3 novembre 2008

I love america


Le CGB vous livre en exclusivité la dernière entrevue Emmanuel Todd accordée au Journal du Dimanche: "Je serai le dernier des pro-américains":


Je me moque, dès les pre­mières pages d'Après l'empire, paru en 2002, de ce que j'appelle les anti-Américains structurels. Tous ceux qui ont une vision es­sentialiste des Etats-Unis comme pays du Mal. Il y a eu toute une période où les Etats-Unis ont re­présenté l'espoir des démocra­ties. C'était les Etats-Unis de Roo­sevelt, du New Deal, de la Se­conde Guerre mondiale, de la ré­sistance aux totalitarismes. Mais, dans Après l'empire, je disais: at­tention, il y a une dérive du sys­tème américain avec la montée des inégalités et la régression puis la stagnation éducative.

Les Etats-Unis sont devenus un sys­tème impérial qui vit aux frais de la planète, fait la guerre de ma­nière théâtrale contre des Etats mineurs du centre de l'Eurasie pour garder son emprise. Si les Etats-Unis deviennent la plaie du monde et ne changent pas de pos­ture, ça n'aura plus de sens de se dire anti-Américain ou non.

Il y a, de fait, un problème américain. Mais l'anti-américanisme, dans mon cas, n'a pas de sens. J'ai écouté trop de musique américaine et vu trop de films américains. beaucoup d'autres, par cette culture. Il y a aussi un contexte familial. Les Etats-Unis ont sauvé ma famille. Ma mère était juive et bretonne. Sa famille s'est réfugiée, durant la guerre, aux EtatsUnis. Ma mère a eu une adolescence de teenager américaine à Hollywood. Ma grand-mère faisait des doublages de films. Le père de mon père est mort citoyen américain. Il était juif autrichien.

La question exacte est donc: est-ce que les Etats-Unis sont capables ou non de redevenir une puissance bénéfique?

L'image des Etats-Unis est aujourd'hui désastreuse. Ils viennent de réaliser la plus grande escroquerie financière de toute l'histoire de l'humanité. "L' Arnaque" va devenir le grand filin américain. Il y a un anti-américanisme qui va monter et pas seulement dans les classes populaires. Je suis curieux de voir comment vont évoluer les riches Européens qui ont perdu de l'argent aux Etats-Unis. Beaucoup de gens ont été complaisants envers les Etats-Unis au temps de leur toute-puissance. Je me sens, à l'inverse, capable de me projeter dans un monde devenu anti-américain, plein de ressentiments vis-à-vis des vaincus. Je serai alors le dernier des pro-Américains. Je me vois tout à fait dire: "Ils ont fait n'importe quoi mais on leur doit beaucoup."

Je serais soulagé si Barack Obama était élu. Mais il faut bien avoir en tête la question du sentiment racial dans l'histoire américaine. On ne peut pas dire: la démocratie aux Etats-Unis est formidable, mis à part un petit problème de racisme qui va être corrigé par l'élection de Barack Obama. Le racisme est le fondement même de la démocratie américaine. Le concept de race a été, aux Etats-Unis, unificateur. L'idéal démocratique s'y est affirmé contre les Noirs et les Indiens. La différence noire est ce qui a permis d'affirmer l'égalité blanche : on est tous pareils parce qu'on est tous blancs, quelles que soient nos origines.

On constate, en ce moment, l'effritement de la société démocratique et la montée des inégalités. On voit l'émergence d'une société sauvage pour les Blancs. Le modèle fonctionne à l'inverse. On surmonte le sentiment racial, ce qui est formidable, mais au prix d'une déperdition de la démocratie. Le sentiment racial régresse peut-être, mais disparaît avec lui le sentiment de l'égalité blanche.

On a eu le pire, Bush, alors on s'emballe pour Barack Obama: il n'est pas Bush et il est noir. Barack Obama n'a pas de programme spécifique. Il parle comme un Américain standard avec les habituelles âneries religieuses. Mais il faut admettre que, quand il est sur l'international, on est rassuré. On ne l'imagine pas déclencher tout de suite une guerre monstrueuse, Barack Obama représente une face acceptable du néo-impérialisme. Mais on doit rester, compte tenu de l'importance du sentiment racial américain, dans un sentiment de surprise. Barack Obama président: il faut être sensible au caractère exceptionnel de la chose.

