15 janvier 2011

Les dents de l'amer


Le site Internet Kapital, dans un article du 4 janvier dernier signé Pierre P., vous donne tous les trucs et astuces pour bien exploiter vos stagiaires tout en restant dans la légalité. Jusqu’où exploiter (légalement) les stagiaires vous demandiez-vous de concert avec la rédaction de Kapital, dans un contexte de guerre économique ouverte, où le choix serait devenu un article de luxe et le Code du travail une obsolescence juridicorigide d’ado idéaliste, qui avait déjà toutes les peines du monde, avant le surgissement du Léviathan Subprime, à jouer les fauteurs de trouble dans la grande teuf de l’exploitation tous azimuts ? Jusqu’où exploiter (légalement) les stagiaires, vous demandiez-vous ? Suivez le lapin blanc Pierre P. au pays des merveilles des ressources humaines…




Le temps de vous presser tout l'jus


Le journaliste, qui n’a donc même pas pris la peine de se cacher derrière un quelconque euphémisme barbare pour titrer, indice qui nous révèle au passage que le crime paiera et restera impuni, débute tout naturellement son article en définissant le stagiaire. « Le stagiaire est une ressource qualifiée, flexible et pas chère. » Et vous salivez déjà devant cet animal, que nous pensions en voie d’extinction dans les sociétés modernes et droitsdel’hommistes, dont Pierre P. n’oublie sûrement pas de nous dire qu’il est également jeune, cette caractéristique étant évacuée dans la chasse d’eau fleurant bon l’Harpic de l’usage des qualificatifs flexible et pas chère.
Il tempère toutefois illico les ardeurs de ses lecteurs, requins aux dents de l’amer qu’il vient de mettre en appétit, leur brandissant un steack bien sanguinolent de devant leurs yeux éteints, par cette précision déboulant juste derrière sa définition d’accroche : « A condition de respecter quelques règles... » Faisons fi de la syntaxe journalistique pour le moins elliptique de Pierre P. Il faut « respecter certaines règles » pour maintenir le stagiaire dans les conditions optimales de promesse érachière (féminin d’RHchier), « qualifiée, flexible et pas chère ». Ces règles, quelles sont-elles ? Question fondamentale à laquelle il faut une réponse si l’on veut relancer l’économie d’un pays en déroute, en proie à la concurrence débridée (enfin, là bas en Chine, y zexploitent les enfants…) de la mondialisation, qui doit absolument se mettre à jour et au diapason de la nouvelle loi de la jungle du tout économique. Pierre P. est donc parti enquêter sur le terrain (par la grâce de son téléphone) pour établir les nouvelles tables de la loi et évangéliser tous les saints patrons de France et de Navarre.



Les Ressources humaines : un monde sans visage


Le stagiaire, l’enfant exploité des sociétés progressistes, humanistes et humanitaires
"Si je cherchais un volontaire pour une tâche ingrate – élaborer un budget avec des informations à récupérer dans toutes les filiales, mouliner des tonnes de chiffres – tout le monde baissait les yeux, sauf les stagiaires, raconte Pascale Pa., DRH chez Dites-le-avec-des-pissenlits, un gros cabinet de conseil en organisation, qui a depuis monté le cabinet de coaching Menteusia. Non seulement ils étaient prêts à le faire sans discuter, mais en plus ils étaient contents."

