20 février 2011

La minute de BatPat : Stephan Eicher


Vous aimez David Guetta ? Vous me savez ami des cérémonies. En conséquence, vous vous attendiez sûrement à ce que je chronique le Grammy Award qu’il a raflé, si l’on veut bien me passer l’expression, à Los Angeles dimanche dernier. Vous attendiez des « Un nouveau cocorico pour la french touch ! », « Le roi David sacré chez le Goliath américain ! » Nul n’ignore que pour la deuxième année consécutive, l’ancien locataire des Bains douches, du Queen et du Palace, a gagné le prix du meilleur remix de l’année avec sa version de Revolver, une chanson de la divine Madonna. Mais il n’en n’est pas question, car cette chronique gonna be a good good chronique, consacrée à l’un des plus grands poètes de la chanson francophone.


Stephan Eicher - Déjeuner En Paix
envoyé par Stephan-Eicher. - Clip, interview et concert.


La modernité a sorti le disc-jockey de l’ombre Qu’il y retourne. On ne danse pas comme il faut dans une soirée configurée sur le mode concert. Toute l’attention est sur l’artiste, le phallus sur scène. Le phallus qu’il est, est un putain de gode rose fluo. Il peut se l’automettre dans l’cul. Il interfère dans ma parade nuptiale syncopée. La danse, c’est une métaphore du cul. On juge sur pièce le coup drein. Pas de babil préliminaire. On sait si ça va fourrer, enfourner, caramboler, enfoncer jusqu’à la garde, défoncer jusqu’à l’os. Mesdames, je vous prends sur n’importe quel morceau de Kim Wilde.

Dimanche, réveillé sur les coups de 11h du matin, je ne me suis trouvé nullement ému par la tenue le soir même de la cérémonie des Grammy Awards. Bien reposé après deux semaines de ski à Courchevel, je fis mes étirements préalables à ma sortie du lit. On n’imagine pas le coût astronomique que représente pour la société un homme peu soigneux de sa mécanique musculaire. Quand le muscle est froid, il claque comme un élastoque ! Je me levai, les muscles chauds. J’étais guilleret. J’allai préparer mon petit déjeuner… « en paix ! » Tu aimes Stephan Eicher ? Je me mis aussitôt à fredonner cet air plein de peps de Stephan Eicher, auteur compositeur à la mécanique de précision : suisse.

Parfait alliage de classique et de pur rock’n’Rolex, Déjeuner en paix est une chanson à texte, porteuse d’un message fondamental pour le mâle moderne : l’homme est possédé par sa possession, ce qu’il croit être en sa possession et qui ce qui le possède très précisément.
« J’abandonne sur une chaise le journal du matin, les nouvelles sont mauvaises d’où qu’elles viennent. »
Stephan nous narre l’histoire d’un homme lucide sur la décrépitude du monde. Un homme qui n’a pas abdiqué et n’a pas basculé dans le cynisme. La preuve, le voici qui se met en devoir de réanimer le bonheur dans son quotidien en préparant le petit déjeuner de sa femme. L’action est un médicament à l’angoisse ; elle voudrait nous entraver, nous attacher avec un nœud de huit au radiateur. Il faut choisir un verbe, agir. Cette action est celle d’un homme au cœur pur, amoureux, passionné. Elle est romantique pourrait-on apprendre dans les magazines féminins pour homme. Mais on apprend bien vite qu’elle n’est que simulacre ! Le romantisme qu’une aliénation.
« J’attends qu’elle s’réveille et qu’elle se lève enfin. »
L’insupportable truie féministe ; elle avait tant de discours égalitariste à la bouche avant. Stephan nous raconte l’innovation : l’inversion des valeurs traditionnelles au sein du couple moderne. Elle est une impératrice qu’on sert. Astronomique et féodale feignasse de première catégorie ; parfaite petite muse muselant, pratiquant allégrement la grasse matinée. Notre homme reste stoïque, le brave ; il
« souffle sur les braises pour qu’elles prennent »
; braises du poêle mais également braises de cet amour, qui chaque matin, a légitimement besoin d’être ravivé ; seules les braises du poêle seront de quelque chaleur.

Cet homme est au four et au moulin. Malgré ses travaux forcés ménagers, il n’oublie pas que parce qu’il est un homme, sa mission est de protéger sa femme, de la préserver du monde extérieur :
« cette fois je ne lui annoncerai pas la dernière hécatombe »
, quitte à encaisser le coup tout seul
« je garderai pour moi ce que m’inspire le monde »
. Mais décidément, cet homme n’a pas une minute pour respirer, n’est pas une minute libre de respirer :
« Elle m’a dit qu’elle voulait enfin si je le permets déjeuner en paix ! »
Succube magnifique ! Egorgeuse de communication dans le couple. La vipère n’est pas seulement pas foutue de se lever le matin pour faire le café, elle a en plus ses exigences de petite princesse! Elle a le réveil délicat et elle voudrait bien, si c’était possible, déjeuner en paix. La voici l’abjection cynique, la tueuse en série d’espérance, tranquille au quotidien, la féministe hyper gore !

