20 mai 2011

Sur la route


« Ne comptez pas sur moi pour laisser repartir le nombre de morts sur les routes à la hausse. Je ne céderai pas sur cet objectif. » Le shérif en chef a parlé. Les « délinquants de la route » ont du mouron à s’faire. Le truc, c’est que c’est nous tous les délinquants, les titulaires du permis de conduire. Bon ou mauvais conducteur, on se fait alpaguer par les guignols en moyenne une fois toutes les 600 infractions. C’est pas une stat du service des sports de Canal hein, mais de la Prévention routière. Pas de première fraîcheur, elle a 15 ans. J’l’ai apprise au cours d’un stage que j’avais dû faire consécutivement à un grand excès de vitesse alors que je décalaminais ma toute nouvelle caisse en pleine nuit sur une 8 voix déserte… La belle affaire insécuritaire ! Sur la route, y’a rien d’absolu, y’a que du relatif. Sur la route, la vérité c’est que c’est la guerre. Une guerre de position, une guerre d’attention et d’anticipation en même temps qu’un jeu de la souris contre le chat sous képi. Etre sur la route est un danger permanent, quelque soit ton véhicule. On peut bien les supprimer ces damnés panneaux, on supprimera jamais l’inconscience et la connerie humaine… Tu peux bien multiplier les règles, mais quand le respect de l’autre et le bon sens ont foutu le camp, c’est un combat perdu d’avance.

On va être nombreux à tomber dans l’panneau, maintenant qu’ils vont les dévisser ces avertisseurs de croisement imminent d’un flash fixe. Comme tout l’monde, quand j’les croisais, je me mettais à grimper sur ma pédale de frein, et dans les jours sans, à laisser mon frein moteur agir, pour récupérer une énergie cinétique digne de ce nom une fois le danger de la photo passé. Alors faut bien convenir que ce dispositif était d’une stupidité affligeante. Grotesque. Comptez pas sur moi pour être de mauvaise foi. Y’a pas marqué député UMP en pleine drague électorale ! Y frondent, y grondent car cette mesure est « impopulaire » ? La pusillanimité, connaissent pas ces drôles !
C’est sûr, ça va flasher sur les routes comme en bas des marches du palais des festivals de Cannes ! Comptez pas non plus sur moi pour m’en réjouir. On va se faire suer à s’traîner sur l’autoroute, tandis que parfois, conduire à tombeau ouvert est ta seule issue pour laisser le danger loin derrière toi… La route, j’la connais bien cette garce, en voiture, en scooter, à vélo, à ch’val et à pince ! La limitation de vitesse, c’est pas la réponse à tous les maux. C’est l’arbre qui cache la forêt du réel souci : le déficit chronique d’éducation pour ne pas dire d’intelligence. Ah c’est sûr, l’argent va pleuvoir dru dans les caisses de l’Etat. Ça va être Fort Boyard tous les jours au centre des amendes de Rennes ! Ça va cracher au bassinet ! Mon permis à points est en sursis, tout comme le vôtre.

Depuis mes débuts sur la route, j’ai vu les comportements changer. La majorité des gens s’est doucement mis à respecter les limitations de vitesse, notamment sur autoroute. La preuve que la sensibilisation, ça marche. La preuve que la peur de la sanction, ça roule. Et c’est vrai que ça a quelque chose de reposant. Mais vous ne me ferez pas dire que je me sens moins en insécurité sur la route. On peut bien les supprimer ces damnés panneaux, l’imprévisibilité dopée à la connerie est un facteur X irrépressible. Sur la route à trois voies, tu pourras toujours essayer de doubler à 130 sur la voie rapide si t’es disposé à prendre le risque d’un dépassement de 3 kilomètres, tandis que le bouchonneur en puissance aurait pu circuler sur la voie de droite, désespérément vide... Sur la route, dans les campagnes perdues, tu pourras toujours rouler sur les départementales à 90 et négocier des virages sans visibilité à 60, t’auras toujours un connard d’autochtone plein les rétro, ce même bouffon que tu retrouveras en panique, à perdre les pédales en plein Paris, en pleine crise mystique existentielle, découvrant un peu tard comme le con qu’il est, que conduire, y savait pas ce que c’était jusqu’à présent. Sur la route, tu pourras toujours croiser cet automobiliste pendu à son téléphone te griller le feu sous le nez, à une vitesse raisonnable de 30 kilomètres par heure. Sur la route, tu pourras toujours gueuler contre les scooters ignorants des dangers, prêts à prendre des risques inutiles pour avancer coûte que coûte, et qui te rétorqueront toujours la même réplique alors que tu viens de les rejoindre tranquillou au feu : « Apprends à conduire hé connard ! » Sur la route, tu pourras toujours avoir maille à partir avec ce gamin en pleine phase de transgression, juché sur un jouet de 50 cm3, en route pour Garches, s'il est verni... Sur la route, tu pourras toujours croiser l’un de ces cyclistes engagés, prêt à mourir pour sa cause, préférant te couper la route plutôt que de gérer ta présence. Sur la route, tu pourras toujours croiser ces piétons ignorants de la règle de l’engagement régulier sur un passage protégé, manifestement convaincus que leur combat écologique et citoyen les immunise contre une voiture d’une tonne lancée à 50 kilomètres heure. Sur la route, tu pourras toujours croiser ce môme en train de courir au devant du danger, sa mère et son père, à 30 mètres derrière ses talons.

La psychorigidité du respect de la règle est une dystopie. Voyez tous ces chiens de Pavlov avancer au vert et transformer ainsi irrémédiablement le carrefour déjà chargé en piège définitif. Pensez également qu’un deux-roues est bien souvent plus en sécurité quand il se met hors jeu. La tolérance zéro est une ineptie, et les cyclistes anti-automobilistes ne riront pas les derniers. La remise en vigueur de l’immatraculation des vélos est imminente, j'en suis convaincu.

Le système avec ses règles produit des sectes concurrentes à la pelle : automobiliste diabolique, motard en colère, individu engagé pour le respect du nouveau droit de l’homme qu’est la circulation à bicyclette, piéton fanatique. Sur la route, malgré les règles et le fleurissement des « zones de partage », zones 30, zones 20, c’est pas vraiment le bonheur du Vivre ensemble, mais plutôt la jungle de l’anarchie totale.
La mondialisation néo libérale est un accélérateur de particules à tendance schizophrénique. A mesure qu'elle produit toujours plus de grosses cylindrées à électronique embarquée, elle fait avancer les moyens de sa répression infantilisante, faisant irrémédiablement régresser l'humanité vers l'axiome d'Hobbes. L'humain de l'homme est en perte de vitesse, quand il n'est pas en pleine sortie de route. Sans culture du bon sens, toute route est une impasse.

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