21 décembre 2011

Jubilance !

Une grande œuvre d’art est comme un arbre, la durée de sa vie dépasse de très loin ce qui est donné à l’homme. Au détour d’un chemin, le regard attiré vers un coin bizarrement éclairé, vous découvrez un couple de châtaigniers trapus, hérissés de ramures anarchiques, à moitié couverts de mousse. Deux monstres caparaçonnés qui sèment des quintaux de fruits ronds et brillants pour les biches, les sangliers de passage. Vous vous arrêtez : pour vous, c’est une découverte, et pourtant, ces deux-là sont plusieurs fois centenaires. D’autres les ont bien connus. Autrefois, il bordaient une propriété et servaient de bornes. Puis on les a un peu oubliés, ils ont continué de vivre trop loin des routes.

Une belle œuvre d’art, c’est pareil : elle donne sa beauté aux nouvelles générations avec la générosité d’une adolescente. Un siècle après sa naissance, on la découvre toujours aussi fraîche, telle (presque) que les anciens la virent. On peut l’avoir oubliée, elle demeure là, prête à séduire l’œil neuf. Ne vieillit-elle pas ? Si, en surface. Elle continue de vivre, de nous surprendre, de nous intriguer, alors que tout a été dit sur elle. C’est l’avantage d’être jeune : on découvre réellement et au sens propre ce que tout le monde connaît déjà.

- Quoi de neuf ?
- Molière !
C’est de Sacha Guitry, qui s’y connaissait en œuvres.

Hellzapoppin’ est une comédie musicale sortie en 1941. Il y a donc une éternité. Elle fut célèbre en son temps mais, le genre de la comédie musicale hollywoodienne ayant à peu près disparu aujourd'hui, la plupart des trentenaires n’en ont même jamais entendu parler. Introduisons donc la plus spectaculaire de ses scènes.
Slam Stewart et Slim Gaillard formaient un duo de musiciens comiques, mais tout à fait éminents par ailleurs, depuis quelques années déjà : Slim and Slam. Ce sont eux qui démarrent la scène jubilatoire que voilà. J’en entends déjà s'exclamer mouarf ! encore du vieux jazz moisi ! Qu’ils patientent un peu, ces sourds, et voient l’explosion finale de la scène… Qu’ils apprécient ce que l’humanité perdra, quelques années plus tard, avec l’apparition du triste rock’n roll, et comment les plus énergiques de ses prétentions semblent lourdes et pépères comparées aux bonds joyeux des Harlem Congeroos ! Voyez, regards neufs, ce jazz qui se dansait encore, voyez voltiger ces Noirs hilares et ces Négresses splendides ! Laissez-vous gagner par la Jubilance ! Ha, on est loin de la New wave anglaise !...
Paradoxe que les futurs historiens de l’art ne comprendront pas plus que nous : pendant un conflit mondial, dans un pays qui pratiquait la ségrégation raciale (le film l’illustre ici et là) et qui sortait d’une crise économique désastreuse, l’expression populaire de la classe la plus dominée, ce fut ça, le swing absolu, la joie !

Enjoy !

13 commentaires:

  1. Slim et slam étaient déjà en avance sur maintenant en 1930 !

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  2. Quelque chose s'est perdu en route. L'entertainment aujourd'hui est tellement formaté qu'il nous oblige presque à faire la distinction entre art et spectacle.
    Les oeuvres grand-public d'avant donnent l'impression d'une plus grande liberté créative et sont surtout d'une bien meilleure qualité générale.
    On considérait moins le spectacle comme un produit, et il était envisagé principalement du point de vue de sa fonction sociale et culturelle, même si le côté industriel existait déjà et que les élites savaient l'exploiter.
    Bref on prenait un peu moins les gens pour des cons mais après tout c'est bien ce qu'on est devenus, des cons...

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  3. Beboper, votre oeil est-il neuf au point d'ignorer la fonction d'exutoire du blues et du jazz dans ces années là ? Ce que vous tenez pour un paradoxe incompréhensible est en réalité assez clair, non ?

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  4. Amusant. Aujourd'hui, ils danseraient le zouk ou le hip-hop, mais le principe est le même : un rien les amuse malgré leur condition servile.

