19 décembre 2008

Ma lune dans le caniveau


Voici un petit texte d'une amie plume. Attention, c'est pas du Millie ! A suivre ?

" Je l’aimais, la rue, quand j’étais enfant. J’avais pas prévu d’y finir.

Je pensais pas surtout, que ce serait si facile. Un congé maladie, un petit boulot au noir en pleine convalescence, la dénonciation d’un mal intentionné, et c’était fait. Licenciement, tribunal, amende… On prend toute une vie pour monter, pas plus d’une minute pour descendre.
J’avais pourtant bien réussi : la maison achetée à crédit, une voiture dans le garage, une femme dans la cuisine, et deux mignons mômes.
Mais la baraque, la banque l’a prise, et les gamins, ma femme les a emmenés. Y sont presque plus qu’un souvenir qui devient réel une fois par mois. Mais j’anticipe.
La rue, tout de suite elle m’a pris ; elle est pas difficile, la rue. Elle accueille tous ceux qui n’ont plus qu’elle, et de temps en temps, elle en rejette un, et il part les pieds devant, comme diraient ceux qui ont une porte.
Le premier jour, je m’en souviens. Sonné d’être tombé si bas, si vite, tout vertigineux que j’étais. Et puis je me disais aussi que j’en trouverais vite la sortie, que ça durerait que quelques nuits, qu’il suffisait d’une rencontre pour prendre un nouveau départ, et que mes amis m’aideraient.
Mais les amis, faut pas en espérer. Surtout qu’ils sont plus très nombreux quand ça va mal. La déchéance, ça fait peur ; des fois que ce serait contagieux.
Alors j’ai rapidement compris que ça servait à rien d’aller sonner de porte en porte. Que dans tous leurs yeux je lirais le même dégoût et la même peur. La même pitié aussi, parfois ; mais ça, ça donne pas un toit, et ça n’humilie que celui qui la reçoit.
J’ai donc accepté la rue. Peu à peu, vicieusement, elle s’est glissée en moi comme je m’étais tapi en elle, et elle m’a pas lâché depuis.
Et aujourd’hui, ça fait cinq ans au jour près, et même que ça m’étonne de m’en souvenir encore, et que d’habitude j’ai tendance à pas trop m’occuper des dates. Au début, on regarde défiler les jours, on tient le compte des soleils, parce qu’on se présente encore à quelques offres d’emplois, histoire de voir si des fois… Et puis quand même, on pige que c’est pas la peine, que ça fait juste plus mal, que du boulot, on en trouvera plus. Alors on abandonne le décompte, on se laisse aller dans un genre de non temps, et on repère plus que les saisons, parce qu’on a plus froid à certaines qu’à d’autres. On regarde les gens pressés, qui disent qu’ils n’ont pas le temps, et nous, on en a à leur revendre. Parce que si il y a une chose qu’on a, c’est bien le temps. Du temps pour repenser à ce qu’on était, à ce qu’on n’est plus, à ce qu’on avait, à ce qu’on a perdu ; à toutes ces fois où nous aussi, on a dit au vendeur d’aspirateurs à domicile, à la gamine qui comprenait pas son problème de mathématiques : « J’ai pas le temps ».