Pierre P. d’introduire ainsi cette première citation : « Pascale Pa. ne s’en cache pas : quand elle était DRH chez Dites-le-avec-des-pissenlits, elle savait parfaitement tirer parti de son bataillon de jeunes issus d’écoles de commerce ou d’ingénieurs. »



Le tourne-over des stagiaires


Nous apprenons ainsi que le stagiaire, en sus d’être « une ressource qualifiée, flexible et pas chère », est un animal qui ne discute pas et qui se réjouit devant la tâche la plus rébarbative ; qu'elle puisse être assimilée à un travail herculéen, relevant du nettoyage des écuries d’Augias, ou à un supplice digne du dernier cercle des enfers antiques, tel vider le tonneau des Danaïdes, serait même un plus pour notre bête de somme. Voilà donc notre stagiaire propulsé masochiste en chef, lui qui effectivement est bien à la peine, tout en bas de l’échelle sociale... L’on voit bien poindre là une certaine logique protestante héritée des Pères fondateurs du libéralisme : plus t’es en bas, plus t’en baves, plus peut-être qu’il se pourrait bien que tu puisses un jour monter dans la hiérarchie, à moins que tu ne montes juste te faire clouer au piloris, ou qui sait, si tu as le goût de la performance, sur une croix tout en haut du mont Golgotha.


« Ce ne sont pas les chefs de pub, les consultants ou les directeurs d’agence bancaire qui lui jetteront la pierre. Dans tous les secteurs, et singulièrement les services à forte densité de matière grise, le stagiaire est devenu la figure incontournable du serrage de coûts. Les statistiques sont là pour le confirmer : nos entreprises devraient en accueillir cette année environ 1 million, contre 800.000 en 2005, selon les estimations du Conseil économique et social. Rapporté aux 2 millions d’étudiants en France, cela peut sembler beaucoup. Mais des jeunes déjà diplômés s’inscrivent à des formations fictives : certains établissements, véritables coquilles vides, n’ont même été créés que pour ça. »



C'est l'grand soir


Ainsi, point de culpabilité à ressentir, si vous aviez quelque velléité à exploiter, n’hésitez plus : le mouvement touche principalement les segments de « matière grise » du marché de l’emploi, c'est-à-dire les secteurs d’activité de pointe, les mondes hype et lounge de l’avant-garde innovante, les statistiques démontrant en sus la banalisation de l’usage. Nous voilà déjà hors-jeu, en évoquant le marché de l’emploi. Car là est bien tout l’intérêt du stagiaire : il est le fantassin du no man’s land, l’homme du vide juridique absolu, comme expliqué très précisément dans le paragraphe suivant.


« C’est que cette main-d’œuvre qualifiée et low-cost présente tous les avantages. Le stagiaire est corvéable à merci : la loi ne dit pas explicitement qu’il est soumis aux 35 heures. Il n’a pas droit aux RTT ni aux congés payés. Enfin, cette jeune pâte ne coûte pas plus de 417 euros par mois à ceux qui s’en tiennent au minimum légal. En outre, son "contrat" est ultra-flexible : on peut le prendre six mois et renouveler sa convention de stage d’autant, sans avoir à justifier quoi que ce soit ! Certes, il n’est pas censé occuper un vrai poste, mais les entreprises ne recrutent pas les stagiaires pour jouer aux morpions. Bref, et très cyniquement, on peut dire que l’abus de stagiaire n’est pas dangereux. A condition toutefois de ne pas dépasser certaines bornes. »



Convention de stage


Pierre P., bien en peine de dissimuler son enthousiasme, balance ensuite son inter de l’espoir « Pas de cotisations chômage ni de retraite à payer pour eux », et poursuit :


« Premier aspect positif, du point de vue du manager : il peut les faire trimer sans avoir recours à la pointeuse. "Chez nous, les stagiaires font les mêmes horaires que les autres : ils commencent à 9 heures et finissent vers 19 ou 20 heures", explique Benoît Lo., chef de groupe aux parfums Yves Saint Laurent. Dans les cabinets de conseil en stratégie comme Braindead ou BCBG, ou dans les banques d’affaires telle Merrill Lèche, les apprentis consultants peuvent même fréquemment finir à minuit ou au-delà. Rien d’illégal là-dedans. "Leur durée de travail n’est pas directement réglementée, explique l’avocat Michel Li.. A priori, tant que l’entreprise ne soumet pas ses stagiaires à des horaires plus contraignants que ceux s’appliquant à ses salariés, ça passe…"


