24 janvier 2007

Le DOL...

Les enfants de Don Quichotte ont « gagné ». Ils ont obtenu du gouvernement qu’il se bouge sur la délicate question du logement : augmentation du parc des logements sociaux, création de nouveaux centres d’accueil palliant l’urgence SDFique, mise sur le tapis de poker menteur législatif du droit au logement opposable. L’abbé Pierre, lui, a cassé sa pipe et Jack Lang s’en est ému à la radio, rappelant l’urgence de régler le problème du logement et le scandale d’un gouvernement passif, juste avant que les animateurs lui rappellent que le problème ne date pas d’hier et en particulier pas du dernier mandat des socialos mais à vrai dire du premier… Qu’il fait bon d’être socialiste dans les beaux quartiers…



Squat de Jack



Le « droit opposable au logement » (DOL, héhéhé). Oula ! Ça fait peur. Opposable ? C'est-à-dire ? C’est-à-dire que l’on peut faire valoir un droit auprès d’un tiers que l’on qualifiera de responsable. Oula ! Quel tiers ? Pas un particulier proprio tout de même ?! Non, non. On a tremblé un peu mais c’est l’Etat bien sûr qui se verra opposer ce droit, soit le contribuable, cette entité individuelle de masse qui se doit d’être toujours solidaire, celle qu’on appelle « Nation » dans le Préambule de la Constitution de 1946. C’est sa très éminente responsabilité à elle… Que l’Etat soit le plus gros propriétaire foncier de France n’est pas le problème…

En d’autres termes, le logement est en passe de muter en un dû, avec contentieux devant la juridiction administrative en cas de non effectivité. L’Etat passe donc en la matière d’une obligation de moyens à une obligation de résultat, de l’objectif à valeur constitutionnelle au résultat constitué. A première vue technique, c’est une avancée sociale indéniable. Une nouvelle mesure sociale qui n’est pas du fait du PS qui n’aurait décidément pas le monopoly du coeur…

Vous êtes sur la rue de Rivoli, vous me devez 60 000 !… A seconde vue technique, nous avons bien évidemment matière à nous poser des questions… Notamment à la lecture du Préambule de la Constitution de 1946 qui a valeur constitutionnelle (décision du Conseil Constitutionnel sur la liberté d’association du 16 juillet 1971). Ses alinéas 10 et 11 disposent : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. » Aucune trace explicite du droit au logement mais il peut être compris dans les « conditions nécessaires au développement » et dans la « sécurité matérielle », voire les « loisirs »... AHA ! La question est : quelle portée peut avoir une garantie constitutionnelle en la matière ?

En pratique, Conseil Constitutionnel et Conseil d’Etat font la part des choses en lâchant souvent la proie solidaire pour l’ombre individualiste. Ils combinent, arbitrent les différents droits et les différentes libertés à valeur constitutionnelle. Par exemple, droit de grève et principe de continuité du Service Public. Et il a fallu attendre 1979 pour que le CC tranche en faveur du service minimum et encore une bonne vingtaine d’années pour en bénéficier… Rapport au DOL, on sent poindre à l’horizon un conflit avec le droit de propriété, garanti constitutionnellement (c’est un droit de l’homme de la Déclaration de 1789 qui appartient au bloc de constitutionnalité, le droit de l’homme par excellence même).

Quid de la Genèse du DAL ? C’est la Loi Quilliot du 22 juin 1982 qui la première a proclamé le droit au logement (« le droit à l'habitat est un droit fondamental »), la loi Mermaz du 6 juillet 1989 ayant entériné son acte de naissance sous la forme d’une obligation de moyens (« Le droit au logement est un droit fondamental ; il s'exerce dans le cadre des lois qui le régissent"). La loi Besson du 31 mai 1990 avait pour but de le rendre effectif (« Garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation »). Nous sommes à ce stade dans la pure anaérobie des bons sentiments, dans l’effort solidaire (t’as fait tes devoirs de solidarité ?), dans l’obligation de moyens, dans la propagande bonne volontaire…

racaille



A droit proclamé, il faut des outils. Un comité me direz-vous ? Oui, un comité. Par décret du 14 juillet 1992, fut créé le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, actuellement animé par Henri Emmanuelli. Il fut créé à la suite du « chantage » médiatique du bon abbé qui en a vu des têtes de cons depuis hiver 54, invité à être élevé bassement temporellement à la dignité de Grand Officier de la légion d’Honneur. Ce comité a à ce jour rédigé une dizaine de rapports et il est à l’origine de l’orientation sémantico juridique actuelle, troquant en 2003 la "couverture logement universelle" du Conseil national de l'habitat (2001), pour le « droit au logement opposable ».

