12 décembre 2011

Jean-Louis Murat dit du pas bien

Edit : Murat chez Taddéi


Interview du 9 décembre sur Le Point.fr

Jean-Louis Murat travaille comme les paysans dont il célèbre l'existence. D'abord il compose, retiré dans les monts d'Auvergne, puis il enregistre, puis il joue, puis il se terre à nouveau pour reprendre le cycle de sa vie d'artiste. C'est méticuleux, régulier, et toujours talentueux, comme il le prouve avec son dernier album, un petit bijou d'écriture et de mélodie baptisé Grand Lièvre (1). Jean-Louis Murat, un homme rare, mais disert.

Le Point.fr : Vous vous tenez en marge du système. Pourquoi refuser de participer aux opérations caritatives, comme Les Enfoirés ?
Jean-Louis Murat : Je trouve ce système dégoûtant. Les jolis coeurs, les plus-généreux-que-moi-tu-meurs, je n'y crois pas du tout. Tous ces artistes sont des monstres d'égoïsme. La vraie générosité, elle est silencieuse. Tu fais, mais tu fermes ta gueule. Ça ne doit pas devenir un élément de promotion.

Les artistes qui y participent n'ont aucune volonté d'aider une cause, selon vous ?
Non, ils font de la promo. N'importe quelle maison de disque te dira que la meilleure émission de variétés, c'est "Les Enfoirés", et qu'il serait bien d'y être. Tout est dit.

Même pas un soupçon d'altruisme ?...
Moi, toutes ces qualités-là, l'altruisme, le machin, je m'en bats les c... Ces hommes de gauche patentés, je connais leur mode de fonctionnement. Le plus grand des jolis coeurs, Renaud, je l'ai vu faire un truc qui te conduit normalement en prison. Il est devenu mon ennemi de base, même si on ne tire pas sur une ambulance. J'ai vu aussi des hérauts de la gauche jouer au poker une petite nana perdue, une nana de 16 ou 17 ans. "Elle est pour toi ou elle est pour moi ?" Je les ai vus faire ça, ces mecs qui hurlent à la mocheté du monde dès qu'un chien se fait écraser. Dans le business, c'est pire. C'est un milieu où il faut se taire. Ils ne peuvent pas me supporter, je le leur rends bien. Je n'ai pas d'amis là-dedans.

C'est pourquoi vous avez choisi de vivre et travailler en Auvergne ?
Oui. Je ne suis jamais arrivé à me faire à ce milieu. Au début, j'avais un appartement à Paris, parfois je me mélangeais un peu, mais c'était une catastrophe. Je me souviens d'une fois où j'ai mangé avec le patron d'une maison de disque et sa grande vedette. Je n'ai pas passé l'entrée. Je leur ai dit : "Je n'ai rien à voir avec vous, je vous emmerde, au revoir, je me casse."

Vous dénoncez aussi l'engagement politique des artistes.
C'est le triomphe de l'hypocrisie. Les chanteurs se mettent toujours du côté du manche. La vie d'artiste est beaucoup plus confortable si tu es vaguement contre. Ils essaient de se placer sous une sorte de lumière marxiste. Ils disent : Je suis un rebelle, je suis socialiste. Tous les cons font ça.

Tous ne sont pas de gauche !
Non. Tu peux aussi faire une carrière de lèche-cul à la Souchon. C'est le plus grand stratège de la chanson française. Il est passé de Pompidou à Sarkozy sans broncher. C'est un centriste, si on veut. Souchon, c'est le Lecanuet de la chanson, ou alors, pour être plus moderne, c'est le Bayrou de la chanson. Un exemple à suivre si on veut vendre des disques.

Vous ne vous reconnaissez dans aucun parti ?
Je n'ai jamais été de gauche une seule minute dans ma vie, mais je n'ai jamais été de droite non plus. L'engagement, c'est différent, c'est le pont plus loin. Si tu t'engages, tu dois faire abstraction du fait de savoir si tu es de droite ou de gauche. Ou alors il faut faire de la politique comme Flaubert, c'est-à-dire déceler la connerie, sortir le détecteur. C'est un spectacle tellement ridicule qu'il faut jeter un regard neuf dessus. On aurait besoin de Blake Edwards pour mettre en scène la clownerie de l'accord passé ces derniers jours entre les Verts et le PS, par exemple !

L'artiste n'a rien à dire politiquement ?
Mais quelle est la valeur de l'artiste dans la société ? Qu'est-ce que c'est que ces petits chanteurs de variétés qui font des trucs à la con de trois minutes avant de disparaître, et qui d'un seul coup ont des consciences de Prix Nobel de la paix ? Ça n'est pas sérieux.

