29 décembre 2006

Mélancolie et cavalerie légère


Jeune officier désabusé qui embrassa par hasard la carrière militaire, Michaïl Iouriévitch Lermontov fut l’étoile filante de la poésie russe du 19ème siècle. Superbement tourmenté, il nous a laissé de magnifiques poèmes et certainement l’un des plus beaux romans autobiographiques de la littérature européenne avant de se faire tuer en duel à l’âge de 26 ans.

C’est le 14 octobre 1814, à Moscou, que vient au monde le fils de Yuri Lermontov, capitaine à la retraite et de Maria Lermontova. Une mère que le garçon ne connaîtra jamais car la pauvre mourra lorsque Michaïl sera âgé de trois ans. C’est sa grand-mère, Elizaveta, qui va pourvoir à son éducation et le couvrir d’amour.

De santé fragile, le jeune garçon va faire, entre 1820 et 1825, des cures thermales aux sources de Pyatigorsk dans le Caucase. Une région qui, par ses magnifiques paysages, son folklore, ses chants, la vie rude de ses serfs et les révoltes de ses paysans allait avoir une importante influence tout au long de la vie du poète. C’est d’ailleurs les montagnards du Caucase qui vont inspirer à l’adolescent de 14 ans son premier poème : Cherkesy.



Autoportrait de Lermontov


On le retrouve à Moscou, sa ville natale en 1827 où sa grand-mère va l’inscrire au pensionnat pour élèves nobles, en préambule à l’université de Moscou. Il y commencera sa carrière de poète en suivant les traces de son idole, Lord Byron. On reconnaît d’ailleurs la patte du poète britannique dans ses poèmes Cherkesy et Prisonnier du Caucase.
Deux ans plus tard il publie, à 16 ans, son premier poème, Printemps.
C’est durant cette même année, 1830, qu’il va faire son entrée à la prestigieuse université de Moscou.
Bien qu’elle soit réservée aux nobles, l’université fourmille de jeunes idéalistes qui se perdent en discussions politiques et philosophiques. On y parle avec indignation des conditions de vie misérables de serfs mais surtout de la récente révolte des Décembristes, ces idéalistes qui, cinq ans plus tôt, avaient tenté de détrôner le Tsar Nicolas 1er au profit de son frère Constantin dans le but d’introduire un régime constitutionnel en Russie.


Le Tsar Nicholas 1er

C’est baigné de cette sulfureuse atmosphère que le jeune Mikhaïl va s’adonner à l’écriture. Poésies lyriques, longs poèmes en prose et en vers et tragédies se succéderont sous sa plume. La tragédie Un homme étrange, reflètera admirablement les mœurs de la société estudiantine moscovite où l’on déteste allégrement le despotisme du Tsar et l’archaïsme lié à la condition des serfs.

Lermontov devient de plus en plus rebelle et insolant et en 1832, après une dispute ouverte avec l’un de ses professeurs il est renvoyé de l’université. Ne sachant pas trop quoi faire, il se rendra à Saint Petersbourg pour intégrer l’école des Cadets. En 1834 il en sort avec le grade de sous-lieutenant porte étendard.


Elèves de l'école des Cadets en 1888



A 20 ans il est muté dans un régiment de hussards de la garde à Tsarskoye Selo, en banlieue de Saint Petersbourg. Il va traîner son sabre et ses bottes sur les pavés de la capitale impériale où les excès de la vie aristocratiques vont tant le dégoûter qu’il les épinglera au vitriol dans une pièce, Mascarade. Il va également tomber, pour son malheur, éperdument amoureux d’une certaine Varvara Lopukhina. La jeune femme lui brisera le cœur en l’ignorant copieusement. Cet amour déçu, qui va le poursuivre toute sa vie, lui inspirera, entre autres choses, le poème La Duchesse Ligovskaya.

