1 juillet 2010

Analyse du sondage de juin 2010



Dans un café parisien. Mercredi 30 juin 2010. Dix heures vingt-cinq.

Le staff du CGB est attablé dans le silence. On entend la note aiguë des cuillers qui touillent le sucre dans le café. C’est Kroulik qui touille le plus : quatre sucres.

Paracelse est une énigme. D’ordinaire strictement habillé d’un costume bon genre et cravaté de frais dès sept heures du mat, il est apparu ce matin en survêtement bariolé, un truc hideux et pendouillant qui rappelle les pires pensées contemporaines. Devant les bouches béées, il s’est senti obligé de fournir une explication, mais personne ne l’a comprise.

Skymann est fidèle à lui-même : il visionne en boucle, sur un I-pad flambant propre, ses propres vidéomontages en se marrant comme une baleine.

Beboper est en retard. C’est sa façon à lui d’être présent.

René Jacquot ne quitte plus ses lunettes de soleil. Selon le toujours bien informé Paracelse, son œil droit porterait les stigmates d’une controverse free style avec Malakine, au sujet des montants compensatoires de la dette cumulée des pays de l’Union, un truc du genre.

D.T. est arrivé trente minutes en avance. C’est sa façon à lui d’être absent.

Lé(s)tat rigole intérieurement à une blague d’hier soir qu’il a juré de ne révéler à personne. Ainsi orné d’un sourire modèle béat qui paraît incompréhensible à son entourage, il essaye de faire croire qu’il a rencontré le Bouddha, ou un de ses proches amis.

L’Amiral Potiron est le seul qui ne boive pas de café. Il essaye d’arrêter les boissons fortes pour vivre une expérience humaine digne d’être rapportée littérairement. Son visage est marqué de crispations trahissant l’effort hulkesque qu’il s’inflige. En entrant, il a bousculé le facteur (qu’il a traité d’immonde) et renversé un portemanteau (qu’il a accusé de collusion avec l’UMP).

Zefa n’est pas là, ce que tout le monde regrette.

Enfin, flanqué de ses deux conseillères slaves qui collaborent pour touiller le sucre du boss, Gabriel Fouquet arbore le regard calme et décidé qui marque la différence d’avec le petit personnel. Sous sa veste de soie, la crosse d’un gun fait érection.

A trois tables de là, un mec seul a le nez littéralement collé aux pages turf de son quotidien. Plus loin, deux gonzesses minaudent à grands coups de mèches rebelles en tenant, chacune de son côté, une importante conversation téléphonique avec un trou du cul.

Un fait exceptionnel demeure inexpliqué : DANS CE CAFE, AUCUNE MUSIQUE !!

Soudain, une Vel-Satis apparaît. Un larbin ouvre la portière arrière, d’où émerge lentement un petit vieux aux allures de chouette effraie : Jacques Attali. Les cuillers cessent leur manège. Lé(s)tat lui-même déglutit.

JACQUES ATTALI : Bonjour messieurs. C’est ici le Cultural Gang Fang ?
GABRIEL FOUQUET : Gang BANG, monsieur Attali. Cultural gangbang, tout simplement.
ATTALI : Ah, oui, gangbang, comme « partie carrée »… Oui, la locution gangbang est soudainement entrée dans le vocabulaire français avec le développement de l’Internet à la fin des années 90 et j’avais moi-même évoqué le phénomène de remplacibilité des idiomes opérationnels dans mon septième ouvrage sur la mondialisation ouverte des…
KROULIK : Veuillez vous asseoir, monsieur Attali. Mais peut-être puis-je vous appeler Jacques ?
ATTALI : Jacques ? oui, bien sûr, et demandez-lui un déca.

Une des greluches à téléphone portable s’esclaffe du pet de l’esprit de son interlocuteur inconnu. Aussitôt, le larbin attalien la fait sortir du rade, sous l’œil j’y crois pas han de sa copine.

ATTALI : Messieurs, j’ai tenu à vous rencontrer car vous savez que la question de l’avenir m’occupe. Elle fut d’ailleurs le fil d’Ariane de mon œuvre, tout au long de ces trois cents soixante-treize ouvrages que j’ai publiés ces dix dernières années. Comme le disait le président Mitterrand, Attali dans l’avenir comme dans le marc de Bourgogne. Lorsque vers 1750 avant l’ère commune, Hammurabi fit graver le code qui porte son nom…
PARACELSE : L’ère commune ? Vous voulez dire jésus Christ ?
ATTALI : Ne prononcez pas le nom de ce traître devant moi, ou j’appelle Louis Schweitzer !
SKYMANN : L’amour à bi, c’est un truc de partouze ?
ATTALI : Vous voulez dire gangbang ?
GABRIEL FOUQUET (à ses conseillères slaves) : Calme, les filles, caaaalme…
RENE JACQUOT : Vous parliez d’avenir, monsieur Attali ?
ATTALI : Effectivement ! Vous savez que votre sondage sur les retraites a beaucoup plu en haut lieu. Et le haut lieu, je connais : j’y habite. Comme vous le savez, j’ai quelques idées sur la façon de régler la douloureuse question des retraites, et je ne rechigne jamais à prendre…
KROULIK: A prendre les idées des autres.
ATTALI : Comment, monsieur, vous insinuez !
KROULIK : J’insinue rien du tout, j’affirme. Vous êtes ici pour nous piquer nos idées.
LE(S)TAT : Ouais, et on sait que vous êtes même capable d’y mettre le prix mais nous, on n’est pas du genre à se laisser acheter !
GABRIEL FOUQUET : Lé(s)tat, mon ami, aurais-tu la gentillesse de ma passer une clope ?
LE(S)TAT : j’fume plus, tu le sais…
GABRIEL FOUQUET ; Eh bien, dans ce cas, vas donc m’acheter un paquet de Black Bombay.

