5 novembre 2007

"Moi, ma langue, c'est ma vraie patrie" 3 (C.Nougaro)

Eric Rohmer: un monstre!

Nous sommes entrés dans une période de l’histoire de France où beaucoup de choses qui semblaient acquises, dans l’ordre de la liberté et des mœurs deviennent plus ou moins brutalement inacceptables. Sans parler des fillettes qui hésitent à porter la jupette de peur d’être traitées de salopes, les exemples de tentatives de régler pénalement un différend insignifiant ne manquent pas. Un des plus jolis oppose en ce moment même le Conseil Général de la Loire et Eric Rohmer. Ce dernier a fait précéder son dernier film de cet avertissement :

"Malheureusement, nous n'avons pas pu situer cette histoire dans la région où l'avait placé l'auteur; la plaine du Forez étant maintenant défigurée par l'urbanisation, l'élargissement des routes, le rétrécissement des rivières, la plantation de résineux. Nous avons dû choisir ailleurs en France, comme cadre de cette histoire, des paysages ayant conservé l'essentiel de leur poésie sauvage et de leur charme bucolique".

Atroce, n’est-ce pas ? Immonde ! IN-TO-LE-RA-BLE ! D’où sort ce calomniateur ? Le Conseil Général de la Loire, c'est-à-dire Pascal Clément (ancien garde des Sceaux) porte « l’affaire » devant les tribunaux, qui n’avaient par chance rien d’autre à foutre en ce moment. On ne badine pas avec « le charme bucolique », pas plus qu’avec « la poésie sauvage », et si des nuisibles estiment que nous en manquons, se dit Pascal Clément le mal nommé, nous les forcerons à se taire ! Il est vrai que Rohmer pouvait, par l’énorme audience de ses films, de dissuader le cochon de touriste de venir dépenser ses RTT dans la plaine du Forez.

Il fut un temps, pas si lointain, où il était permis à tout le monde, même à un vulgaire cinéaste, d’exprimer des goûts personnels sans qu’ils soient pris comme des insultes à laver par la geôle. On pouvait clamer qu’Haussmann défigurait Paris sans avoir à s’excuser devant le juge. On pouvait, il y a moins de quarante ans, vomir sur le Centre Pompidou sans risquer l’attaque pénale. Cette liberté de dire des mots (et potentiellement, tous les mots sont blessants, même mon chéri, selon le contexte) n’a peut-être pas entièrement disparue, mais certains s’en occupent…

Cette surveillance de la parole, couplée avec la possible surveillance totale des déplacements, des actes quotidiens, des comptes en banque, des communications, etc. définit un cadre de liberté individuelle qui s’amenuise alors même que la société se vante du contraire. Evidemment, quand un monarque absolu (à l’étranger !) emprisonne un de ses sujets parce qu’il lui a manqué de respect, on crie au scandale. La répression est grossière, archaïque : elle est donc condamnée. Elle permet aussi à celui qui la condamne de se poser en défenseur de la liberté d’expression : tout bénef. Chez nous, pas de ça, on peut insulter le chef de l’Etat sans risque (c’est d’ailleurs pour ça que la discipline a beaucoup d’adeptes). Mais dites que la plaine du Forez vous fait chier, clamer votre dégoût devant le rocher de Monaco, dénigrez la Canebière et votre compte est bon : il se trouvera toujours une association pour faire le boulot de flic. La répression n’a plus ce caractère soviétique, massif, grossier, visible, et donc si pratique quand il s’agit de la voir venir et de la dénoncer, elle est maintenant intégrée dans les mentalités, et permise par l’arsenal proliférant des lois. L’expression des opinions peut bien être théoriquement libre, puisque des gardiens zélés toujours renouvelés se chargent, à la place du Gros Pouvoir Méchant (Hou !) de la Disneylandiser. Vous pouvez parler, mais ne dites rien qui fâche, ne dites rien qui dérange, ne dites rien de désagréable et, tenez : ne dites rien du tout !

Comme ne l’a pas dit Voltaire : Je suis d’accord avec vous, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous fermiez votre gueule !

Evidemment, nous ne sommes pas encore arrivé à un blocage total de la liberté d’expression, et il n’est pas dit que nous y arriverons un jour, mais des signes nous montrent que l’énergie se trouve du côté des censeurs vertueux, des autoflics responsables, des vigies maniaques et des gros cyniques. Internet est souvent cité comme exemple de champ de liberté d’expression, ce qui est à la fois vrai et faux puisque certes on s’y exprime, mais, les lois s’y appliquant au même titre qu’ailleurs, on y est soumis à la même surveillance. La différence avec les médias classiques est peut-être uniquement due à la quantité exponentielle de ce qui s’y publie, une jungle mettant plus ou moins d’ombre protectrice sur les fauves dangereux qui y rôdent…

Concernant la novlangue internet, qui est peut-être notre avenir, je renvoie à Dailymotion , où une pub nous parle ainsi.

L’idée est d’inviter les gens ( ?) à créer un blog (pour communiquer, par la parole, l’image, le son, tout ce qu’on veut) mais l’illustration, que je trouve incitative, est un ramassis à peine croyable d’enfantillages débiles proposant des mots et expressions en kit, impersonnels, juste bons pour montrer, encore une fois, qu’on fait partie d’un monde. C’est le monde pauvre et plat des gogos façon Starac’, mais il est le modèle médiatiquement valorisé de ce qui nous guette, et on n’y communique plus que par onomatopées. Vlan ! Prout ! Looool !

Pour les violeurs de la langue (que nous sommes tous, acteurs, complices actifs ou passifs), le XXIème siècle sera borborygmique, et donc ne sera pas.


11 commentaires:

  1. sérieux, tu veux pas t'acheter une télé ?

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  2. Très bon.
    Je suis juste un peu sceptique rapport à la pub de daily qui me semble être monstrueusement méchante envers Skyrockblog.

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  3. Bravo pour ta trilogie Beboper.

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  4. trilogie non. Triptyque tant cela dépeind bien la déliquescence linguistique contemporaine.

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  5. ... l'enjeu en jeu.
    désolé pour le compliment en trois com mais je suis carrément enl(und)isé. Trop de taf.

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  6. Dailymotion qui se moque de Skyblog c'est l'hôpital qui se moque de la charité...

    Belles réflexions sur notre novlangue quotidienne, cathodique et bavarde (ex "La grogne de" à chaque journal télé).

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  7. et l'expression Grenelle de l'environnement, Grenelle de ci Grenelle de ça, je ne supporte plus.

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  8. Ha !... le jargon journalistique... comment ne rien dire en utilisant toujours moins de mots, toujours moins d'expressions vivantes... Ha! les "ne décolèrent pas", les "retoqué", le presque désuet "dans la cour des grands", le toujours vivifiant "front du chômage"... Vous vous souvenez du "marigot politique"?
    Il nous faudrait un bon Grenelle du vocabulaire, n'est-ce pas Gabriel ?

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  9. Un Grenelle de la connerie serait aussi de bien utile...

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  10. La pub est bien faite au contraire ! C'est une caricature des blogs que l'on trouve justement sur Skyrockblog, ex Skyblog ! Il s'agit en effet souvent de blogs rédigés par des ados s'exprimant ainsi.

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  11. Gabriel Fouquet : est ce que tu aimes quand Beboper se frotte à ta jambe ?
    Faudrait un Grenelle de la fiote aussi.

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