle de Jérusalem. La censure et l’autocensure nous ont amenés là : un juste sera désormais reconnu à ce qu’il ne dit pas, un brave aux lâchetés qu’il se refuse.

Le travail de Monsieur le Chien est (pour l’instant) essentiellement composé de choses drôles, distrayantes et très bien foutues. Mais le bonhomme est politique. Sa conscience est là, en parfaite opposition avec les valeurs grégaires de son milieu et son goût pour le lynchage. Et certains ont bien remarqué qu'au milieu de tous ses gags pour faire rire se trouvent de réelles attaques contre la bonne pensée, des piques contre ses pairs, si nombreux et si semblables, des propositions qui font tâche dans le bel unanimisme des promoteurs de la diversité.
A l’intérieur du business de la BD, le bougre est bien placé pour sentir la vague de dénigrement qui s’y répand sans obstacle : tout ce qui est français doit être sali, vu sous une lumière négative, et sans riposte possible. Dans une série de planches excellentes et déprimantes, mais que je recommande, il nous montre de façon très claire que la honte de soi gouverne ce monde-là, que le masochisme et l’irresponsabilité le disputent à l’ignorance, et que la mauvaise foi y pue librement de tous ses miasmes. Et comme un honnête homme égaré dans un monde incompréhensible, il se demande peut-être ce qui pousse un pays aussi admirable à se tremper dans la merde avec une telle ferveur.

15 commentaires:

  1. C'est putain de génial, mais c'est putain de déprimant aussi.
    En tout cas, merci pour la découverte.

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  2. Hé oui, il en va du dessinateur de B.D. comme de tout ce qui doit être sur le devant de la scène., Tu peux produire toute la merde que tu voudras , dans quelque domaine que ce soit , si tu veux avoir une chance de subsister , de surnager dans cet océan de dégueuli , il y a des épreuves auxquelles tu ne pourras pas échapper :
    Faut impérativement que l'on sache que tu as lu le journal d'Anne Frank , que la rafle du vel d'hiv n'est pas quelque chose d'inconnu pour toi et que tu n'emploie pas de Zyclon B comme du butane
    Faut impérativement faire le plus souvent possible allusion à l'esclavage , évidemment le seul et unique ,celui commis par le blanc , pas celui commis par les noirs entre eux , pas celui commis par les arabes (et qui est d'ailleurs toujours en vigueur )pas celui commis par les juifs , non , celui commis par cette race blanche que Dieu ( ou le big bang ) a eu le tort de mettre sur la terre et sans qui tout serait luxe calme et volupté !
    Faudra parler des skin head , du patronat , du FN , de l'islamophobie etc. etc. etc.
    Et là , si tu es jugé bon soldat tu pourras alors et alors seulement prétendre à te mettre à la table des rois ...
    et puis tiens, comme je sais que vous êtes de bons garçons , je vous offre cette délicieuse interview du grand Francis Lalane
    http://www.youtube.com/watch?v=h3iriVNJ4Yg&eurl=http://culturalgangbang.blogspot.com/

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  3. C'est bien vu de généraliser tous les auteurs BD en une seule effigie répugnante et analphabète, c'est tout a fait différent de ce que fait Cabu avec son bestiaire franchouillard, belle démonstration.

    Enfin, au moins ça dit du bien de Monsieur le Chien qui, effectivement, le mérite amplement. Cependant, ça aurait été sympa de parler plus de lui et moins de ses ignobles confrères.

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  4. Tiens, Maliki, le vrai ? Ce serait un honneur de vous vois poster ici.

    Non, le monde de la bd est bien moins pourri idéologiquement que certains milieux comme celui du cinéma ou de l'art. Il est beaucoup plus divers avec beaucoup d'auteurs, moyennement ou peu connus, qui font preuves d'esprit critique et de créativité dans leur discours. Les papis soixante-huitards se font vieux, ils ne pourront pas tout contrôler indéfiniment ...

    Mais c'est vrai que dans la bédé historique il faut faire patte blanche si on veut être publié, en témoigne les difficultés de l'excellent Stéphane Pêtre pour diffuser sa superbe épopée napoléonienne.

