5 mars 2009

Fist Market


On ne devrait jamais laisser des intellectuels issus des sciences "dures" écrire des essais sur la Société telle qu'elle va: ils s'avèrent redoutablement pertinents.

Gilles Châtelet ("Vivre et penser comme des porcs"), Olivier Rey ("Une folle solitude")... voilà des scientifiques "durs" qui ont commis des écrits remarquables sur la marche du monde à l'abri de l'hémiplégie des sociologues "cultural studies" ou des historiens étriqués.

Physicien au CNRS, Jean-Paul Malrieu appartient à cette catégorie avec la publication de son ouvrage percutant "Dans le poing du marché. Sortir de l'emprise libérale" édité dans la collection Rue des Gestes de la librairie toulousaine Ombres blanches.



Jean-Paul Malrieu est un scientifique spécialiste de la physique quantique, directeur de recherche émérite au CNRS, parti du syndicalisme étudiant dans les années 60, passé par le mouvement écologiste avec la revue "Survivre et vivre" et par les expériences communautaires, ce qui confère plus de force à son diagnostic.

S'appuyant sur la double révolution du XXe siècle, économique et technologique, Jean-Paul Malrieu dénonce la délocalisation à double sens:

"Mais la délocalisation est à double sens. Elle ne concerne pas seulement l'exportation d'activités productives vers les pays à main-d'oeuvre bon marché, elle implique aussi l'afflux des populations pauvres vers les pays riches (...) Les maraîchers du sud de la France votent Front national et font travailler des Maghrébins sans papiers (...) L'installation d'un tiers-monde intérieur dans les métropoles riches est une des adaptations au différentiel des coûts du travail dans le Marché du mondial."


Surprenant constat de quelqu'un qui est passé par la gauche "mouvementiste" et qui ne cesse d'expliquer dans son ouvrage comment la division internationale du travail et le capitalisme financiarisé ont scellé le sort de millions de travailleurs avec le mensonge du libre-échange.

En scientifique averti, Malrieu a bien compris que le libéralisme actuel est fondé sur un refus (théorique) de la frontière, de la borne et de la loi:

"S'agissant de protection, je dirais même, au prix du mépris total que me porteront les gauches généreuses, qu'une société à la droit de se protéger d'un afflux insoutenable d'immigrants de niveaux de vie et de cultures hétérogènes, qui mettrait en péril ses équilibres internes et périmerait totalement le contrat social. Qu'il s'agisse d'un afflux d'immigrants fortunés s'appropriant tout le patrimoine bâti et renvoyant les natifs dans des cages à poules, ou d'immigrants pauvres prêts à accepter des contrats de travail léonins (...) Je me permettrai ici cette remarque: il entre souvent dans la générosité de principe des libéraux de gauche une assurance imprégnée d'un mélange d'arrogance et de culpabilité à l'égard des cultures différentes. Ils partent de l'axiome qu'il n'existe pas de problème interculturel sérieux. Ce qui implique soit qu'on nie une partie ou moins de ces cultures, en ne voulant pas voir celles de leurs prescriptions qui violent nos principes, soit qu'on les pense incapables de résister à la fréquentation durable de notre système de valeurs."


Malrieu démonte aussi l'illusoire "économie de la connaissance" que les oligarques ont mis en avant pour justifier de la désindustrialisation massive en Europe. La mirifique "Stratégie de Lisbonne" n'étant qu'un leurre:

" L'idée d'un confinement de la connaissance entre les mains de ses producteurs, à coups de brevets et d'une police internationale de la propriété intellectuelle, représente une violence éthiquement inadmissible (...) Mais c'est sans doute dans les faits une idée aussi naïve que le rêve d'empêcher le photocopi(ll)age."

"Gagner la guerre économique du XXIe siècle par la technologie" comme le voulait Claude Allègre est au mieux une inconscience au pire une escroquerie intellectuelle pure... comme si les Chinois qui savent déjà monter des Airbus pouvaient se contenter de fabriquer des chaussettes ad vitam eternam.