    Ceci dit, Hellzapoppin est un véritable joyau qui repassait encore régulièrement dans les cinémas du quartier latin à Paris il y a une 15aine d'années.

    Mais le jazz... c'est à mon sens une musique insupportablement datée, qui est d'ailleurs morte et enterrée depuis belle lurette et dont une bourgeoisie vaguement intellectuelle s'obstine à faire s'agiter le fantôme en allant s'ennuyer à Montreux ou Juan-les-Pins, et ce pour des tarifs inaccessibles au commun des mortels.

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  5. Il faudra qu'un jour je réunisse dans un stade des gens qui n'aiment pas le jazz, ou pour qui c'est une musique "insupportablement datée", et que je leur explique comment on va les rééduquer.
    La première des leçon (ponctuée de coups de fouet, mais c'est à vertu uniquement pédagogique - les bourreaux n'y prendront AUCUN PLAISIR) sera de les forcer à choisir des arguments défendables, par exemple à ne pas parler de musique "datée" puisque personne ne conteste que toute chose soit "datée", et que l’argument ne vaut donc rien. Couperin, Haendel, Varese, Mick Jaegger et la cathédrale de Chartres sont "datés" : oui, et alors?

    La seconde leçon (ponctuée de giflage arythmique - effet de surprise persistant) portera sur l'effort que tout critique doit produire pour distinguer l'art critiqué en lui-même des conditions de son exposition. Plus précisément, si les toiles de grands maîtres ou le jazz n’intéressent plus que certains membres des classes moyennes, voire des classes moyennes « intello », le critique devra apprendre à ne pas faire passer cet épiphénomène AVANT la critique de l’art lui-même. Ce n’est pas parce que les opéras de Puccini sont vus par telle ou telle classe sociale qu’ils ont plus ou moins de valeur, ou c’est ne rien comprendre à l’art. On expliquera même, entre deux calottes, que s’attacher à ne voir que l’aspect sociologique des « pratiques culturelles » de préférence aux considérations réellement artistiques, dénote à la fois d’un mépris de l’art en lui-même et d’un déplorable ressentiment social.
    La troisième leçon (avant la déportation en Patagonie) sera purement altruiste et comporte un aspect sexuel qu’il vaut mieux ne pas trop évoquer à l’avance, de crainte que des coupables imaginaires ne se dénoncent pour profiter indûment de l’aubaine.
    Ceci dit très amicalement, Rosco…

    Manon, ce qui ne me semble pas très clair, justement, c’est que la tradition du blues, qu’on aurait pu attendre en ces périodes difficiles, fût balayée par une musique toujours plus gaie, aux arrangements toujours plus subtils, aux tempos toujours plus rapides, pour culminer avec le bop. Mais bien sûr, être joyeux quand tout va mal est une grande habitude de l’homme. C’est surtout en comparaison des tristes jérémiades que produit un peu partout notre XXIème siècle que je remarquais le paradoxe…

    Anonyme, je crois que l’immense différence qu’on constate en comparant les musiques populaires des débuts du XXème siècle et celles d’aujourd’hui, c’est que les anciens n’avaient pas encore inventé la musique que "tout le monde peut faire". Ça a réellement commencé avec le rock, puis le reste a suivi. Pas besoin d’une initiation bien longue pour faire un rock’n roll sur trois accords simples, ni une chanson de The cure, ni un rap qui cartonne. C’est d’ailleurs ce qui donne sa valeur à ces musiques-là, mais évidemment, ça sonne assez souvent comme de la merde. C’en est, d’ailleurs. Pas toujours.
    C’est comme la télé-réalité ou les petites vidéos sur Youtube : c’est un genre de fiction que "tout le monde peut faire". La musique populaire en est là.

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  6. Ça les merdeux, quand on veut s'aligner avec BeBoper, poids mi-lourd de la rhétorique, y vaut mieux s’échauffer. TKO, comme on dit en boxe. En même pas une reprise. Bonne nuit a toutes.