Le journaliste enchaîne, dans une espèce de furie de collaborateur zélé, en mettant en garde son lectorat, dont il sent déjà pousser les dents façon Haricot magique, contre les écueils à éviter. Là est d’ailleurs tout l’intérêt de son article : conseiller les employeurs pour ne plus jamais qu’ils payent, que ce soit en salaires, en indemnités ou autres dommages et intérêts… Car Pierre P. n’est pas un journaliste, mais le militant d’un monde à bâtir où il n’y aura plus jamais ni perte, ni petits profits…



Bureau de stagiaire, en open space


« Seule précaution à prendre : préciser dès le départ, dans la convention, la durée hebdomadaire maximale de présence dans l’entreprise, y compris la nuit, le week-end ou un jour férié si nécessaire. C’est devenu obligatoire depuis un décret du 29 août 2010. Question repos, même topo : la loi est muette. C’est l’employeur qui choisit d’accorder ou non quelques congés. Légalement, n’ayant pas de contrat de travail, notre petite main n’a droit à rien, pas même aux RTT, quand bien même elle resterait six mois ou un an. Sauf si la convention collective, mais c’est rare, prévoit un régime plus favorable. »

La fée de l’esclavagisme moderne, Pascale Pa, affine : "Généralement, les stagiaires se soucient des horaires, des tickets restos et de la rémunération, mais jamais des vacances."

Voici donc croqué le portait robot du stagiaire, cette espèce bénie des ressources humaines : un employé aux dents de lait permettant à l’employeur de réaliser ses rêves les plus fous en matière de sadisme, un ultime animal préjuridique lui offrant la respiration d’une atmosphère dépolluée de toute loi castratrice de ronde centripète, tendant à faire de l’esprit d’entreprise, la seule et unique religion dans ses rangs salariés, et de tout contrat synallagmatique rabat-joie, odieux montage le contraignant à offrir des droits en échange d’obligations. Le stagiaire est une véritable bouffée d’oxygène patronale ! Ah, quelle tristesse d’avoir chuté du jardin d’Eden du contrat unilatéral d’adhésion totale et inconditionnelle… C'est à prendre ou à laisser, comme ça et pas autrement ! Pour un monde sans répartie, sans réplique, pour une science fiction Kdickienne de réplicants réalisée sur terre.



Stagiaires au terme de leur convention de stage


Vous n’êtes pas obligé d’être un gentil exploiteur, mais ce serait bien quand même d’être un peu gentil
Mais déjà Pierre P. s’interroge, car malgré le blanc seing, le chèque en blanc du système offert aux chefs d’entreprise, qui apparaît comme une espèce de contrepartie à tous les accords de Grenelle, certains employeurs semblent faire du zèle en matière de gentillesse et de bisous (de Judas) aux stagiaires.

« Pourtant, certaines entreprises veillent à ménager leurs forces. Chez Désaxé France, ils bénéficient d’une journée de congés payés par mois après trois mois d’ancienneté et, chez L'ORaël, ils gagnent une journée de récupération par mois dès le début de leur stage. Enfin, avis aux managers trop exigeants : le stagiaire doit pouvoir s’absenter en cas d’obligations scolaires, comme les examens, les cours de rattrapage, etc. »

L’on a envie de s’écrier avec Pierre P., et à l’instar de Monsieur Cyclopède, Etonnant non ?