« L’homme est un animal me dit-elle Elle prend son café en riant elle me regarde à peine, plus rien ne la surprend sur la nature humaine, c’est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets déjeuner en paix ! »
La maîtresse a parlé ! Qu’on fasse silence ! Il se détourne ; pour oublier le temps qu’il fait, il part à la fenêtre s’enquérir du temps qui fait (Amélie Poulain). Malgré l’oppression, il n’en est pas réifier, une chose, un objet, un truc, un machin, « ça là ! » ; il reste un homme à la sensibilité délicate. Un homme qui s’interroge :
« Est-ce que tout va si mal est ce que rien ne va bien ? »
Prend-il conscience que son quotidien ne vaut pas mieux que le monde, qu’il n’y a pas de refuge possible pour lui alors que la vénusienne a gagné la guerre contre Mars en personne ? Cette sublime interrogation dépeint avec exactitude l’impasse de la modernité dans laquelle l’humanité décadente est coincée, dans une voiture sans frein et sans marche arrière, et qui n’a pas encore réalisé que le mur tout au bout de l’impasse n’était pas la promesse d’un avenir meilleur… Les paradoxes ne sont pas des effets spéciaux. Les effets spécieux ne sont pas des paradoxes, mais des mensonges.
« Crois-tu qu’il va neiger me demande t elle soudain ? »
L’odieuse vient mettre les tripes à l’air de ce moment de poésie écologique de l’homme. La femme s’en fout du politiquement correct. Elle est l’avenir de l’homme, le progrès sur Terre. La mère nature est sur le point de parler.
« Me feras tu un bébé pour Noël ? »
Le moment était idéal pour attaquer, perdu que l’homme était dans son moment de pur lyrisme intérieur et de communion avec la nature. Upercut au menton ! La tactique était imparable : feinte superflue doublée d’une attaque foudroyante dans le boulevard ouvert sans garde d’un adversaire sous le joug de ses bonnes intentions. Pas de riposte possible. Knock down, en équilibre précaire au bord du knock out. La femme moderne est toujours la femme ancestrale, originelle, l’Eve des débuts. L’égoïste veut se faire engrosser et chier son chiard pour Noël ! La belle lettre au Père Noël ! La pauvre petite innocente, la gentille et jolie vierge. Elle veut ce fils qu’elle élèvera pour qu’il perpétue le mensonge d’un avenir radieux. Le fils est cet avenir qui se montre à voir en riant au regard de son père qu’il sadiquement crevé. Le présent est aveugle et l’homme est pris au piège du quotidien, la bouche sous la bottine. Le refrain repart déjà. C’est le tourbillon, la promesse d’une torture sans fin. Par compassion, le cœur tendre et justicier en vient aussitôt à entonner le refrain de cet autre tube d’exception de Stephan Eicher où l’artiste a pour l’éternité associé à un air définitif, d'une efficacité forcenée, une simple expression du quotidien : Combien de temps ?(Si quelqu'un a compris cette chanson, qu'il nous fasse parvenir sa traduction)


STEPHAN EICHER "COMBIEN DE TEMPS" (VERSION LIVE)
envoyé par Stephan-Eicher. - Regardez la dernière sélection musicale.


La boucle est bouclée. Stephan Eicher est bien plus qu’un poète. Il faut le chérir et le vénérer. Car plus que de consoler l’homme de sa séquestration au sein du couple moderne, il est une chandelle qui chante l’avènement de l’homme de l’après la nuit de l’homme moderne : la femme.

9 commentaires:

  1. C'est un fake l'affiche pour les paysans suisses ?

    Et Nilda Fernandez dans tout ça ?

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  2. Excellent texte, j'ai bien aimé.

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  3. Crès crès very good texte !
    J'ai adoré l'expression " féodale feignasse "... musicalement bien déniché.

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  4. Merci Paracelse. J'ai envie de dire que "je n'ai pas d'ami comme toi." féodale feignasse, ça m'est venu car je suis vassal option vaisselle.
    Sinon, je suis en train d'écouter Nova ; sont en direct de Pompidou, ce qu'il nous en reste quoi (son circuit digestif, lieu d'accueil de l'art contemporain). Les tenants de "l'Art vivant" nous proclament tous "expert de la langue" ! Elle est pas belle l'histoire, alors que le langage est le principal vecteur d'inégalité. Sont formidables sur Nova. Nos gardes chiourmes culturels proclament l'abstraction irréalisable réalisée ! Je me branche de ce pas sur France cul.

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  5. De rien. France culotte, pour ma part, c'est plutôt le week-end. J'arrive à me procurer la fabrique de l'histoire de la semaine que j'écoute le week-end venu, l'émission de Finky et les nouveaux chemins de la connaissance en fonction du thème. En semaine, je préfère m'abrutir et me chaoïser le système d'interprétation symbolique de mon inconscient, ou lire. En ce moment, je suis très thriller sud-coréen, c'est les meilleurs. ça vaut son pesant de nouilles sautées.

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  6. Ecouter Finki, ça me donne des envies inavouables...
    concernant les thrillers sud coréens, je te conseille The Chaser.

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  7. The chaser, excellent... Il faut voir " I see the devil ", un des meilleurs, MOSS et Memories of murder.

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  8. Et si je peux me permettre Confessions de Tetsuya Nakashima.

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