Jean-Paul Malrieu attaque par ailleurs la rationalité d'un marché qui rêve secrètement d'anéantissement et où le Capital nourrit un rêve de déréalisation, un fantasme financier où l'argent créerait per se la richesse sans se salir de la matérialité du travail... et Malrieu nous rappelle avec malice la condescendance des occidentaux envers les albanais et leurs montages financiers dans les années 90.

Notre physicien à l'instar de Jean-Claude Michéa réfute l'homo economicus et la maximisation de l'intérêt en invoquant l'autre Karl (Karl Polanyi) :

"Deux vices majeurs, et logiquement liés, minent la pensée critique: l'adhésion à une naïveté individualiste et l'économisme, c'est à dire la délégation à l'économie d'une sorte de souveraineté, de pouvoir décisif (...) L'économie marchande n'existe pourtant comme l'a montré Polanyi, que sur un socle social profond et complexe."

Fort de ce constat plutôt "pessimiste" voire antimoderne, Malrieu propose une "bifurcation" ... pas une "multitude" comme les négristes, mais une volonté de "faire société autrement": s'il refuse la solution communautaire, notre scientifique n'en est pas pour autant jacobin. La solution de Malrieu se rapproche en vérité assez de Michéa avec la réhabilitation d'une morale commune (ou morale bourgeoise comme disent les marxistes) mais également de Chantal Delsol avec une réaffirmation du principe de subsidiarité (sans vouloir en finir avec la nation).

Notre directeur au CNRS désire ainsi sortir de la guerre du tous contre tous instaurée par le dogme de la "concurrence libre et non faussée" en insistant sur le droit au temps long et à la durabilité de l'être face à la concupiscence de l'avoir.

C'est en somme un altersouverainisme basé sur la protection (économique et culturelle) face à l'absurdité du Marché que Jean-Paul Malrieu nous propose.

Malrieu pourra d'ailleurs mieux exposer ses "bifurcations" face à Michéa le 19 mars prochain à la librairie Sauramps à Montpellier.

22 commentaires:

  1. Le CGB devrait proposer un voyage organisé pour aller assister à cette conférence.

    Voilà qui serait d'utilité publique !

    Comme ce billet, d'ailleurs. Je note, et je me procure l'ouvrage dès que possible.

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  2. Monsterleaw étant parti, peut-être pouvez-vous envisager de remettre les commentaires en libre publication, non ?

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  3. @ Hank
    Je suis désolé, Hank, mais juste avant qu’on active les commentaires, l’homme sans nom, nous a prévenu qu’il roderait comme un prédateur pour nous pourrir ce blog non conforme à son idéologie. Le lendemain soir, il a spammé à base de CTRL + V une vingtaine de photos de cul sur plusieurs articles. La modération fait suite à cet acte immature, je vous rappelle que l’homme sans nom à 19 ans. Rien que depuis la modération, j’ai dû effacer une bonne trentaine de tentatives de l’homme sans nom avec, tu t’en doutes, des « fils de putes », des « PD » et des photos de cul qui selon lui sont des arguments imparables.

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  4. @René Jacquot

    Ces propos ne sont guère surprenant venant venant d'un chercheur en science dure. Nos amis les économistes ont une image de sérieux aussi grande que les frères Bogdanof, mon profs d'intelligence artificiel en DEA se demandait combien il fallait d'économiste pour visser une ampoule. Il faut dire que ce sont les seules "scientifiques" qui peuvent se tromper indéfiniment sans qu'on ne remette jamais en question leur autorité. Enfin la crise actuelle semble tout de même avoir le mérite d'éclairer les citoyens sur ces oracles des temps modernes.

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  5. Merci Hank.

    Toujours en termes de rendez-vous culturels:

    Dany Robert Dufour professera un séminaire intitulé:

    Sade, le retour à l'aube de la post-modernité

    18h30-20h30

    Amphithéatre 45 B, Université Paris 6-Pierre et Marie Curie, 4 place Jussieu, 75005 Paris
    Mar 3, 10, 17, 24 et 31 mars, Mar 28 avr, Mar 5 et 12 mai

    Séminaire organisé dans le cadre de la convention avec l'Université Paris 8.