Lé(s)tat sort. Attali tord un peu le nez. L’assistance semble attendre qu’une chose soit dite, mais comment faire ? Seul un leader-né peut se sortir d'une telle impasse.

GABRIEL FOUQUET : Bien ! Reprenons notre entretien. Comme notre ami le disait avant que je ne l'envoie gérer un important problème matériel, nous ne sommes pas du genre à nous laisser acheter, surtout à un vil prix. Tout est affaire de mesure…
ATTALI: Dans ce cas, j’aimerais connaître les grandes tendances des réactions du peuple à vos propositions.
AMIRAL POTIRON : Le peupl’ ? Maaaaaais le peupl’, cher monsieur, le peueueueueple n’en a rien à foutre des projets de retraite ! Il y est déjà, et depuis longtemps, à la retraite, le peupl’ !
ATTALI: Allons, j’ai besoin de connaître les résultats de votre sondage, afin d’en présenter une synthèse officieuse en haut lieu, pour le bien de tous. Je vous rappelle que si nous ne trouvons pas des solutions au problème des retraites, il nous faudra céder aux propositions de Ségolène Royal. Alors, je vous demande un peu, hein ?
GABRIEL FOUQUET: Diable ! C'est urgent, en effet. En revanche, notre spécialiste des sondages vient de me prévenir qu’il est pris dans les embouteillages et n’en n’a plus que pour quelques instants (qué menteur,n ce Gaby). Il va arriver. En l’attendant, je vous propose d’aborder un sujet de conversation quelconque, pour passer le temps. Monsieur Attali, que pensez-vous de Raymond Domenech ?
ATTALI: Il y a près de vingt-cinq ans que j’ai prophétisé l’échec de la politique domenechienne en matière de management participatif à ailettes de sustentations…

(Nous laissons l’aréopage boire les paroles du prophète en attendant l’arrivée de Beboper)
Dix minutes se passent)


Beboper arrive enfin. Arrêté par le larbin d’Attali, qui a pour consigne d’isoler son maître des remugles plébéiens, il le désarçonne en deux phrases pleines d’ironie et d’une logique si surprenante qu’on n’y résiste pas. Beboper entre donc dans l’agora, laissant derrière lui la mâchoire pantelante du sous-payé.

BEBOPER: Tut, tut, tut, je sais : je suis en retard. Mais je ne vous ai pas privé de ma présence par simple plaisir de le faire, j’étais occupé. Je reviens de chez Archischmock, on a travaillé toute la nuit pour l’analyse du sondage et puis des potes sont arrivés et ça s’est terminé par un bœuf ousqu’on a mélangé le jazz, la musique de chambre et le gangsta rap. Il avait même invité Morsay par Dailymotion interposé et vous savez quoi ? il est venu ! Ouais, Morsay est venu, très gentil, très humble, bien rasé et tout. Il est tout timide, ce mec. Le seul hic, c’est qu’en reprenant sa bagnole, elle avait deux pneus crevés, ça lui a foutu les boules : Archi habite un quartier peu sûr… Mais à part ça, il a été ravi de la soirée. Il est même reparti avec un t.shirt à l’effigie d’Archischmock !
SKYMANN: t’en as un sur toi ?
BEBOPER: Natürlich !

Il exhibe alors un t.shirt jaune pétant où s’affiche le visage d’Archischmock avec cette légende : Vedette. Tout le monde se précipite pour essayer d’en avoir un, sauf le boss, évidemment.