Vous faites malgré tout des choix politiques, comme tout le monde...
Idéologiquement, j'aime beaucoup Léon Bloy, Bernanos. Ils ont une façon de penser dans laquelle je me retrouve. Ce sont des pré-communistes, des pro-chrétiens. Si je doute de quelque chose, il suffit de quelques pages de Bernanos, ça me remet à cheval ! Mais ce n'est pas tellement de la politique, c'est plutôt une façon d'envisager la vie et l'individu.

Donc, vous ne vous engagerez pas pour une cause ?
Jamais. L'idéologie chez les artistes, c'est une funeste blague. Ce qu'ils portent vraiment, c'est dans leurs chansons et leur comportement.

Et vous, pourquoi faites-vous des chansons ?
Pour moi. Si elles rencontrent des gens, très bien. Mais je n'ai jamais pensé à quelqu'un d'autre que moi en écrivant une chanson. Même dans la chanson populaire, même Bruant, même Pierre Perret, ils pensent d'abord à leur gueule.

C'est de l'égocentrisme !
Non, c'est la nature des choses. Je ne pense pas qu'un artiste puisse amener quoi que ce soit. Je pense que les enjeux sont ailleurs. Ils sont à l'extrême intérieur, dans le saint des saints de chacun. La seule idée que j'aimerais faire passer, c'est que chacun a en soi une énergie quasi infinie.

C'est ce que vous démontrez sur scène, où vous semblez comme possédé ?
Sur scène, je vais dans une sorte de château-fort intérieur. S'il y a quelque chose qui peut être exemplaire chez l'artiste, c'est ce chemin sportif qui mène vers ce "Fort-Boyard" dans lequel je me mets sur scène. Ce chemin a du sens. Un concert, c'est un meeting d'athlétisme. Je ne l'envisage que comme ça. Je fais un disque tous les ans parce que je défends une idée quasi héroïque de l'énergie. Je peux regarder quinze fois un sprint d'Usain Bolt, et ça me sert pour écrire mes chansons. Je suis dans quelque chose de primitif, d'où vient l'énergie, le feu sacré.

En revanche, vous ne parlez pas pendant un concert. Les spectateurs ont l'impression que vous les méprisez...
Je ne dis plus rien parce que tout le monde filme. Cinq minutes après, tu te retrouves sur Internet. Pourtant, j'ai eu des moments très spectaculaires. Le lundi qui suit la défaite de Jospin en avril 2002, par exemple, je suis en concert à la Cigale. J'attaque par une blague où je dis : 80 ans de communisme, 80 millions de morts, on est bien débarrassé ! Silence de cathédrale dans la salle. Le public ne supporte pas ce genre de truc ! En fait, j'aime beaucoup déclencher le rire jaune, j'aime bien aller à la limite. Il faut être créatif.

Qui sont vos héros personnels ?
Les sportifs, comme Usain Bolt ; peu d'artistes, ou alors des morts. J'aime Proust, par exemple. En musique, j'en ai très peu. J'aime bien les gagnants, mais aussi les losers. Je trouve qu'il y a une abnégation incroyable chez Van Morrison, chez Tony Joe White, chez JJ Cale. Ils ne sont jamais arrivés en haut mais ils s'en foutent, ils rament !

Ils ont cette fameuse énergie, ce feu sacré ?
Voilà ! J'aime aussi les gens qui, comme Bernanos, vont vers le surnaturel ou le mysticisme. Hector, Achille, Léon Bloy, Bahamontès et Usain Bolt, c'est un mélange de tout ça. Mais j'aime pas les lopettes, ce qui semble être la particularité du monde politique : fabricant de lopettes. Même Proust pouvait provoquer quelqu'un en duel et aller au coin du bois. Dans le monde politique d'aujourd'hui, pas un seul serait capable de le faire !

L'une de vos chansons, sur votre dernier album, proclame ceci : "Dans ce monde moderne je ne suis pas chez moi". Vous êtes misanthrope ?
Je dis ensuite : "Merci pour tant de peine, mais je ne t'aime pas." C'est ce que je pense vraiment. C'est même vicieux, puisque ça me plaît assez qu'on ne m'aime pas. Être une vedette dans ce monde pourri, je n'apprécierais pas tellement ! C'est plutôt un honneur d'être détesté. Mais je ne suis pas suicidaire. Je suis un mec simple. Je garde les valeurs paysannes : se lever tôt, travailler. Et ce que les autres en pensent, à vrai dire, on s'en fout.

