14 mars 2009

Tout est permis, rien est possible


On vous parle depuis quelques temps de Matthieu Jung... ce jeune disciple de Muray et de Taillandier qui se tâte encore avant de devenir un mécontemporain total.

On pourra avoir un échantillon de sa pensée chez Pierre-Louis Basse sur Europe 1 en compagnie du redoutable Jérôme Leroy (que l'on aime aussi) mais également ci-dessous dans cette tribune de Libé.





Aux rames, citoyens

Matthieu Jung, écrivain

Que la situation était grave, on le savait, mais qui aurait pu se douter qu’elle était à ce point-là désespérée ?

Je ne parle évidemment pas des 90 200 demandeurs d’emploi supplémentaires recensés en France au mois de janvier ni de la récession sévère annoncée pour 2009 dans l’Union européenne, propulsant d’ores et déjà le taux de chômage à 8,2 % dans la zone euro, calamiteux chiffres consécutifs à la crise financière cataclysmique qui dévaste l’économie planétaire.

Non, non, simplement, la RATP a lancé récemment dans le métro et sur la ligne A du RER une «campagne pédagogique pour aider à la régularité du trafic sur ses lignes». Autant dire que ce n’est pas bon signe. Sans trop extrapoler, on peut en déduire en effet que l’incivilité de nombreux usagers atteint des seuils si critiques que, en plus d’éprouver les nerfs des autres passagers, elle empêche désormais les trains d’avancer. Pour l’occasion, mes camarades provinciaux seraient bien avisés de ne pas trop se gausser des Parigots tête de veau parce que le parisianisme honteux est une maladie contagieuse, dans ce domaine.

Lors de sa précédente campagne pédagogique, «Objectif respect», à l’automne 2006, la RATP voyait dans les comportements discourtois de l’être humain contemporain la preuve d’un retour à la préhistoire, ce qui n’est pas gentil pour nos ancêtres de Cro-Magnon. Après celui de la régression anthropologique, les communicants ont choisi cette fois le thème de la retombée générale en enfance, c’est pourquoi vraisemblablement cette campagne se veut pédagogique - du grec paidagôgia, «direction, éducation des enfants».

Durant tout un mois nous avons subséquemment découvert, collés sur les fenêtres des voitures, imprimés sur des bulles de bande dessinée aux couleurs de l’arc-en-ciel, à destination des débiles légers que nous sommes tous devenus, pourvus de cerveaux immatures habitant des corps d’adultes, nous avons découvert des slogans tels que : «Au signal sonore, je m’éloigne des portes.» «Préparer ma sortie facilite ma descente.» «Une seconde perdue en station = du retard sur toute la ligne.» Nous saisit alors la nostalgie toute «joedassinienne» des strictes, sobres et concises «règles de sécurité et d’usage» pas pédagogiques et pas sympas, déjà affichées en cinq langues sur des autocollants même pas ronds comme les bulles de bande dessinée aux couleurs de l’arc-en-ciel et dont le ton pas cool laisse planer des sous-entendus carrément comminatoires. «La fermeture des portes est annoncée par un signal sonore : ne plus descendre dès qu’il fonctionne ; ne pas gêner la fermeture des portes.» Et voilà, c’était tout.

Comment vouliez-vous qu’on s’en sorte ?

C’était il y a une éternité, il y a un siècle, il y a un mois.

Mardi 10 mars, la campagne pédagogique a pris fin. Adieu bulles de BD, autocollants, puérils slogans.

Nous voilà instruits, à présent, et jetés dans le vaste monde des grandes personnes responsables. Nous allons devoir prendre le relais et nous débrouiller tout seuls, au lieu de compter sur les proliférants cyclopes vidéosurveilleurs qui nous filment en permanence de leur œil morne et fixe ou d’en appeler systématiquement aux forces de l’ordre, toujours plus haïes, et pourtant toujours plus désirées. Comme l’assène un personnage des Possédés de Dostoïevski, «dans aucune société et nulle part, on ne peut s’en remettre à la seule police. Chez nous, chacun exige en entrant qu’on commette à sa garde personnelle un argousin spécial. On ne comprend pas que la société doive se garder elle-même».

De fait, c’est à chaque citoyen qu’il incombe de s’opposer modestement au désastre, de signaler à certains gougnafiers que retenir les portes deux ou trois fois d’affilée, écouter de la musique à plein volume sur son portable ou jeter ses déchets made in fast food sur les banquettes ne compte pas encore au nombre des droits de l’homme néoténique. Il va falloir se montrer courageux, aller au contact, exprimer son mécontentement, y compris aux patibulaires à capuche. Calmement mais fermement montrer qu’on n’a pas peur, même si on pète de trouille comme les comédiens au lever du rideau.

Mais voilà que dans quelques jours, chassant le long hiver, le printemps revient, et avec lui d’inexorables et délicieuses poussées d’hormones. Aux infidèles occasionnels, aux cœurs solitaires qui n’ont pas encore trouvé leurs marques sur Internet et se sentent aussi mal à l’aise aux comptoirs des bars sans happy hours que dans les boîtes de nuit non-fumeurs, je signale qu’à quelques enjambées une bouche de métropolitain leur permet d’accéder au plus grand site de rencontres hexagonal, démocratique et prodigieusement bon marché, atout non négligeable en ces périodes de baisse du pouvoir d’achat. Mieux que nulle part ailleurs s’y trouve représentée la sacro-sainte «diversité» : Lætitia (Hôtel-de-Ville), Fatoumata (Palais-Royal), Khadîdja (République), Aurélie (Gare-de-l’Est), mon salut sur vous !

Républicaines, retirez vos écouteurs, rendez-vous disponibles, le prince charmant n’enfourche plus son cheval blanc, il est assis sur le strapontin en face de vous. Républicains, du cran, faites-vous mâles, descendez à la même station que la jeune femme qui vous regarde depuis dix minutes, et offrez-lui un verre.

Aux audacieux, je promets mariage et bébé pour 2010.


3 commentaires:

  1. A propos de Leroy citant Clouscard sur Europe 1, "tout est permis, mais rien n’est possible" est un slogan de mai 68 repris notamment par Lavilliers pour titre d'un album sorti en 1984, "Tout est permis rien n’est possible"

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  2. j'ai feuilleté son bouquin. Mal écrit, soporifique,sans intérêt. Strictement rien à voir avec du Muray.

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  3. Alors là, je dis non!!
    Un barbu....
    Qu'il devienne moustachu et là, je le considèrerai Mattheu...
    Malheur aux barbus...

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