Mais c'est, en fait, deux fois extraordinaire. Car tout ça se produit alors que l'économie s'effondre. Le pays a vécu en état de folie financière et économique durant des années. Barack Obama, s'il est élu, le sera dans un pays doté d'une économie folle. Est-ce que l'élection du premier président noir va correspondre à un phénomène de régénération de la démocratie américaine (le mythe du système qui rebondit toujours) ou est-ce que ça va correspondre à un phénomène de dislocation de la démocratie américaine? On ne sait pas encore.

10 commentaires:

  1. Cela est bien gentil ! Mais à la suite du papier de Paracelse c'est un peu court !
    Ne nous dites pas que c'est compatible. Tout comme Michéa et Todd.

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  2. Oui ! E. Todd dit ce que tous les gens de sa, de ma génération peuvent dire.

    Emmanuel Todd, comme Noam Chomsky ("L'éducation est un système d'ignorance imposée.") font partie de ces gens en avance sur leur temps, ou en tous cas qui ne pensent pas comme la pensée unique médiatique et comme dirait CG Jung : "Une pensée réellement profonde a toujours quelque chose de paradoxal, qui apparaît aux esprits médiocrement doués comme obscur et contradictoire".

    Ces deux personnes font constament dire d'elles par les petits bourgeois de la lumpen intelligentsia : "Ils se croient plus intelligents que tout le monde".

    Et qu'est-ce qui fait plus enrager la "lumpen" que l'intelligence ?

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  3. Sauf qu'Obama s'est récemment prononcé (quelle surprise) pour encore plus d'impéralisme et de guerre.

    Y'a pas plus pipeau que l'élection américaine, je ne vois vraiment pas pourquoi on s'y intéresse tant (sauf pour dire que c'est du pipeau).

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  4. "Et qu'est-ce qui fait plus enrager la "lumpen" que l'intelligence ?"

    L'imposture de la chose.

    Je ne sais pas si je fais partie de ce "lumpen proletaria de l'intelligentsia bourgeoise". Ou alors peut être un peu. Mais enfin bon, crénom, Todd n'a pas inventé l'eau chaude que je sache !

    L'ensemble de cet article n'a rien de transcendant, et ceci autant sur le fond que la forme. Il est tout simplement effarant de conformisme.

    Le désastre étant atteint ici:

    "La question exacte est donc: est-ce que les Etats-Unis sont capables ou non de redevenir une puissance bénéfique?".

    A son âge, raisonner de la sorte...

    Clarence Boddicker, The American Dream

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  5. C'est a dire... ca supposerait que les Etats Unis aient été une puissance bénéfique.

    On se réfere toujours a la deuxieme guerre mondiale, en oubliant que la finance américaine (quand ce n'était pas le gouvernement) était tres contente de soutenir Hitler, jusqu'a ce qu'il commence a perdre.

    Alors le coté "bénéfique" des Etats Unis...

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  6. Une Nation qui a engendré Sam Peckinpah mérite tout notre respect.

    je voulais dire aussi :
    Yeah, uh! Get up, now! Ow! Knock out this!

    "Living in America" - James Brown

    c'est tout.

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  7. Salut,

    Vive, Obama !! Mais, comme il va être élu les doigts dans le nez, j'avais envie d'autre chose aujourd'hui, de littérature par exemple.

    Dites, c'est pas sur votre blog que, l'année dernière, vous avez parlé du blog d'un chauffeur de limousine ?...

    Je demande ça justement parce que je suis en train de lire un roman qui s'appelle Un Milliard Et Des Poussières et qui raconte l'histoire d'un (tiens, tiens...) chauffeur de limousine pour un grand palace à Paris. Ce bouquin est tout simplement fantastique et vous devriez être les premiers à le chroniquer.

    Vive Obama (again) !!

    Aurore

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  8. Clarence,
    Moi je m'en tape, je partage l'avis de Nietzsche : "Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges".
    Alors cela ne me dérange pas que tu trouves les propos d'Emmanuel TODD obcurs et contradictoires ! lol

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  9. Bon, maintenant, il ne faut rien exagérer !
    Bien sûr il a du mal à rivaliser avec le QI de Gédeubeleyou !

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  10. Clarence, Todd parle de "puissance bénéfique" au sens où l'Amérique "protégeait" la liberté contre le communisme et, à ce titre, pouvait être vue comme le pôle bénéfique de l'affrontement. Les cocos sortis du jeu, les USA se mettent à se comporter comme de vulgaires impérialistes normaux, c'est à dire qu'ils deviennent facteurs de guerres ou de troubles. C'est sa vision des choses ("Après l'Empire 2002)

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