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  7. Anonyme (le même que celui du 21 décembre 2011 11:04)22 décembre 2011 à 12:18

    Assez d'accord avec vous dans l'ensemble mais la musique que "tout le monde peut faire" existait bien avant la naissance du rock. Les chants populaires par exemple, qu'ils soient de travail ou festifs, ont toujours existé. On ne saurait minimiser l'influence de la musique traditionnelle sur l'évolution de la musique dite savante du début du XXème siècle (Bartok, Tchaïkovski...).
    Vous constatez avec justesse une dégradation dans les années ou est né le rock, mais votre critique ne peut pas se limiter à un aspect purement technique (trois accords simples). Bien avant la naissance du rock, les cadences I IV V du blues et II V I du jazz, comme leur nom l'indique, s'articulaient également autour de trois accords... Mais combien de milliers de mélodies différentes possibles !
    Non, ce qu'il faut blâmer, c'est moins une vision simpliste (mais parfois salutaire) de la musique que ce qu'en a fait la société du spectacle dans ces années où son industrie a explosé. Sa chute actuelle sera peut-être l'occasion d'avoir un rapport plus sain à la pratique musicale, même si nous ne verrons peut-être pas ça de notre vivant.

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  8. Ne faites pas semblant de ne pas savoir ce que veux dire que "quelque chose est daté" en prenant l'expression au pied de la lettre, ça fait grosse ficelle d'étudiant en philo.

    Ceci dit, je comprends qu'on aime le jazz, même si ce n'est pas mon cas (et ce n'est pas faute d'en avoir écouté), mais vous-même parlez du "jazz qui se dansait encore" sur un ton que je crois être nostalgique, et vous admettez ainsi implicitement que le jazz n'est plus ce qu'il était.

    La vérité, c'est que le jazz est devenu totalement académique et vidé de sa sève (Stefano di Batista, ça vous dit quelque chose ?). Son age d'or est derrière lui, et il ne renaîtra plus de ses cendres.

    Miles Davis a poussé l'expérience jusqu'au bout et est clairement sorti du jazz sur la fin (dans les 70's). C'est un peu triste de le voir recycler ses vieux trucs à partir des années 80, mais il fallait bien plaire au public qui demandait de l'académique.

    Bon, pour finir, un peu d'authenticité dans ce monde d'entertainment :
    http://www.youtube.com/watch?v=rNY3_00p180

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  9. Tuuutafé ! anonyme du 21 décembre, la musique populaire fut simple bien avant le rock ! Seulement, le rock est le mariage ultra efficace de la simplicité et de l'industrie, ce que le blues ne fut pas. C'était en ce sens que je mettais le rock en modèle initial des musiques "simples" qu'on a vues après lui.

    Ceci dit, prendre la structure-type de bien des morceaux et en déduire qu'il s'agit de simplicité, c'est aller un peu vite. Les cadences existent dans toutes les musiques, y compris les musiques savantes et sophistiquées. Le truc ne se situe pas vraiment là, mais plutôt dans la richesse harmonique, très terre à terre dans le rock, for example.

    Sinon, Rosco, oui, Stefano di Battista me dit qq chose...(?) Et vous avez bien vu que je suis nostalgique de ce jazz qui se dansait encore. C'est particulièrement vrai en Europe, où nous écoutons le jazz dans une atmosphère de recueillement (sans doute ce qui vous énerve et fait "intello") alors que les Ricains, même aujourd'hui, sont beaucoup plus bonhomme sur ce point. Le jazz, pour eux, c'est encore souvent une musique populaire, et ça ne s'écoute pas à genoux.

    Maintenant, la décadence du jazz, sa mort et tout ça, j'avoue que ça ne m'intéresse pas, j'ai trop peur de dire des bêtises en abordant ce genre de sujet. Je crois simplement qu'il faut se méfier de la tendance à ne considérer que l'innovation et l'avant-garde en art, en méprisant tout le reste. Travers moderne.

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  10. Le corollaire vicieux de penser que les grandes œuvres ne vieillissent pas et que leur suc nous reste accessible malgré les années, c'est de s'imaginer que tout ce qu'on voit de vieux et que, de surcroît, on comprend est une grande oeuvre.

    Mais sinon ouais.

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  11. "le critique devra apprendre à ne pas faire passer cet épiphénomène AVANT la critique de l’art lui-même. Ce n’est pas parce que les opéras de Puccini sont vus par telle ou telle classe sociale qu’ils ont plus ou moins de valeur, ou c’est ne rien comprendre à l’art. On expliquera même, entre deux calottes, que s’attacher à ne voir que l’aspect sociologique des « pratiques culturelles » de préférence aux considérations réellement artistiques, dénote à la fois d’un mépris de l’art en lui-même et d’un déplorable ressentiment social."