Déclaration des ressources humaines et du citoyen


« Bien sûr, pour tous ses efforts, vous devrez lui accorder une "gratification minimum", selon les termes officiels. Mais, là encore, le stagiaire reste très bon marché. L’indemnité plancher est de 417 euros par mois (à partir de deux mois d’ancienneté), soit 2,74 euros de l’heure s’il ne travaille pas plus de 35 heures par semaine. »

Et Pierre P. de se réjouir, rassuré de comprendre qu’une "gratification minimum" ne s’apparente, dans le monde de ses maîtres, les euphémistes barbares et jargonneurs, qu’à un sussucre accordé de bonne grâce à un cabot : « A peine plus cher qu’un ouvrier chinois ! » Il eût été dommage qu’une nouvelle fois, Pierre P., nous épargnât d’un point d’exclamation dans cette punch line d’anthologie…
Cependant, on le sent bien, Pierre culpabilise de son article de collabo zélateur. La preuve, quand il concède une lueur d’espoir aux quelques jeunes diplômés qui auraient eu le malheur de s’égarer sur le site de Kapital, et seraient malencontreusement tombés la tête la première sur son manuel d’exploitation, sa notice d’utilisation des ressources qu’ils sont. Oui car Pierre a peut-être bien été jeune un jour, qui sait ? Peut-être même l’est-il, jeune, et qu’il en a bavé. Alors le voici en devoir de leur faire miroiter une issue, une possibilité de choix : « Toutefois, les meilleurs éléments savent faire jouer la concurrence. » Aïe, une obscure clarté tout en darwinisme social... Seuls les piranhas 3D s’en sortiront, bien évidemment. Nous compatissons à l’inquiétude des patrons apprentis exploiteurs, générée par cette saillie anxiogène, d’autant que le tableau, tout à coup s’assombrit durement, tel un orage intempestif, non prévu par Evelyne Dhélia, et qui aurait surpris quelques randonneurs partis à l’assaut du Mont Martre…



Thenardier Success Leadership.Inc recherche petite stagiaire sans expérience


"Dans le conseil, la finance ou le BTP, un diplômé d’un très bon master universitaire ou d’une grande école a des exigences : jusqu’à 2 000 euros par mois par exemple chez DeMoite, Bazars ou Inepte Consulting."

Aussitôt, Pierrot retient par la manche les quelques patrons déjà prêts à se jeter par la fenêtre à l’écoute de cette apocalypse eurosalariale à quatre chiffres : « Ce qui reste intéressant par rapport à un CDD, car l’employeur ne cotise qu’à la caisse d’assurance-maladie, mais pas à l’assurance chômage ni aux régimes de retraite. Sans compter, bien sûr, l’absence de contribution à la mutuelle ou de versement de treizième mois », un témoignage de Denis Le L., ancien DRH chez la Vie Aucher, rattrapant in extremis les derniers incrédules hébétés : "Quand j’étais DRH chez Aucher, j’avais mis en place une politique où on payait nos stagiaires 1.500 euros par mois. Ça les motivait à fond et, globalement, ça nous coûtait deux fois moins cher qu’un CDD. » Ouf ! Ouf ! Ouf ! Hourrah ! Un Denis Le L., qui comme sa petite collègue, Pascale Pa., en est un autre de ces gardiens du Temple de l’exploitation des stagiaires, dont on vous rappelle qu’ils sont un million à n’avoir pas encore été déportés dans ce camp tout en building de verre, à l’entrée duquel on peut lire ces mots Arbeit macht frei, et en sous-titre Toi qui entres ici, abandonne tout espoir ; lui aussi a « depuis monté son cabinet de conseil en ressources humaines »


