16 février 2007

Le vieux lion de la République


Si vous vous promenez rue de Rivoli, entre le jardin des Tuileries et le Palais Royal, vous serez surpris, en levant la tête du côté du Louvre, de trouver au milieu des statues des maréchaux et généraux de l’empire et de la révolution, un vieux capitaine de pierre, droit dans sa niche, arborant une tête d’aigle et l'uniforme simple des sans-culottes.
Figé dans l’éternité aux côtés des illustres Ney, Murat, Lannes et Davout, voici Théophile Malo Corret de La Tour D’Auvergne, celui que Napoléon Bonaparte avait nommé premier grenadier de la République.



Fils d’un avocat, Théophile Corret, car c’est là son nom de baptême, naquit à Saint-Hernin, en Bretagne, le 23 novembre 1743. Lorsqu’il fut âgé de douze ans ses parents, qui le destinait au droit ou à l’église, l’envoyèrent étudier au collège des Jésuites de Quimper.

La vie chez ces gens là lui fut si pénible que dès ses études terminées, vers 1765, il courut se jeter, malgré les protestations parentales, dans les bras de l’armée. Il sera admis comme écuyer à la 2ème compagnie des Mousquetaires du la Maison du Roy avant de rejoindre le 1er septembre 1767 le régiment d’Angoumois à Saint-Hippolyte du Gard. Il obtient alors le grade de sous-lieutenant après avoir ajouté à son nom de famille celui de Kerbauffret précédé d'une particule. Mais ses camarades ne sont pas dupes et se moquent volontiers dans son dos de sa prétendu noblesse.

Piqué d’histoire et de généalogie, ce breton cultivé sais que sa famille descend d’un demi-frère illégitime de Turenne et comme à l’époque il vaut mieux avoir des quartiers de noblesse pour monter en grade, il va entreprendre de très sérieuses recherches qui finiront par payer. En effet il obtiendra un courrier d’un descendant du duc de Bouillon attestant d’une souche commune. Il est plus que probable que Théophile ait graissé la pâte du duc pour obtenir cette lettre mais le résultat escompté est obtenu puisque le 16 avril 1771 il est nommé lieutenant en second à Grenoble.

Le siège de Port-Mahon


Bien que s’appelant maintenant Théophile de la Tour d’Auvergne il a toujours le même grade dix ans plus tard alors qu’il est l’aide de camp du duc de Crillon. C’est sous ses ordres qu’il va s’embarquer à Toulon, en octobre, pour l’expédition de Minorque où l’armée française va prêter main forte à l’Espagne pour chasser les Anglais. Il se bat avec bravoure au siège de Port-Mahon où il sauve un officier espagnol en le portant sur son dos lors d’une vive action. Le Roi d’Espagne lui envoya, pour le récompenser, une médaille et 100 pistoles. Il accepta la médaille mais fit renvoyer l’argent.

L’armée royale française, bien ingrate, ne lui accordera le grade de capitaine qu’à l’ancienneté en 1784. Il a alors 41 ans.
Quand arrive la révolution cinq ans plus tard, il est toujours capitaine à Angoumois et voit rapidement tous ses camarades officiers nobles partirent pour l’émigration. Lui refuse de les suivre en affirmant :
J’appartiens à la patrie. Soldat je lui dois mon bras : citoyen, je lui dois respect à ses lois.


Portrait présumé de La Tour d'Auvergne par Wertmüller


Il est bientôt mis à la retraite et se consacre un temps à ses passions, la littérature, l’histoire gauloise et les langues celtiques, avec son ami le vieil archéologue Le Brigant. Ce sera là une bien courte retraite.
En 1793, à l’âge de 50 ans, il va reprendre du service en endossant de nouveau son uniforme de capitaine des grenadiers.

Son régiment d’origine va devenir le 80ème demi-brigade de ligne. Avec elle il participera à la campagne de Savoie avant d’être muté à l’armée des Pyrénées occidentales en 1793 pour combattre les alliés d’hier, les Espagnols
C’est à cette époque qu’il va se lier d’amitié avec un Comtois de 39 ans nommé Adrien Moncey.


Sous l'uniforme des grenadiers


Théophile commande des grenadiers Basques, montagnards infatigables et excellents tireurs. Adrien commande les chasseurs Cantabres. Ce dernier gravira vite tous les échelons et finira maréchal d’empire. La Tour d’Auvergne, lui, est totalement dénué d’ambition et n’acceptera aucun avancement malgré l’empressement du ministère de la guerre à son égard dont le ministre, Lazare Carnot, dira de lui qu’il était le plus brave parmi les braves.