    "Pas besoin d’une initiation bien longue pour faire un rock’n roll sur trois accords simples, ni une chanson de The cure, ni un rap qui cartonne. C’est d’ailleurs ce qui donne sa valeur à ces musiques-là, mais évidemment, ça sonne assez souvent comme de la merde. C’en est, d’ailleurs. Pas toujours."

    "Seulement, le rock est le mariage ultra efficace de la simplicité et de l'industrie, ce que le blues ne fut pas."


    Donc c'est mal de signaler que c'est surtout des bobos péteux qui se masturbent sur le jazz, mais il est de bon ton de dire que les origines du rock en font intrinsèquement de la merde.

    Le jazz me fait chier, c'est de la musique de vioque. Mais du peu que je connais, j'y trouve malgré tout du bon. Dans le rock y'a beaucoup de merde, mais il y a aussi de la nouveauté musicale, une créativité qui s'exprime sous une nouvelle forme. Peut-être même une créativité nouvelle.

    Je suis persuadé que les grands compositeurs du passé, loin de conchier en bloc les musiques de la deuxième moitié du XXe siècle, n'auraient pas trouvé le repos avant d'avoir écouter toute cette musique à eux inconnue, épuisé le répertoire existant, compris les principes de composition, et découvert les sonorités nouvelles.

    Toutes ces nouvelles musiques ne nient pas l'ancien, elles le complètent. Notre époque conserve comme jamais il n'a été possible de conserver, et avec ses productions propres, quelle qu'en puisse être la qualité estimée, loin de remplacer, elle empile. On en revient peut-être au nain sur les épaules d'un géant, mais il n'empêche que l'on voit plus loin.

    Quand on refuse d'entendre, on entend pas. Quand on se refuse à comprendre, on ne comprend pas.
    Même The Cure.

    http://www.youtube.com/watch?v=bZoYzne9Tpg

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  12. Gottfried, je ne crois pas trop aux gens qui "refusent de comprendre", comme tu le dis en fin de commentaire. En revanche, je crois fermement à ceux qui en sont incapables. La plupart du temps, les gens sont incapables de comprendre parce qu'ils sont aveuglés par le sens qu'ils ont donné à ceci ou cela, et qu'ils ne voient plus TOUS les autres sens qui leur échappent. Convaincus d'avoir pigé, ils en tirent leurs propres conclusions (souvent erronées)et n'en démordent plus : ils sont dans la situation d'être incapables de rien comprendre d'autre.
    je crois aussi qu'une bonne explication peut venir à bout de tout, c'est mon côté optimiste.

    Ainsi, je n'ai jamais écrit nulle part qu'il est "de bon ton" d'aimer le jazz, je dis même implicitement le contraire : ce n'est pas parce que le jazz serait devenu la musique préférée d'une bande de péteux (affirmation qui me surprend mais qui était avancée ici en commentaire), ce n'est donc pas parce que certains connards trouverait ça de "bon ton" qu'il faudrait prendre le contrepied. Aimer le jazz pour lui même, c'est à dire une musique, et non une "pratique culturelle-de-mes-deux". Et en tous cas, on ne peut pas juger de la valeur d'une musique (ou d'autre chose) en fonction de QUI l'écoute ou le pratique. Le bon ton n'a donc rien à voir là-dedans : si tu me dis que tu n'aimes pas le jazz parce que ça t'écorche les oreilles (par exemple), je dis OK. En revanche, si tu me dis que le jazz t'emmerde parce que ceux qui l'écoutent sont des trous du cul, je te dis de ne pas prendre part à un échange sur la musique et d'aller te faire soigner.

