27 septembre 2010

Futur antérieur


Dans l'introduction de son livre, La Civilisation de l'Occident médiéval, Jacques Le Goff, historien français, médiéviste reconnu et vulgarisateur de talent, dresse le tableau des invasions barbares qui bouleverseront en profondeur le visage de l'Empire Romain d'Occident avant de le détruire. Un tableau qui n'est pas sans rappeler les heures les plus sombres de notre Histoire...présente et future.
Extraits :


L’unité du monde romain se défait : le cœur, Rome et l’Italie, se sclérose, n’irrigue plus les membres qui s’essaient à vivre une vie propre : les provinces s’émancipent puis se font conquérantes. Espagnols, Gaulois, Orientaux envahissent le Sénat. […]

L’édit de Caracalla accorde en 212 le droit de cité romain à tous les habitants de l’Empire. […]

Les empereurs croient conjurer le destin en abandonnant les dieux tutélaires, qui ont fait faillite, pour le Dieu nouveau des Chrétiens.

Les causes des invasions nous importent peu. Essor démographique, attrait de territoires plus riches, l'impulsion initiale pourrait bien avoir été un changement de climat, un refroidissement qui, de la Sibérie à la Scandinavie, aurait réduit des terrains de culture et d’élevage des peuples barbares, et l’un poussant l’autre, les aurait mis en branle vers le Sud et l’Ouest jusqu’aux Finistères occidentaux.

Certains aspects de ces invasions importent davantage.

D’abord, elles sont presque toujours une fuite en avant.

La cause de la catastrophe est (aussi) intérieure. Ce sont les péchés des Romains – Chrétiens compris – qui ont détruit l’Empire que leurs vices ont livré aux Barbares. « Les Romains sont contre eux-mêmes des ennemis pires encore que leurs ennemis du dehors, car bien que les Barbares les eussent déjà brisés, ils se détruisaient encore plus par eux-mêmes. »

D’ailleurs, que reprocher à ces Barbares ? Ils ignorent la religion, s’ils pèchent, c’est inconsciemment. Leur morale, leur culture est autre. Pourquoi condamner ce qui est différent ?

[…] La vérité c’est que les Barbares ont bénéficié de la complicité active ou passive de la masse de la population romaine. La structure sociale de l’Empire romain où les couches populaires étaient de plus en plus écrasées par une minorité de riches et de puissants explique le succès des invasions barbares. […]

Restait l’attrait exercé par la civilisation romaine sur les Barbares. Non seulement les chefs barbares firent appel à des Romains comme conseillers, mais ils cherchèrent souvent à singer les mœurs romaines, à se parer de titres romains. Ils ne se présentaient pas en ennemis mais en admirateurs des institutions romaines. […]

À coup sûr ces temps ont été avant tout ceux de la confusion. Confusion née d’abord du mélange même des envahisseurs. Au cours de leur route les tribus et les peuples s’étaient combattus, assujettis les uns les autres, mélangés. […]

Sans doute les Barbares adoptent autant qu’ils le peuvent ce que l’Empire Romain a légué de supérieur, surtout dans le domaine de la culture et dans celui de l’organisation politique.

Mais ici comme là ils ont précipité, aggravé, exagéré la décadence amorcée sous le Bas Empire. D’un déclin, ils ont fait une régression. Ils ont amalgamé une triple barbarie : la leur, celle du monde romain décrépit et celle de vieilles forces primitives antérieures au vernis romain et libérées par la dissolution de ce vernis sous le coup des invasions.

-Régression quantitative d’abord. Ils ont détruit vies humaines, monuments, équipements économiques. Chute démographique, perte de trésors d’art, ruine des routes, des ateliers, des entrepôts, des systèmes d’irrigation, des cultures. *

Dans ce monde appauvri, sous-alimenté, affaibli, une calamité naturelle vient achever ce que le Barbare a commencé. À partir de 543 la peste noire, venue d’Orient, ravage l’Italie, l’Espagne, une grande partie de la Gaule pendant plus d’un demi-siècle. […]

-Régression technique qui va laisser l’Occident médiéval longtemps démuni. La pierre que l’on ne sait plus extraire, transporter, travailler, s’efface et laisse la place à un retour du bois comme matériau essentiel. […]

