18 juillet 2008

Un Tour de cochon


On vient d’apprendre qu’un coureur du Tour de France, Riccardo Ricco, est « tombé » pour dopage (France-Inter dixit, l’invraisemblable Claire Servajean ce matin à 8 heures), entraînant dans sa chute toute l’équipe Saunier Duval. Jusqu’à présent, employer « tomber » dans le sens de « se faire choper par les flics » était exclusivement réservé aux malfrats. Cet argot du Milieu supposait, bien entendu, que la personne « tombée » pratique une activité illégale mais surtout que l’illégalité est son lot habituel. On n’aurait pas eu idée d’utiliser ce terme pour un pauvre cave qui se fait serrer en franchissant un feu rouge ou qui enfreint la loi presque involontairement. Désormais, donc, les coureurs cyclistes sont des hors-la-loi de profession et, à ce titre, sont appelés à tomber. Ça ne nous surprend pas, il faut le dire.

Qu’un cycliste se dope comme une volaille, ce n’est pas nouveau. Que le public le sache, ça ne l’est pas non plus : ce sport est à la pointe de ce qui se fait en matière de tartuferie, les affaires de dopage se succédant de mois en mois depuis des années sans que personne ne remette publiquement en cause, mais de manière radicale, la pérennité de la discipline. Le Tour de France est lui-même à la pointe de la pointe puisque, épreuve réputée phare, elle concentre à la fois ce qui se fait de mieux en matière de mollets, la crème des médecins spéciaux et, peut-être, le must des contrôleurs anti piquouze… Mais on continue de fêter le vainqueur à l’ancienne (c'est-à-dire pleins d’admiration) alors même qu’il devrait être considéré comme celui qui franchit la ligne d’arrivée en premier ET QUI ne s’est pas fait prendre avec de la dope dans le sang, double exploit. J’ai quelques anciens dans mon entourage qui continuent de meubler leur retraite en écoutant le Tour de France à la radio (petite radio à transistors qui rappelle, elle aussi, un temps béni où on ne savait pas) en sachant parfaitement ce qui arrive dès qu’on fait pisser un coureur dans un petit verre. D’après mon enquête, ils semblent avoir besoin d’admirer quelqu’un et font passer ce besoin au-dessus de tout. Admirer comme on admire son papa, le plus fort de tous, quand on est gosse…

... des transformations génétiques!

Les adultes, en revanche, sont théoriquement mieux armés contre ce genre de sentiment. Ils sont susceptibles d’admiration à certaines conditions, que le cyclisme pro ne remplit plus depuis longtemps. Mais quand on parle d’adulte, ont entend généralement un être mûri par l’expérience et qui dispose des clés pour décoder le monde qui l’entoure sans (trop) être le jouet benêt des événements… Visiblement, dans le staff managérial de l’entreprise Saunier Duval, personne ne répond à ces simples critères. Interrogé sur le sujet par France Inter, un de ses responsables nous a servi le couplet de « l’image de l’entreprise », un blabla que je croyais réservé aux films comiques traitant de la chose pour faire poiler les mômes. Il faut imaginer ces quadras à la mine grave, tout entiers consacrés à la conquête de marchés nouveaux, absorbés par les chiffres, les tendances nouvelles et la surcharge pondérale, exposant l’idée géniale au grand big boss : on va investir dans une équipe cycliste ! Tour de France, monsieur le Président… la France sur les bords de routes ! imaginez un peu, des millions de ces gens-là ! sans compter l’étranger, hein, ne pas oublier ces Allemands, ces Hollandais, ces millions de rougeauds parcourant le bitume à la recherche de pittoresque ! alors : Tour de France, c’est professionnalisme, c’est exploit sportif, c’est effort en commun ! esprit d’équipe ! abnégation ! C’est la légende du sport !... C’est retransmis jusqu’au Pérou ! Jusqu’au Ghana ! C’est des millions d’oisifs captivés par la lutte ! Tour de France, monsieur le Président, c’est la Jeunesse et le Travail en train d’écrire l’Histoire à coups de pédales ! C’est la longue cohorte des noms prestigieux, les Anquetil, les Bobet, les Bahamontès, les Fignoulard ! c’est des millions de frileux qui penseront Saunier Duval quand viendront les frimas de novembre et qu’il faudra changer de chaudière ! c’est un gain en terme d’image qui dépasse même la Star Ac ! même Plus belle la vie ! C’est l’hallu complète, j’veux dire !!!

Evidemment, ce matin, le cadre responsable de la boulette montrait un peu moins d’enthousiasme. Il parlait certes d’image, mais pour dire que la sienne venait de se couvrir de caca… C’est ça qui est admirable avec les cadres d’entreprise : on dirait qu’ils vivent dans un monde parallèle, ils font comme si l’image d’une bande d’enculés était positive parce qu’elle l’était au moment où eux-mêmes glandaient en Sup de Co. Ils sont tellement fainéants (ou limités, ou les deux) qu’ils espèrent utiliser ad nauseam les mêmes recettes pour blaireaux jusqu’à la retraite, sans jamais tenter autre chose. J’imagine qu’en 1950, il devait encore se trouver des cadres de la com pour proposer des « la gaufrette du Maréchal ! » au conseil exécutif de leur boîte ! Là, on a une entreprise richissime qui met du fric sur des cyclistes, en 2008, après que le maillot jaune de l’an dernier, le très filant Rasmussen, convaincu de dopage, ait été obligé de s’enfuir du Tour pour échapper à la pendaison ! Et bien sûr, la boîte communique toujours sur « les valeurs du sport », « l’esprit sportif » et autres couillonnades d’un autre siècle !

L’entreprise est, on le sait, un lieu de grand mensonge. Rien de ce qui est mis en avant n’y est vrai. Les ressources humaines aimeraient bien se passer des humains, le contrôle de gestion verrait très bien la mort des contrôles… mais on oublie trop souvent l’immense bêtise des dirigeants, leur conformisme, leur inculture, leur manque de recul, enfin on oublie qu’ils n’ont généralement aucune des qualités qui les pousseraient probablement à faire autre chose de leurs vies. Saunier Duval, l’esprit d’équipe !

3 commentaires:

  1. Grand naïf, pour un marketicien, l'important, la clef c'est la "reconnaissance produit", ils savent par retour d'expérience que la fameuse "polti" de Marco Pantani n'a eu qu'à se féliciter d'être mêlée au grand scandale.
    Ils sponsoriseraient des serial killer si on les laissait faire. "Fourniret de l'équipe Jambonoux". Et ils ont raison, combien de fois leur marque apparait dans ton article? A chaque occurrence, le marketeux a gagné un degrés sur l'échelle de la brand-bandaison.

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  2. Pfff ! Tout ce perd, même le Tour !
    Qui n’est plus qu’une mascarade de grosses taffioles pour publicitaires !
    Au moins en 1903 c’était encore du sport !
    Des étapes de 400 Km sur des vélos sans dérailleurs et pesant plus de vingt kilos.
    Et y z’avaient droit de se charger raz la gueule de coke sans que cela ne choquât personne !
    Vivement les JO, avec de vrais sportifs pas du tout dopés, sans manipulations nationalistes,
    Que l’on fasse une grande ronde devant sa tévé !

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  3. "Saunier Duval finance des camés", c'est vrai que ça fait une occurrence "Saunier Duval" de plus, mais ça fait bien rire quand même... Mais sinon, t'as raison, K, on peut tout faire faire au Français, même se chauffer chez des baltringues...

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