Logements sociaux



Et les enfants de Don Quichotte passèrent par là avec leur attirail estampillé « le vieux campeur » ou Décathlon. Le coup de projecteur fut de feu et aboutit donc au projet de loi qui nous intéresse dont l’objet est :

de faire garantir par l’État le droit au logement de toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et stable, n’est pas en mesure d’accéder par ses propres moyens à un logement décent et indépendant ou de s’y maintenir ;

d’ouvrir la possibilité de saisir sans délai la commission de médiation à deux nouvelles catégories de personnes défavorisées : personnes privées de logement, familles avec enfants logées dans des logements indécents ou vivant en situation de sur-occupation. Cette commission désigne ceux des demandeurs déclarés prioritaires dont la demande de logement doit être satisfaite d’urgence. Elle examine également le cas des personnes sollicitant un accueil dans une structure adaptée (foyer d’accueil, résidence sociale,•••) ;

d’ouvrir un recours devant le juge administratif à toute personne dont la demande de logement n’a pas reçu une réponse correspondant à ses besoins et ses capacités, dès lors que cette demande a été regardée comme prioritaire et urgente par la commission de médiation. Le recours devant la juridiction administrative est dirigé contre l’État. Le juge peut ordonner sous astreinte le logement, le relogement ou l’accueil dans une structure adaptée.

Bien évidemment, le projet de loi prévoit la création d’une autorité administrative indépendante. Ça fait toujours bien d’avoir une « AAI » dans son sac à malices.
Le calendrier est à deux étapes : le recours sera ouvert fin 2008 aux personnes dans les situations les plus difficiles et à partir du 1er janvier 2012, à toute personne et toute famille logée dans des habitations insalubres ou indignes. Naturellement, la loi nous semble devoir être votée avant la grande échéance démocratique utile de 2007. Sinon ? Sinon rien. Le DOL est inscrit aux projets socialiste et sarkozyen. Mais Chirac se prépare une belle sortie humaniste de mandat, une belle compresse sur la fracture sociale de la jambe de bois de la République. L’UMP lui offre comme cadeau de pot-de-vin de départ une image de grand promoteur de « la France des propriétaires ».

La question est : est ce réalisable ? Est-ce une loi raisonnable, réaliste ? Et les réactions se sont multipliées pour dénoncer un leurre politique. Jean-Yves Mano, adjoint au maire de Paris y est allé d’un argument budgétaire : " On nous parle de mobilisation gouvernementale pour le logement alors que le budget national qui y est consacré a baissé de 2,7 % en 2007. » De plus, il réclame de se doter d’outils légaux supplémentaires en transférant aux préfets le devoir de délivrer les permis de construire des logements sociaux. Marie-Ségolène y est allée de sa diatribe : "ça n'est pas applicable, c'est une forme de tromperie". Maud Tallet, maire communiste de Champs-sur-Marne a quant à elle exprimé l’inutilité de cette loi, expliquant qu’il n’y avait qu’à faire appliquer la loi « SRU » (solidarité et renouvellement urbains, datée du 13 décembre 2000) obligeant les communes à construire 20% de logements sociaux sur leurs territoires et rappelant que Neuilly-sur-Seine n’en compte que 1,6%. Au centre on n’est pas en reste : le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde ayant dit : «Moi, j'ai 2700 demandeurs de logement dans ma commune. Je n'ai aucun logement à leur donner. Et alors ? On fait quoi ? On me condamne ? Et ça avance à quoi ? C'est une vaste escroquerie politique en période électorale ! L'Etat ferait mieux de s'attaquer au prix du foncier ! ». Le Pen quant à lui a fustigé la violation du DOL au droit de propriété en bon juriste qu’il est.

En vérité, la question est : nous prend-on encore sur ce coup-ci pour des cons ? La réponse est oui, invariable. Voici donc un nouvel olivier planté pour cacher nos forêts déboisées. Imaginez un peu la charge de travail pour la juridiction administrative. Dantesque. Dantesque aux niveaux du temps et du coût. Pendant ce temps, aucune mesure n’est à l’ordre du jour concernant l’immobilier. Les prix ne cessent de flamber quand la seule personne capable d’acheter à des prix raisonnables en France s’appelle l’Etat : expropriation for ever.

Le droit à l’emploi est référencé de manière explicite dans l’alinéa 5 du Préambule de 1946 « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Il s’entend donc de manière négative car il est appréhendé dans le cadre de la discrimination. Aucune obligation de résultat quant au droit à l’emploi en tant que tel. Normal : il serait aussitôt crucifié sur l’autel des réalités économiques pétrolifèrement électrochoquées nous dit-on depuis trente ans. On est au moins sûr en la matière que jamais la démagogie n’ira jusqu’à rendre le droit au travail opposable en tant que tel.

3 commentaires:

  1. Mon dieu quel fougue !
    Faut que je te paye un pot pour te récompenser de temps de verve engagée !
    Encore bravo.

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  2. Christ conseiller juridique du CGB !

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