-Régression du goût, des mœurs. Non seulement ressort le vieux fonds des superstitions paysannes, mais se débrident toutes les aberrations sexuelles, s’exaspèrent les violences : coups et blessures, gloutonnerie et ivrognerie. […]

-Régression de l’administration et de la majesté gouvernementale.[…]

Extraits de "La Civilisation de l'Occident médiéval" de Jacques Le Goff dans la collection "Champs Histoire" aux éditions Flammarion

4 commentaires:

  1. Hum vive la rigueur scientifique ! Couper les propos pour les faire dire (ou sous entendre) ce qu'on veut...
    Je vous encourage à relire en entier le propos et à dépasser l'intro de ce livre qui a fait date...

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  2. b, dubitatif (mais tenace)27 septembre 2010 à 15:37

    Salauds de barbares gaulois sans lesquels ont vivrait encore comme sujets de César sous la protection de Jupiter-le coureur et de Vénus-la-bandante !

    Parce que, un peu cyniquement, on peut aussi dire que c'est la chute de l'empire romain qui permet l'émergence du royaume des Francs…
    Comme le Kleiner Kaiser Nico précipite la chute de la Vème, on peut tous espérer un renouveau.

    Bon, on n'espère pas tous le même…

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  3. Il faut faire litière de ce genre de comparaison que l'on entend que trop souvent (cf. Zemmour).
    Notre présent et notre futur immédiat ne ressemblent pas à la chute de l'Empire romain.
    D'abord, les envahisseurs étaient ethniquement proches des envahis.
    Surtout, les premiers étaient démographiquement bien moins nombreux que les seconds.
    Ensuite, certains des envahisseurs étaient non seulement déjà installés dans l'Empire (soit parce que le limes les englobait soit à la suite de migrations au-delà du Rhin) mais en étaient partie prenante via le statut de fédérés.
    Les "barbares" germaniques ont par ailleurs tous adopté la langue de l'ancienne puissance, puisque hormis la Grande-Bretagne la totalité de l'Empire d'Occident a conservé le latin qui a enfanté nos langues romanes contemporaines. Il n'y avait là rien de gagné et nous aurions tous pu passer au francique dans l'ensemble du territoire (note amusante, ce dialecte a fini par être officiel dans un pays : le Luxembourg). Avec la langue l'écriture, également ; les Francs sous Charlemagne en tireront plus tard la caroline, "police de caractères" largement diffusée à l'époque.
    Dans le même ordre d'idées, tous les chefs et les aristocraties barbares sont passés au christianisme nicéen soit à partir de leur paganisme originel soit depuis l'arianisme des Germains orientaux, ce qui constitue un nouvel hommage à Rome.
    Le droit, les coutumes et les mœurs sont restés partiellement romains, selon région.
    L'essentiel à retenir ici étant que les barbares étaient moins avides de détruire Rome que de devenir Rome eux-mêmes. Une abondante onomastique en atteste :
    le Saint-Empire romain germanique bien sûr, qui a duré presque mille ans, l'actuelle région de Romagne en Italie, la Roumanie, la Roumélie, la Troisième Rome pour désigner Moscou ou la Russie toute entière, les titres honorifiques de tsar et de kaiser, et évidemment l'Empire d'Occident pour parler de l'Empire carolingien.
    Cette fascination du nomade ou du semi-nomade envahisseur pour l'empire sédentaire vaincu n'a rien d'européen du reste, c'est ce qui est arrivé aux Mongols et aux Mandchous en Chine (sinisés et "bouddhisés") ou aux turcophones partout où ils sont passés (islamisation et acculturation, surtout par le biais du foyer perse).
    J'ai bien compris que les auteurs qui usent de cette comparaison mentionnent la nationalité donnée à tout-va et la décadence générale, mais les caractéristiques listées ci-dessus sont trop fortes pour soutenir le parallèle avec notre situation qui est unique dans l'histoire car il est question aujourd'hui de substitution de population avec dans le rôle de l'envahisseur des peuples qui détestent l'ethnie native et tout ce qu'elle a construit.

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  4. b, dubitatif (mais tenace)28 septembre 2010 à 19:03

    Vous ne croyez quand même pas sérieusement à une quelconque invasion ?

    Ridicule.

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