19 commentaires:

  1. Intéressant.
    En plus j'ai un album que j'aime vraiment bien de ce gars là: le moujik et sa femme.

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  2. Sans commentaire tellement c'est bon!

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  3. Il fait plaisir Murat !

    Son embrouille de 2007 avec Voulzy:

    http://www.youtube.com/watch?v=DAc-gRdeEYU

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  4. Désolé de jouer les rabat joie, mais Murat, dont la musique est bonne mais sans plus, est d'un narcissisme presque malsain, il n'est qu'une posture contrarienne sans fond véritable. Et même s'il est allé plus loin que d'autres dans celle ci, la tension qui en nait peut sans doute séduire ces demoiselles, mais tout de même, de grands gaillards comme vous...

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  5. Ceci dit il est aussi l'auteur de ce pur chef d’œuvre...

    http://www.dailymotion.com/video/x3voxp_jean-louis-murat-jim_music

    Âmes trop sensibles s'abstenir.

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  6. Tu ne confondrais pas narcissisme et orgueil, par hasard ? Je dis ça, car la confusion est courante.

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  7. Il est pas mal pour son coté atypique et puis vivre en auvergne c'est balaise, chapeau ! Par contre il doit surement écouter Soral, c'est assez flagrant dans ses propos .

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  8. Moi je reste toujours un peu dubitatif sur ce genre de gu-gus qui se la joue " plareau du Larzac " , ermite gardien de chèvres, mais qui , le temps de vendanger quelques douros vient faire sa promo chez Ruquier ...et tirer un peu de soupe du système ...
    Finalement je préfère Antoine , celui là au moins il en aura joui du système , vie de rêve sur son rafiot , une vahiné dans chaque île , et puis , quand le compte en banque commence à battre de l'aile , on revient vers la mère patrie métropolitaine , on balance quelques chansons d'une débilité déconcertante, quelques reportages à donner le cafard au clampin de Maubeuge et hop! on repart se faire dorer le fion sur une plage de sable fin et blanc !

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  9. Y a tout de même une différence entre servir la soupe du système et dealer avec le système en le tenant à l'écart.
    Faut bien vivre aussi. Murat commerce avec le système autant qu'un Voulzy, mais le premier ne se sent pas obligé de prêcher pour le système.

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  10. Pour le poker , je dirais : Obispo et Bruel . Heu ...non plutôt Darmon et Bruel , merde , je vais passer pour un antisémite !

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  11. J'aime pas trop sa musique, mais quelle classe ce qu'il ose dire dans le Point... Défoncer Renaud, Souchon etc... Faut en avoir un belle paire!

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  12. Ah ah ah, Murat, le seul musicien meilleur en interview qu'en musique

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  13. j'aime beaucoup Jean Louis Murat qui délivre des albums superbes qui (hélas) ne se vendent pas toujours très bien . Il dit des vérités bien senties mais , je lui reprocherais de n'utiliser que celà pour assurer sa promotion (il l'avoue lui meme d'ailleurs ) .Il vaut que celà je pense , non ?

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  14. Si Murat est pas alcoolo alors je bois du petit lait.

    Querelle d'égo, certains préfèrent se la jouer cool à la Voulzy en engrangeant les euros, d'autres se rêvent poètes maudits.

    Certains oeuvrent pour leur futur proche, d'autres pour une hypothétique postérité ( ce qui est assez risible dans le domaine de la chanson)

    Vlad L.

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  15. Murat est comme Assange ou la police de NYC arrêtant DSK : il rappelle opportunément que tous les officiels "donneurs de leçons" médiatiques sont des enflures qui méritent le sort qui leur est déjà tracé. Et aussi que le système en cours occulte naturellement ces traits. La pire ordure est alors vendue sous l'apparence d'un chic type. Avec un tel système, où celui qui dit "A gauche!" pense en réalité "A droite!" ou "En haut!", comment voulez-vous qu'un pays ne rentre pas dans le mur ? Il y a donc une différence entre Murat et ceux qu'il évoquent ici, à savoir qu'on peut parfaitement être coupable sans pour autant le nier, et que ceux qui peuvent le nier grâce à l'omerta d'un système à leur service sont plus dangereux car ils empêchent de faire la part des choses, ils brouillent les cartes, ils empêchent de distinguer entre le salut et le désastre. Ils ne se contentent pas d'être des criminels, au cas par cas, ils cultivent et répandent le crime par wagons entiers.

    -yann-

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  16. Jean-Louis MURAT ... c'est trop la classe !
    didierlebras.unblog.fr

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