And my boss is Jesus


Et ça continue, Pierrot de la nuit perpétuelle sans lune de nous apprendre, avide, comme si la coupe n’était pas amplement pleine, que ce Denis Le L. « a un autre outil de motivation, sans engagement : faire miroiter une prime de fin de stage. » Et ça déborde, car cet outil, nous précise-t-il cash, est une « technique privilégiée par Virginie D., directrice marketing de Envoimoichier.com, un comparateur de prix en ligne : "Certains me réclament 1.200 ou 1.300 euros, mais ce n’est pas possible pour moi, explique cette diplômée de l’Essec. Je leur propose donc le minimum légal tout en leur annonçant une prime de fin de stage qui peut doubler leur indemnité." »
Pierre ne lui jette pas la pierre, bien qu’on le sente boudeur, regrettant, des trémolos dans le crayon, que « La pratique est courante. » Et le voici basculant tout à coup dans le film d’épouvante, le film catastrophe, le polar à serial killer, reparti qu’il est à plein tube dans son entreprise de mise en garde contre un retour inopiné et incongru, indécent, du légal des vermines, d’un état de droit dont il sait, à l'instar de tous les lucides éclairés, que le message est L’asticot est l’avenir de l’homme. Le voici qui brandit, tel le manipulateur d’un théâtre grandguignolesque, la marionnette du méchant inspecteur du travail : « Gare toutefois à ne pas faire dépendre trop explicitement le versement de cette prime de l’atteinte d’objectifs, car c’est souvent considéré comme illégal par l’inspection du travail. »



Résistance passive


Le stagiaire, un employé comme les autres ? Le film qui vous fera vous faire dessus et sous vous
Pierre est inquiet de tout ce qu’il vient d’apprendre et nous avec ! Il commence à réfléchir, à durement s’interroger, à augurer du pire : « D’ailleurs, peut-on vraiment les faire bûcher comme des employés lambda ? » Sauf que cette interrogation de Pierre n’est pas à entendre au crédit des stagiaires :

« Sans aucun doute, si l’on en juge par les pratiques en cours dans la plupart des entreprises. Certains secteurs, comme l’édition, la mode, la culture, la communication ou encore la presse, font de cette main-d’œuvre d’appoint une condition de leur survie économique. Au point de constituer parfois des équipes avec 80% de stagiaires ! Quand Aurélia C., 25 ans, est entrée aux Editions Analphabète, il y avait huit stagiaires comme elle pour deux responsables, le propriétaire de la maison et son épouse : "J’ai fait à peu près tout, le standard, de la relation clientèle et webmaster", se souvient-elle. »

Et le café, et le grand oral sous le bureau, et les massages au n+1, a-t-on envie de s’indigner !

L’article s’achève par l’inter de la rédemption de Pierre : « le collectif Génération précaire décerne un prix du cynisme »… Il nous semble tout à coup hagard. Ah, mais n’y croit-il plus malgré toutes ces bonnes nouvelles qu’il nous a collées comme un bâillon de haillons dans l’bec ?! Comme revenu du pays des Merveilles de l’exploitation gratuite…

« Confier des responsabilités à des jeunes pleins de potentiel a néanmoins du sens : c’est une bonne façon de les tester en vue d’une éventuelle embauche. D’ailleurs, les multinationales ne s’y trompent pas. Ernest&Youngblood les fait intervenir sur des missions d’audit comme des collaborateurs débutants. Au sein de L’ORaël, "ils sont intégrés à l’équipe et “brainstorment” avec nous", explique Benoît Lo. Du côté du service RH de PQBC France, "les stagiaires conduisent des entretiens de recrutement de collaborateurs en binôme avec un salarié du service, voire seuls s’ils sont amenés à recruter un autre stagiaire", explique Marie-France René, adjointe des RH métiers. »



Stagiaire dissimulant pudiquement sa défiguration professionnelle


Le pied de Pierre lui a joyeusement glissé dans l’idéologie exploitophile. « De quoi acquérir de l’expérience. » Ah, comme il nous manque tout à coup un point d’exclamation dont nous ne savons plus, si auparavant, cette ponctuation marquait l’indignation de Pierre ou sa réjouissance. Hum. Non, tout est clair, les gentils patrons sont décidément dénués de toute espèce de mauvaises intentions. L’exploitation du stagiaire est une technique tout à son avantage, lui reconnaissable entre tous, à ces filets de bave qui lui dégoulinent des commissures des lèvres et ce regard vide de chien battu mais heureux au pied de son maître. Le patron peut bien dire avec des fleurs à ses stagiaires, que pour lui, ô grand humaniste, la valeur n’attend pas le nombre des années, et qu’ils sont les égaux(-sans-ego) dans son cœur de n’importe lequel de ses employés à durée indéterminée, pour Pierre, le patron ne doit pas être entravé et il doit toujours se méfier des méchantes tables de Loi du monde ancien, arriéré, rétrograde et régressif. L'un n'exclut définitivement pas l'autre :