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  5. Monsieur le Chien est un grand homme, il mérite des statues.

    Des statues de pieds féminins, qu'on enverrait chez lui par la poste pour l'honorer, par exemple.

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  6. Je ne sais pas forcément quoi dire quand je lis votre site, (à part "continuez...") mais je vous conseille quand même ses notes sur la difficulté d'être considéré comme "dessinateur de droite" quand on a le malheur de ne pas bêler avec le troupeau... Antimilitarisme, pacifisme,multiculturalisme,(gauchisme?)... La société de consommation est décidément partout : voici venu le temps du prêt à penser...

    http://www.monsieur-le-chien.fr/index.php?planche=530

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  7. MALIKI, je suis navré de vous avoir frustré sur ce coup : j'ai aussi le sentiment d'avoir peu parlé de Monsieur le Chien dans cet article... pas autant que j'aurais pu le faire si j'avais voulu faire une analyse solide etc. Là, je voulais plutôt attirer l'attention de quelques lecteurs sur son travail, car il le mérite amplement. Enfin, baste. Si ça vous a donné le goût d'aller y voir par vous même, c'est bien.

    Je suis également navré que vous n'ayez pas goûté le ton ironique et le parti pris de rigolade dans mon "portrait" des auteurs de BD. Bien maitrisée, la mauvaise foi peut devenir constitutive d'un style, hé oui...

    Quant à comparer mes clichés avec ceux de Cabu, je n'aurai qu'une réponse : prenez des vacances et restez au calme, vous en avez besoin.

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  8. Les Roms pour les nuls !

    http://m.youtube.com/index?desktop_uri=%2F%3Fgl%3DFR%26hl%3Dfr&hl=fr&gl=FR#/watch?v=QaQLg_Jqam8

    Sujet très à la mode en ce moment .

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  9. kobus van cleef10 août 2012 à 22:20

    ha moive je l'aime bien môssieur le chiengue
    je le suis depuis ses débuts
    mes gamins m'ont offert didier barcco pour la teuf des reups
    j'ai même converti leur mère

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  10. Enfin, au moins ça dit du bien de Monsieur le Chien qui, effectivement, le mérite amplement. Cependant, ça aurait été sympa de parler plus de lui et moins de ses ignobles confrères. Les Roms pour les nuls !

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  11. dans la Bd française, il y a quand même le fantastique Ultimex, sorte de Patrick Bateman à tête d'oeil, ça envoie du bois, je vous le conseille. Sinon y'à le blog "panique à Beverly Hills", pour les amateurs d'humour ultra crado.

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  12. Mmmm on aurait préféré lire plus de compliments sur l'auteur et moins de clichés sur les dessinateurs. Dénoncer la caricature en s'y vautrant... Bouef.
    Je vous laisse, il faut que j'aille me branler sur internet en relisant Tardi et n chantant l'international, comme tous les auteurs de bd (vous avez bien fait de ne pas parler des femmes auteurs de bd : elles n'existent pas)... Tout en comptant les sous que je volent aux auteurs, comme tout editeur digne de ce nom...

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  13. WANDRILLE, je ne t'en veux pas d'avoir l'humour sélectif : moi aussi, si j'étais dessinateur et éditeur de BD, je n'aimerais pas qu'un con vienne rigoler de ma corpo. Normal.
    Quant à la caricature, je sais que ce n'est pas ton genre, et je m'en veux (tu peux pas savoir) de m'y être vautré. Je ne recommencerai plus, ou alors sur des sujets qui le méritent bien (les opposants au mariage homo, par exemple).

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  14. Ben c'est juste que j'en connais pas des gens comme tu décris, mais ça doit être par esprit corporatiste, surement.

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  15. Pas mal, je me suis bien marré ^^
    Sur le coup j'avais cru que c'était du premier degré, que ces gens pensaient vraiment que les auteurs étaient des incultes, alors qu'ils passent tous généralement par L, voir écrivent aussi des romans, comme le génial Gaiman.

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