Tendre la main, ça a été dur. Au début, je m’y résignais pas. Je disais à Pierrot, un homme comme moi qui avait pris sous son aile l’oiseau tombé du nid que j’étais mais qui est bien mort depuis, je lui disais : « Moi, je mendierai pas, non Monsieur ! Il me reste encore un peu de fierté, pas de ça pour moi ! » Mais difficile de vivre avec un Rmi, même dans la rue. Quand on se le fait pas voler, d’ailleurs…
Il a pourtant fallu que je m’y fasse. J’esquissais le geste en regardant le sol, pour pas croiser de regard, pour qu’on voie pas ma honte. Aujourd’hui, je lève les yeux bien haut, et j’emmerde les bourgeois.
A l’époque, j’avais pas encore la colère, la vraie. Evidemment, j’en voulais bien à certains : à l’enfoiré qui m’avait dénoncé, au président du tribunal qui m’a toisé, moi sans emploi, dans la rue déjà, lui au chaud dans sa robe de tante, en hauteur, au cas où je me serais pas senti déjà assez misérable. Sa moue dédaigneuse d’empaffé m’a jamais quitté depuis, et j’y repense quand ma haine s’émousse.
Comme je disais donc, ma colère se fixait sur quelques spécimens particulièrement représentatifs de la chienlie humaine. Mais c’est finit maintenant, j’ai rectifié l’erreur : je vous hais tous autant que vous êtes, jusqu’à vos bambins merdeux qui perdront pas trop longtemps à devenir de vrais petits connards. On échappe pas à son destin.
Des fois, la haine est si grande qu’elle me comprime le cœur, elle m’étouffe tant fort que j’en mets tripes et boyaux à l’air. Et ça dégouline sur le macadam en grands traits rouges de cubi et de sang. Et les nuits, je rêve qu’avec un flingue bien lourd, je m’en vais dans le supermarché de la rue Monge, celui où les caissières lèvent les yeux au ciel quand elles me voient arriver, et comptent ma monnaie en se pinçant le nez, et alors là ça défouraille, j’ouvre le feu sur tout ce qui bouge, que les caddy en valdingollent, et ça me fait partir d’un grand rire. Et j’en lâche encore une petite salve, histoire de. Des monceaux de cadavres, de partout, de la cervelle dans les tomates, un bout de doigt au rayon frais, une cohue de membres qui volent à tout va ; et leurs yeux qui, enfin, me voient.
Alors quand je tends la main, je calme un peu mes envies de rigolades massacreuses, et je prends un air bien humble comme il faut, parce que les riches aiment rien tant que d’avoir l’impression d’aider. Pour une pièce il faudrait leur lécher les semelles, et bien leur essuyer la merde. Quand je leur murmure mon merci de rigueur, je peux les entendre qui se disent : « En voilà un bien poli, pas comme celui de la rue Lacépède qui m’insulte quand je ne lui donne rien ! »
Pour eux, mon regard est celui de la gratitude, mais ça c’est parce qu’ils savent pas lire, parce qu’au même moment je les imagine en poupées empalées, avec le pal bien profond dans l’anus, comme je me suis fait mettre moi-même il y a vingt ans. La fierté, elle est loin.
J’ai entendu un jour que si le monde pétait à coup de bombes nucléaires, les rats et les cafards seraient les seuls à en réchapper. Si c’est ça, j’ai mes chances… On sera copains, c’est sûr.
En attendant, je fais la manche. J’ai jamais trop compris l’expression, parce que quitte à choisir, je leur ferais les poches… J’ai « élu domicile » dans le cinquième de Paris ; j’aurais jamais pu y vivre en payant un loyer, alors c’est comme une revanche sur la vie. Et puis on est un paquet dans le coin : tant qu’à vivre dehors, autant être dans du beau. C’est pas parce qu’on est mendiant, clochard, clodo, ah non : « SDF », qu’on a pas de goût pour les belles choses. Je mourrai sans rien, ça c’est sûr, mais entouré de trésors !
Pour optimiser les recettes, il faut repérer les bons coins et connaître les bons moments. La mendicité, c’est une science. J’ai tâtonné, c’est sûr, passé des heures en plein vent pour ramasser des misères et mon ventre protestait bruyamment contre la pingrerie des hommes. Puis j’ai trouvé les bonnes combines en espionnant les confrères et en rencontrant Pierrot.
Le mieux, pour la générosité, c’est les parvis d’église : incroyable combien certains seraient prêts à donner pour se sauver l’âme… Pas la peine d’arriver au début de la sainte conférence, les cloches à la volée sonnent le rappel. Les bêtes à bon Dieu sortent, et c’est le miracle. Des pièces, des bicolores, et même parfois des billets qui s’égarent. On rançonne le curé, comme on dit… "

9 commentaires:

  1. il se passe quoi avec les "derniers commentaires" ? Marche plus ?

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  2. Très bon texte. On en aimerait plus.

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  3. bon texte.
    cependant, ce que je ne comprend pas c'est comment ça se fait que le mec ne peut pas trouver un travail s'il en cherche vraiment et s'il ne refuse pas ce qui se présente.
    si des arabes, des noirs en trouvent, pourquoi pas un français ?
    il y a les boites intérim, on peut facilement avoir du travail surtout à paris. sinon, il y a le bâtiment, la restauration ....
    à part si j'ai raté qqchose dans l'histoire, le mec est-il handicapé ?

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  4. Et toi?
    Avec un post comme ça tu peux monter un dossier cotorep sans problème.

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  5. SDF c'est ce qui pourrait arriver de mieux à Millie.

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  6. Il est permis de rêver mais Millie aura toujours du quotité disponible...

    La suite pour bientôt...

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  7. K, ta réponse m'a fait hurler de rire !! Elle est si vraie, si fraîche, si bonne!

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  8. Certes mais la cotorep n'existe malheureusement plus... maintenant c'est la CDAPH.

    Pour Millie, c'est déjà un peu une SDF du web (le CGB la vire, Xyr ferme son site...) alors un peu de pitié chrétienne en c'te période de Neuel bordel!

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  9. Euh, parlé trop vite: Mimi a sa page myspace...

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