« Attention tout de même car, d’un point de vue strictement légal, il convient de noyer le poisson pour que cela passe. Florence Co., de la direction juridique de l’Urssaf, le confirme : "Il n’est pas question qu’un stagiaire fasse le travail d’un salarié. Celui-ci n’est pas rémunéré pour être productif." Quelques indices peuvent attirer l’attention de l’inspection du travail : fixer une obligation de résultats, des horaires contraignants ou encore établir un lien de subordination fort. »

Pierre de nous faire boire la coupe jusqu’à la lie, nous citant l’exemple d’un directeur martyrisé sur l’autel(-restaurant de Saint-Tropez) du Code du travail, cet héritage encombrant et réactionnaire, dont il nous fait le quasi inventaire, dans cette nécrologie journalistique, au bénéfice de l’exploitation totale, dans un monde où la lutte des classes ne se résout plus que dans les collèges et les lycées de l’Education nationale :

« Evitez surtout d’inscrire vos stagiaires dans un planning, comme l’avait fait le directeur de cet hôtel-restaurant de Saint-Tropez condamné à une peine d’emprisonnement de quatre mois. Il avait, il est vrai, largement franchi la ligne jaune en affectant trois élèves d’écoles hôtelières à la réception de 23 heures à 7 heures du matin, 7 jours sur 7, soit environ 60 heures par semaine. »

Pierre en rajoute encore une bonne caisse de logorrhée Lexomil, identifiant l’« abus caractérisé », à une faute, à un péché d’orgueil, et non à un abus de position dominante, et réconforte, encore et toujours : « Mais, hormis ces cas d’abus caractérisés, les condamnations aux prud’hommes (pour requalification de contrat par exemple) et, plus encore, au pénal sont rarissimes. » Le monde de l’impunité, c’est pour hier qu’on le veut…



Méfiez-vous de Superstagiaire, il a peut-être un compte Facebook, ou pire, un blog


Le stagiaire 2.0 : un dangereux psychopathe à séquestrer dans des cellules de confidentialité
Il n’a pas échappé à Pierrot que le stagiaire est un jeune qui vit avec son temps. Dans sa tronche, de derrière son bouclard en open space, il le voit avec ses écouteurs aux oreilles, armé jusqu’aux dents de dedans ses poches de son smart phone, cette arme de destruction massive qui le maintient en réseau permanent avec les autres, et empêche l’employeur de le considérer comme une cible tout à fait isolée, alors que lui le guette, loup solitaire, fragile et esseulé qu'il est, à l’orée du bois. Il faut se méfier du stagiaire, car celui-ci est pourvu de contre-mesures technologiques à risque pour l’employeur.

« L’usage immodéré de stagiaires présente, en revanche, d’autres risques. De fuites tout d’abord : la génération Internet, habituée à partager ses expériences en ligne, se montre parfois trop bavarde. Le mieux, pour se prémunir contre tout espionnage, même à petite échelle, est d’inclure une clause de confidentialité dans la convention. Le second risque, notamment pour ceux qui tirent trop sur la corde, c’est d’abîmer leur réputation. Sur le site Internet StagesCritics, les entreprises se font régulièrement étriller par des vengeurs anonymes. »

