20 janvier 2010

Serge Brussolo sur Mai 68


Je ne prenais au sérieux ni la Gauche ni la Droite. J’étais très lucide en fait, et en avance sur mon temps. Je ne croyais pas à la révolution et au “bonheur du peuple” prêchés dans les drugstores chics du coin par des fils de la bourgeoisie qui ne nous disaient pas bonjour sous le prétexte que nous étions fils d’ouvrier. Pour moi c’était une farce, une autre sorte de “boum” inventée par des gosses de riches. Mon père était en grève, nous n’avions plus un sou et plus rien à bouffer. Les supermarchés étaient vides, les gens se battaient entre les rayons pour un sac de farine ou un litre de lait. Il faut se rappeler l’hystérie qui s’était emparée de la population. On croyait que la guerre civile allait éclater d’un jour à l’autre. On racontait que De Gaulle allait lancer les blindés sur Paris... Certains juraient avoir vu ces chars d’assaut manœuvrant dans la nuit aux abords de chez nous ! Le PC distribuait des vivres à l’intérieur de la cité dortoir. Un copain de mon père, militant communiste de choc, est venu nous apporter d’office un peu de nourriture parce qu’il savait que mon père aurait honte de se pointer à la distribution, il nous a répété que le PC pouvait nous aider, mais ma mère, que le Communisme terrifiait, ne voulait rien entendre. Bien des années plus tôt, elle avait forcé mon père à déchirer sa carte du Parti. Je n’étais pas sensible à l’illusion générale qui s’était emparée des minets du lycée. Ces gosses faisaient la révolution dans le confort, sous des posters d’un Che Guevara divinisé, en sirotant le Chivas Regal piqué dans le bar de leurs parents, cadres sup’ dans la pub, en fumant des Dunhill qu’ils allumaient avec des briquets Dupont plaqué or. J’avais la haine, comme on dit aujourd’hui... Mon scepticisme était mal vu, on me croyait d'Extrême Droite alors que je mettais justement l'Extrême Droite et L'Extrême Gauche dans le même sac ! C’était une époque où, pour la première fois depuis des générations, les gens se laissaient emporter par leur imagination. On cédait au vertige, et cela n’était pas sans risques ni mirages de toutes sortes. Certains — qui y ont cru — ne s’en sont jamais remis et continuent, trente ans après, à fantasmer sur une soi-disant révolution qui n’a existé que dans leur imagination !

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