GABRIEL FOUQUET: Bon, messieurs, c’est pas tout ça, mais j’ai des bouches à nourrir. Et ce sondage, alors, on a les résultats ?
BEBOPER: Natürlich ! Les grandes tendances sont simples : travailler plus longtemps, spécialement pendant sa retraite…
ATTALI(marmonnant) : Bien !
BEBOPER: … S’enrichir en ruinant l’économie des pays faibles, au moyen d’un fond de pension français très agressif…
ATTALI(marmonnant) : Bien ! J’ai la BERD pour ça…
BEBOPER: … et prendre aux riches pour donner à tous…
ATTALI (vif) : Pop pop pop pop! Il doit s’agir de l’inverse, non ?
RENE JACQUOT : Vous voulez dire prendre au plus grand nombre pour donner à quelques uns ?
ATTALI : ben oui, comme d’habitude.
PARACELSE : Hé, ho! on n’est plus sous Mitterrand !
ATTALI : Ecoutez, j’ai quelques connexions avec le pouvoir actuel et, sans vouloir donner de nom, je peux vous certifier qu’au plus haut niveau décisionnel, on est resté très mitterrandien sur ce point. En tous cas, cette proposition a peu de chance de séduire. Et d’ailleurs, elle serait parfaitement contre-productive.
PARACELSE : Ben voyons…
BEBOPER : Sinon, nous avions également proposé d’exporter nos vieux vers le Sénégal…
KROULIK : L’Algérie serait mieux : à part au gouvernement et dans l’état-major militaire, elle manque de vieillards. La moitié de la population a moins de vingt ans. Ils peuvent donc bosser pour payer les retraites des vieux, ceux qu’on leur enverrait !
ATTALI : Mais monsieur, vous n’y pensez pas ! On sait ce que donnerait une émigration de masse, elle déséquilibrerait l’économie du pays accueillant, son mode de vie, sa société toute entière ! Sans compter les problèmes de valeurs philosophiques, les rapports sociaux, les habitudes anthropologiques, la question religieuse et culturelle au sens le plus large. La vie quotidienne, même au niveau le plus trivial, ne pourrait plus se dérouler comme elle le faisait depuis des siècles. Il est même probable que les populations arrivantes en viennent assez rapidement à revendiquer un statut spécial, risquant ainsi de faire éclater l’unité de ce pays millénaire. Non, faire émigrer nos seniors vers l’Algérie serait une grande source de conflits. L’Algérie a le droit de conserver son entité intacte, monsieur, sa culture, son art de vivre !

Le silence qui suivit ce discours entra immédiatement dans les annales du silence, dans la catégorie « intensité maximale ». Tout le monde se regardait, hébété.

RENE JACQUOT: On avait aussi proposé le truc inverse, mais forcément, ça va pas vous plaire non plus : accueillir 25 millions de jeunes venus de pays du sud…
ATTALI : Excellent ! J’achète !

Immédiatement, le larbin déposa une valise Samsonite (made in China) sur la table. Attali l’ouvrit : un paquet de pognon en billet de 100.

SKYMANN (revêtu du t.shirt Archischmock) : Énorme potentiel !

Les deux gardes du corps slaves se jettent au cou d’Attali, qu’il a fort faible. Il pousse un petit hou ! glisse de sa chaise et se cogne le chou sur le carrelage. Les deux bombasses chutent avec lui. Putain, quels culs elles ont !
Profitant du bordel, des mains anonymes engourdissent quelques liasses, aussitôt remplacées par les annuaires téléphoniques qui traînaient. Tandis que René Jacquot aide le larbin à relever le gymnaste, Gabriel Fouquet referme vite fait la valise en prenant un formidable air moral.

GABRIEL FOUQUET : Monsieur Attali, vous avez entendu nos propositions et n’en n’avez retenu qu’une seule. Dans ces conditions, pas question d’accepter de vous la vendre, quel que soit le prix que vous en offrez ! N’insistez pas, nous sommes incorruptibles !
Venez les gars, quittons ces lieux et remettons-nous au travail !

Toute l’équipe sort donc sous les yeux d’Attali. Il les regarde traverser la rue puis se mettre à courir en faisant des bonds et en hurlant "Champagne"! Quels irresponsables… Il repart lui-même plus lentement en direction de la limousine, parlant pour lui-même à voix basse, tandis que son larbin se perd en courbettes.

ATTALI : C’est vraiment dommage. Avec une idée pareille, on aurait insufflé un air de jeunesse à la France, on lui aurait apporté de la force de travail bon marché, on aurait rééquilibré la pyramide des âges. On aurait construit des grands immeubles à la périphérie des villes pour accueillir dignement ces migrants. Leurs femmes les auraient rejoints et bientôt, leurs enfants auraient fait résonner leurs cris de joie dans la cour de nos écoles… ils auraient apporté avec eux leurs habitudes culinaires si délicieuses, leur culture si riche, que nous aurions tous partagée comme à l’Institut du monde arabe… j’en aurais fait un livre…

4 commentaires:

  1. Excellent, forcément excellent !

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  2. on recommence
    preum's!
    envoyer les retraités de l'éduc nat se bronzer le cul au soleil en afrique....
    ça peut constituer un embryon de solution
    quoique.......
    la retraite par répartition s'apparente à une gigantesque pyramide de ponzzi
    obligatoire et non dissimulée
    comme quoi le diable qui avance masqué toussa c'est des craques

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