Petits enculés d’ingrats potentiels ! Se pourrait-il qu’ils aillent jusqu’à s’indigner de leurs conditions de... travail ? Que nenni, c’est espionnage, diffamation et crime contre la réputation ! Lâches qu’ils sont de se venger en anonyme dans l’espace anarchique du World Wide Web, ce nouveau far west de pistoleros azerty. De plus, d’obscurs groupuscules d’activistes cryptofascistes, de militants mal disposés, semblent justement tout disposés à prêter main forte à ces petits salauds dans leur entreprise de scatologie coprophage, propre à salir le gentil patronat. Ils attendent, tapis dans la nuit, avec leurs petits yeux nyctalopes et cruels, l’heure de quitter l’ombre pour la proie, d'attenter, de semer le chaos dans l’ordre pur et juste du système mondialisé, en danger de ne plus ronronner comme une horloge suisse infaillible de précision. Et le lapin blanc à rolex au poignet, mon Dieu, n’ont-ils pas compris qu’il n’a plus le temps d’être en retard ?



Bosse feignasse


« De même, les jeunes militants du collectif Génération précaire ont remis en début d’année le prix du cynisme à la BPM Pariàbas et celui de l’exploitation à Desnonnes. La banque était pointée du doigt pour avoir "augmenté de 68% le recours aux stagiaires en trois ans, ce qui lui a permis de baisser de 35% le recours aux CDD", dixit le collectif, tandis que le roi du yaourt était épinglé pour une petite annonce qui proposait "le recrutement d’un stagiaire pour travailler sur le recrutement des stagiaires". »

Pierrot n’en loupe pas une, volant aussitôt au secours des gentilles entreprises épinglées, qui n’avaient d’autres intentions que d’offrir une expérience salutaire et salvatrice à leurs stagiaires, et leur permettre de lutter en armes sur le terrain miné d’un marché de l’emploi qui intime au jeune diplômé une expérience professionnelle avant d’avancer la moindre prétention.

« A la décharge de ces deux groupes, il faut souligner qu’une mise en situation vaut souvent bien mieux qu’une batterie de tests pour jauger le talent d’une éventuelle recrue. La plupart des banques ou des services marketing dans l’industrie le conçoivent comme cela. »

Il fallait bien conclure en étant réaliste, quand bien même réalité rimerait avec fatalité… Ah, mais c’est tragique, ça rime ! Pierre d'en finir pudiquement, se transmutant poète lyrique de la catastrophe et administrateur du désastre, pour emprunter sa tournure d'esprit à l’enragé Riesel : « Stagiaire rime avec précaire, mais aussi avec carrière. »



"S'il faut travailler pour vivre, à quoi ça sert de se tuer au travail" signé Tuco


« Stagiaire rime avec précaire, mais aussi avec carrière » résonnera pour l’Internité ! Une conclusion, comme un message d’espoir poisseux, de celui que nous vendent le Medef et toute la clique de la classe politique à sa botte. Il est un fait qu’il est dur pour le jeune diplômé de se faire une place sur le marché de l’emploi, d’autant que même les places à l’ombre se font rares. Il l’a dans l’os, contraint qu’il est de passer par la case stage, véritable chantage à l’emploi. Le diplôme sans expérience professionnelle ne vaut rien pour un recruteur, dont le cœur de métier est de chanter Singing in the rain à l'abri sous son parapluie ouvert de dessous le déluge. Le jeune diplômé, pour travailler devra d’abord trimer, c'est-à-dire faire ses preuves sur le marché de l’emploi, comme un grand, mais depuis cette oasis patronale du segment stage, non protégé par le Code du travail, censé chapeauter tout le marché du travail… legal. Mais stagiaire, crois-en bien Pierre P., la rédaction de (peine)Kapital et le bon sens paysan : on ne met jamais la charrue avant les bœufs.
Allez, ne pleure pas petit stagiaire, car tu restes libre malgré l’effet cliquet RH, qui resserre toujours plus ses menottes à tes poignets. Tu es libre de rester digne et de t’inscrire à Pôle Emploi, ô opprobre suprême et constat d’échec. Garde donc l’espoir, aie foi, car ses agents ne te refuseront jamais un travail pour lequel tu es surqualifié, sous l’hypocrite prétexte que tu es dénué de toute expérience. Vois comme cela ne compte pas pour eux, ô ces justes. Tu es libre, petit stagiaire. C'est-à-dire que tu le resteras jusqu’à la troisième proposition... Et si jamais tu te retrouves pulvérisé par le feu nucléaire de la radiation, ton ombre au mur du camp ira grossir les rangs des érémistes. Impair et passe ton stage d’abord ! Dernier brevet du rituel qui t’intronisera homme libre, libre de s'indigner, dans cette société des fers.
« Stagiaire rime avec précaire, mais aussi avec carrière »
et aussi avec six pieds sous terre, ossuaire…