Si Théophile n’accepte aucun avancement il est convié à tous les conseils de guerre et malgré ses épaulettes de capitaine il a toute les fonctions d’un général de brigade. On lui confie le commandement des 6.000 grenadiers de l’armée et l’on baptise cette brigade de colosses division d’avant-garde. Mais dans toute l’armée on ne tarda pas à appeler les hommes de la Tour d’Auvergne la Colonne Infernale. Ils sont de toutes les reconnaissances, passent partout et toujours les premiers et privilégient l’engagement à la baïonnette au feu de la mousqueterie.

Théophile, qui rentre presque tous les soirs l’habit criblé de balles ne sera pourtant pas une seule fois blessé durant cette campagne d’Espagne. Cependant il n’épargne pas ses efforts. Il se distingua avec ses grenadiers, à la prise de San Sebastien, à celle des batteries de Bidassoa, à presque toutes les batailles. Ses hommes, qui ne le voient jamais touché, disent qu’il charme les balles.

A l'armée des Pyrénées occidentales


Bien que malade et épuisé, il restera à l’armée jusqu’en 1795 et la signature du traité de Bâle où l’Espagne se retire du conflit. Il ne reste à la France que deux ennemies, l’Angleterre et l’Autriche.

Théophile va prendre le bateau à Bayonne pour regagner sa Bretagne adorée et ses études. Hélas pour lui il sera capturé par un corsaire anglais après le naufrage de son navire. Lorsque les Anglais lui demandent d’ôter sa cocarde tricolore il la passe aussitôt au fil de son épée jusqu'à la garde et demande aux marins de sa gracieuse majesté de venir la chercher. Incarcéré en Cornouailles sur un ponton, prison flottante inhumaine où il subira d’odieux traitements, il ne sera libéré que 18 mois plus tard. Durant ce temps il parvint à trouver une plume et du papier afin d’y jeter les bases de ses études linguistiques.

Relâché en 1797 il vint s’installer à Passy, près de Paris où il publia son livre les Origines gauloises et travailla à un glossaire de 45 langues et à un dictionnaire français-celtique.

Lorsqu’en 1799 il apprend que le dernier fils vivant (les autres sont morts à la guerre) de son vieil ami Le Brigant vient d’être appelé à l’armée du Rhin il se présente aussitôt au Directoire et signe à sa place.

Le dernier départ aux armées


Il part avec la 46ème demi-brigade, à 56 ans, se battre en Suisse comme simple grenadier sous les ordres du général Masséna. Malgré son âge il fait encore des miracles de bravoures notamment sur le pont de Rosengen et devant Zurich.
Après le coup d’état du 18 brumaire qui chasse le Directoire pour le Consulat, Bonaparte le nomme membre du corps législatif comme député du Finistère mais le vieux guerrier refuse en disant : Je ne sais pas faire des lois, je sais seulement les défendre, envoyez-moi aux armées.

Comme il persistait à refuser tout avancement Bonaparte lui attribue un sabre d’honneur et le titre de Premier Grenadier de la République. Il acceptera le sabre mais refusera le titre car parmi nous autres soldats il n’y a ni premier ni dernier.
En 1800 il se retrouve avec sa demi-brigade à l’armée d’Allemagne sous le commandement du général Moreau. Le 27 juin, alors qu’il combattait en première ligne lors de la bataille de Neubourg, en Bavière, un hulan autrichien lui perça le cœur de sa lance, le tuant sur le coup.

La mort du vieux lion


Son corps fut enseveli à cet endroit sous un sarcophage de laurier et de chêne mais son cœur fut conservé par sa compagnie dans une urne d’argent jusqu’en 1814. Jusqu’à cette date et à chaque appel, au nom de La Tour d’Auvergne, le plus ancien des grenadiers présents répondait mort au champ d’honneur.
Cette urne repose maintenant aux Invalides.
Ses cendres, elles, furent plus tard déposées au Panthéon.

Si après votre promenade rue de Rivoli vous poussez jusqu’à l’Arc de Triomphe, en haut des Champs-Élysées, regardez bien sous la 18ème colonne du monument, vous y trouverez son nom.
La France lui doit cette histoire et le mot menhir.


1 commentaire:

  1. Atlantis, quand je te lis c'est toujours la même chose : il me prend l'envie de traverser le Rhin et de sabrer le premier uhlan venu.
    Vive l'Empereur !

    RépondreSupprimer