    Ensuite, il me semble avoir écrit que la simplicité du rock, du rap ou de The Cure est ce qui donne une grande part de leur valeur : c'est parce qu'elles peuvent être faites par "tout le monde", sans initiation longue et complexe, que ces musiques sont intéressantes. C'est à dire qu'elles peuvent échapper aux spécialistes et laisser s'exprimer ceux qui ne le sont pas, ou presque pas. Socialement intéressantes, donc, et même musicalement intéressantes, comme quand tu arrives à faire plein de recettes de gâteaux avec 3 ou 4 ingrédients. C'est pas de la grande cuisine, mais bordel, c'est bon. (certains prétendent qu'il n'y a ni grande musique, ni grande cuisine, ni rien de grand, ni rien de petit, ni rien de complexe, ni rien de simple : laissons-les jouer avec leur caca)

    Le problème, c'est que dès qu'on dit que le rock (ou The Cure) est simple, ça blesse l'orgueil des amateurs du genre, qui voudraient sans doute (inconsciemment) pouvoir jouer un rock en trois semaines ET qu'en plus ce soit considéré comme "difficile...
    Alors je pose une question : un morceau composé uniquement de deux accords (Do majeur, Fa majeur) peut-il être considéré comme simple? je ne dis pas "beau", "planant", "speed", "trop bien", "ça me rappelle Stéphanie", non : je dis "simple". Il est FORT PROBABLE que la plupart des humains sur cette terre répondront OUI à cette question directe. Eh bien, dans ce cas, le morceau de The Cure que tu as mis en lien est un morceau simple. Voilà. Do + Fa. C'est tout. Il te plaît, ce morceau ? Tant mieux, soit heureux en l'écoutant, je n'y vois rien à redire (c'est clair, ça?). Mais fais pas chier le cosmos en voulant le comparer à Giant Step((http://www.youtube.com/watch?v=30FTr6G53VU) ou le concerto pour 2 violons de Bach (http://www.youtube.com/watch?v=N01nBgRRwlA) cette musique de vioques!

    Quant à savoir ce que les grands compositeurs du passé auraient fait à l'heure de Britney S'pire, tu as ta version, j'ai la mienne : ils se seraient flingués.

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  13. @BEBOPER

    Que je sache, les Noirs qui ont inventé le jazz n'avaient pas beaucoup plus de formation musicale que la jeunesse d'aujourd'hui. Les instruments étaient probablement plus techniques à maîtriser que la pauvre guitare électrique made in Korea à 100 balles, certes, cependant, à ma connaissance, une bonne partie du jazz est le fait d'individus d'extraction modeste ou moyenne, n'ayant pas fréquenté pour se former ni grandes écoles ni grands maîtres, parfois même pas de conservatoire. Et hormis aux génies, il ne suffit pas de trois semaines pour faire du rock convenablement. Le travail technique est certes moindre, ainsi que l'investissement financier relativement au niveau de vie, cependant il n'y a rien de facile à faire de nos jours une musique de qualité (qu'on s'entende bien: Skyrock et NRJ n'en sont pas l'étalon).

    Personnellement, je trouve ce "Giant Step" particulièrement chiant, l'archétype du jazz chiant pour ainsi dire. Je n'ai pas la moindre notion de solfège. Quand j'écoute la 9e Symphonie de Beethoven, j'entends la composition comme on voit les proportions d'un temple grec. Quand j'entends le Misere d'Allegri, je tombe à genou. Quand j'entends ce morceau de Coltrane, je me dis qu'un môme a cherché à remixer une musique d'ascenseur.

    Pour moi, la musique est très loin de se résumer à une partition, surtout depuis l'emploi de l'électronique pour la production, l'enregistrement, et la restitution du son. Ce serait amusant d'appliquer le même traitement à ce morceau de Coltrane que celui qui est utilisé dans du black metal. Tu ne le reconnaîtrait plus, du moins plus ce que tu apprécies dedans. De même, que le morceau des Cure que j'ai mis soit joué en acoustique pur (est-ce seulement possible?), et il en resterait peau d'zob.

    La deuxième moitié du XXe siècle a créé une musique, ou tout au moins apporté des éléments, qui pulvérisent la notation traditionnelle. Déjà le papier rend mal la grandeur d'une interprétation classique réussie, alors a fortiori une musique où la note n'est plus qu'un support à l'élaboration de sonorités beaucoup plus complexes. Ce n'est pas la puissance de la composition qui m'attire dans ce morceau des Cure, mais la qualité de l'atmosphère. Ca ne peut figurer sur aucune partition. C'est même difficilement descriptible avec des mots.

    Cette seule découverte donnerait aux grands génie musicaux d'autrefois une ressource entre leurs mains infinie.

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