8 commentaires:

  1. Vous attendiez autre chose d'un canard tenu par Prisma Presse?

    Le mouvement des stagiaires devrait s'inspirer des jeunes de Sidi-Bouzid, ça fait fuir les patrons mafieux!

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  2. J'espère que cet article ne tombera pas entre de mauvaises mains... Des mains de stagiaire par exemple.

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  3. et oui le thème éternel des diplômés incapables.. Jimi Hendrix a fait son premier album sur le sujet..

    Oh, but first are you experienced ? have you EEEver beeeeen..

    http://www.deezer.com/fr/#music/the-jimi-hendrix-experience/are-you-experienced-455131

    un visionaire decidement :)

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  4. "2,74 euros de l’heure"
    Les chinois n'ont qu'à bien se tenir, la France s'éveille!

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  5. J'ai moi aussi pu lire cet article de "Kapital" qui a bénéficié d'une grande lisibilité dans la mesure où il était accessible sur la page d'accueil de yahoo. Je suis bien content de voir qu'il y a quelqu'un que ça a dérangé et qui s'en soit indigné.

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  6. Le prophète à lunettes de chez science-po résume bien le truc:
    http://www.dailymotion.com/video/xgll8o_louis-chauvel-generation-mal-partie_news#from=embed

    Bon le coup du paradis anglo-saxon... C'est un mec de science po, on se refait pas hein?
    Mais il a raison : nous sommes de la merde, toujours à accumuler plus de diplômes, à essayer de trouver la bonne voie qui nous permettra d'être pris au sérieux, mais nous sommes de "la chair à chômage", tous. Même ceux qui ont l'avantage d'être chez papa, maman (et qui peuvent donc envisager de se taper trois ans de stage tout en continuant à se nourrir trois fois par jour) et d'avoir reçu une éducation solide sont de la merde. On restera de la merde, même avec tout les diplômes du monde et à moins de rentrer dans un des réseaux de cooptation des dominants, pauvres, classe moyenne, on se rejoindra tous encore plus dans la merde. On est utiles comme ça, la merde ça peut pas demander le respect, ça peut pas demander à pouvoir réclamer de quoi se constituer un cadre de vie digne.
    Pour l'instant toute cette merde tient parce les gens sont encore assez lâches pour évacuer leur mal-être en s'achetant des Imachin-mes-couilles pour avoir l'impression de n'être pas complètement des serfs parce qu'ils ont le même téléphone que ceux d'en haut.

    Hier, c'était "l'exclusion sociale", la déchéance que l'on porte comme un honte dans son coin.
    Demain, nous seront tellement nombreux à ne pas trouver d'échappatoire que se développera ce qui est mort il y a plusieurs décennies, lorsque le prolétariat est mort dans les délocalisations, ce qui a permis la grosse enculade qui nous a amené là où on est maintenant : la conscience de classe pour les pauvres.

    Euh, je dis ça parce que dans le fond je suis marxiste mais en fait ce qui nous attend c'est l'Algérie, le pétrole en moins.

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  7. C'est de l'esclavage à peine masqué
    et généré par le patronat et les polititiens mais dans le fond la populasse mérite la merde qu'elle vit dans la mesure où elle l'entretient d'elle-même.

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