    En voici la présentation:

    Au cours des années précédentes, nous avons largement exploré ce grand moment de renver-
    sement de la métaphysique occidentale, courant sur plus d'un siècle, qui mène de Pascal à
    Sade.

    Ce renversement apparait clairement dès lors qu'on tente de circonscrire le principe sur
    lequel peut se fonder le monde. Pour le dire abruptement, avant, le monde n'était possible que
    fondé sur l'amour de dieu (amor dei); après il apparaitra également envisageable en tant que
    fondé sur l'amour de soi (amor sui).

    Cette partition nous a permis de repenser l'époque des
    Lumières comme étant traversée d'une profonde ligne de partage sparant le transcendanta-
    lisme allemand (Kant) et le libéralisme anglais (Locke, Mandeville, Hume, Smith).

    A partir de là, on a pu proposer de penser la modernité comme cette période longue de deux siècles a été maintenu un équilibre,instable et trés problématique, entre ces deux courants fondés sur des principes antagonistes. Et l'on a proposé de penser la post-modernité comme une victoire du libéralisme sur le transcendantalisme.

    Nous verrons cette année comment cette victoire a justement été annoncée par le retour au
    grand jour de Sade au tournant des années 1960, proscrit pendant près de deux siècles après avoir été enfermé une bonne partie de vie.

    Ce sont donc toutes les implications de ce grand retour de Sade que nous interrogerons en reprenant les études de Klossowski, de Bataille, de Blanchot et surtout de Lacan.

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  6. Je comprends, je comprends, Paracelse. Bon courage, la modération est une activité d'un ennui lénifiant.

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  7. @ Yann

    C'est vrai l'on peut aussi inclure les économistes... quoique on a pu embrigader les maths et la physique dans la justification de la déraison économique.

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  8. @René Jacquot

    Il me semble que les premiers économistes étai baigné en partie dans un univers dominé par la physique reine de toute les sciences et comme les mathématiques sont par nature le langage de la science il leur sembla opportun d'en faire un usage excessif pour faire scientifique. Mais les économistes n'ont pas compris que la science ce ne sont pas les algorithmes déconnecté de toute réalité, les économistes ne fond que de la métaphyse abstraite et oublie la méthodologie qui permet de rendre une théorie scientifique, l'épreuve des faits. Si leurs thèses sont non démontrable par les faits, pour des problèmes pratiques alors ils ne peuvent revendiquer le statut de science comme ils le font. C'est ce que disait Keynes en comparant l'économiste à un dentiste, ce dernier doit être humble et modeste, accompagner les politiques et non les diriger.

    Quand aux mathématiques ils ne sont que succession de raisonnement partant d'axiomes, si ces derniers sont faux tout le raisonnement peut être juste sans pour autant arriver à une conclusion réaliste et vrai. Les mathématiques sont un langage très rigoureux concernant leur propres règles, mais ils ne peuvent démontrer la validité de prémisses fausses.

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  9. Gilles Chatelet c'est très bon, Michéa aussi, ce Malrieu a l'air très bien également. Mais le problème, quand on passe des analyses, brillantes, de ces mecs, à leurs solutions, du genre "common decency", c'est qu'on se sent soudain largement plus lucide qu'eux, après avoir humblement bu leurs paroles tout le long du bouquin. Comme si d'un seul coup ils ne pouvaient plus oser penser la suite, ou du moins oser l'écrire. Et on les comprend, parceque c'est sacrément plus sinistre.

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  10. Chatelet c'est effectivement très bon, mais foutrement multitudes quand même. Peut être pas négriste mais au moins Foucaldo-deleuzien si je ne m'abuse. En tout cas, c'est sympa de la part de Jacquot de leur faire de la pub gratos aux négristes et compagnie. C'est qu'on les aurait presque oublié et on ne les attendait pas vraiment ici ... Quoi, on peut plus rigoler ?

    Autre-chose, est-ce que quelqu'un sait ce qu'il a l'autre lucide auto-proclamé à s'énerver comme ça après la décence commune ? Il aime pas les british ?

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  11. L'autre, il s'énerve pas, et il se croit pas plus intelligent que Michéa, il est juste persuadé que Michéa et consort s'arrêtent volontairement sur le seuil des conclusions où sont susceptibles de mener leurs textes. Question de conscience, ou de survie.

    Si tu as vu une trace de prétention ou de mépris dans mon intervention, c'est que tu l'as sans doute lu avec une certaine impatience. Réaction de fan peut-être?

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  12. Non, c'était juste pour te faire lâcher la purée. Mais tu fais bien comme tu sens. La question de départ était: pourquoi la "common decency" te file-t-elle des boutons ? Maintenant si tu veux, on peut en rajouter une autre: qu'est-ce que t'aimerais qu'il écrive Michéa ? C'est quoi ce truc qu'il n'arriverait pas à formuler par instinct de survie ? Non sans blague, ça m'intéresse, je sens comme quelque chose qui déménage puissamment.

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  13. J'ai rien contre la "common decency"... m'est avis simplement que la suite du programme, à l'échelle planétaire, n'aura pas grand-chose à voir avec nos voeux ou nos espérances, et que nos consciences ne seront pas caressées dans le sens du poil. C'est de l'ordre de l'incendie de forêt, que les pompiers encadrent mais laisse brûler faute de pouvoir rien faire. Le monde a été organisé involontairement, mais idéalement, depuis des décénnies, pour que finisse par éclater une "guerre d'ex-yougoslavie" mais en version grand écran, en version mondialisée. Difficile de le souhaiter, difficile de conclure là-dessus, mais difficile de croire sincèrement, en tout cas pour moi, à un autre aboutissement que celui-là.

    Et si l'avenir me donne tord, ma foi je serais ridicule avec joie. ;)

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  14. Quel rapport avec la common decency Dantec Jr ?

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  15. Et quel rapport avec Dantec, Djihad Jr?

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  16. Le délire sur la guerre d'ex-Yougoslavie au niveau mondial, par exemple. Mais ne te sens pas obligé de répondre à la question de départ, si tu n'as vraiment rien à y répondre.

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  17. Je comprends pas trop bien les raisons de ton ironie méprisante.

    Ca doit être une tentative de mettre en application la common decency, j'imagine...

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  18. Non désolé, j'ai juste du mal quand on répond à une question par une autre question. Surdose de rhétorique sarkozyste j'imagine. Mais bon, pendant ce temps, tu ne réponds toujours pas.

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  19. Pour en revenir au bouquin de Malrieu, il ne parle pas de common decency...

    Sur Michéa, ses anciens élèves du lycée Joffre parlent de jets de craies, de petites souris sur les copies, de ramassage de gueule en cas de "de plus" dans une dissert, de surnoms affectueux (Folle n° 1...) et de mix des noms propres pour les philosophes (Marcel Platon).

    Certains évoquent par ailleurs un prof au faux look de jeune (surnom Vandamme).

    Une chose est sûre: c'est un bon joueur de foot!

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  20. "ses anciens élèves du lycée Joffre parlent de jets de craies, de petites souris sur les copies, de ramassage de gueule en cas de "de plus" dans une dissert, de surnoms affectueux (Folle n° 1...) et de mix des noms propres pour les philosophes (Marcel Platon).

    Certains évoquent par ailleurs un prof au faux look de jeune (surnom Vandamme)."

    Enfin un scoop ! On trouve ça sur le Web ?

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  21. Une partie de ces infos provient d'un groupe fessebouc, l'autre d'anciens élèves du lycée Joffre que j'ai pu rencontrer.

    Globalement les élèves semblent garder un bon souvenir...

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  22. Djihad: le truc c'est que ton ironie méprisante c'était dès le départ. Le fait que tu ais visiblement besoin de me référencer immédiatement à quelques figures sans doute très importantes dans ton univers (Dantec, Sarkosy...), mais qui ne me correspondent pas du tout, va dans le même sens. T'es le genre à lire un truc, et à te dire "tiens, j'ai envie de l'humilier, lui, parceque je suis pas d'accord avec lui. Allez, je le lâcherai pas tant que je l'aurai pas humilié, j'ai envie d'écraser quelqu'un en ce moment"

    Pourquoi?

    Sinon, t'as remarqué, je réponds toujours pas. C'est que tu dois avoir puissamment raison, non? :]

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