En janvier 1837, la mort du poète Pouchkine, tué en duel par un officier étranger au service du Tsar, va énormément ébranler notre jeune officier. Au nom du peuple russe, il écrira une élégie où il pleure la mort du poète en dénonçant son assassin mais également en tenant pour responsable la cour impériale qu’il considère comme la véritable coupable car elle n’est rien d’autre que le bourreau de la liberté. Ces vers firent tant de bruit qu’ils arrivèrent sous les yeux du Tsar Nicolas 1er. La sentence ne se fit pas attendre. Lermontov fut immédiatement placé aux arrêts de rigueur puis exilé dans le Caucase.


Montagnes du Caucase peintes par Lermontov

En croyant le punir, la cour allait, en fait, lui rendre un fier service. Heureux de quitter la trop snobe Saint-Pétersbourg pour retrouver la région qui avait enchanté son enfance, Lermontov y rencontrera des gens extraordinaires.
D’abord ce sont les Décembristes, que l’on a exilés dans le coin et avec qui il partage ses idées politiques. Il va également fréquenter l’intelligentsia géorgienne par le biais du poète Ilia Chavchavadze dont la fille a épousé le dramaturge, poète et diplomate russe Aleksandr Sergeryevich Griboyedov. Bref, Lermontov est dans son monde et le Caucase inspirera grandement ses écrits, ses dessins et ses peintures. Il se plonge dans la culture locale et ira même jusqu’à traduire le comte azerbaïdjanais Ashik Kerib.


Illustration originale du roman Un Héros de Notre Temps

Sous l’influence combinée de sa grand-mère et du poète Zhukovsky, Lermontov obtiendra la permission de retourner à Saint Petersbourg en 1838. Ce retour en grâce lui permettra de publier de nombreux poèmes dont Le chant du Tsar Ivan Vassilièvitch et du jeune Grischnik, le poème satyrique La femme de l’officier payeur, et surtout le magnifique poème Le démon, dont il avait commencé l’ébauche à 15 ans.

Il va vite acquérir une notoriété telle que la Russie verra en lui le successeur de Pouchkine. Il fréquente les cercles littéraires, va voir les femmes s’intéresser soudain à lui et sera même reçu en 1840 par l’éminent critique Belinsky qui reconnaîtra en lui pas moins que l’avenir de la littérature russe.
A 26 ans, le jeune officier est devenu l’icône littéraire de la capitale impériale.

Ses écrits, poétiques ou non, sont autant de critiques réalistes et acerbes de ce monde moderne qui commence à montrer sa face hideuse. Le paroxysme viendra avec son roman autobiographique Un héros de notre temps, roman psychologique où il se met en scène sous les traits de Pietschorine, un jeune officier admirateur de Byron, farouche, désolé et cynique qui analyse avec de magnifiques accents de tristesse et de révolte et un réalisme alors jamais vu le contexte social de la société russe.
On sait aujourd’hui que ce petit roman a eut une influence considérable sur le développement de la littérature russe moderne.

Mais Lermontov dérange et en février 1840 on prend comme prétexte son duel avec le fils de l’ambassadeur de France pour le faire passer en cours martiale. Sous les ordres directs de Nicolas 1er, Lermontov est de nouveau exilé dans le Caucase, cette fois auprès d’un régiment d’infanterie, ce qui est à l’époque, l’ultime humiliation pour un officier de cavalerie. De plus, ce régiment va bientôt se retrouver en guerre. Lermontov va, pour la première fois de sa vie, participer à des combats, dont la sanglante bataille de la rivière Valerik. Il se distinguera par son courage et recevra les éloges de l’état major.


Bataille de Valerik

De nouveau, c'est grâce à l’influence de sa grand-mère que Lermontov obtiendra une permission en février 1841. Il revient donc à Saint Petersbourg pour écrire de nouveaux poèmes (Mère patrie, Valérik, Et je fus aimé) et même créer sa propre revue. Hélas, il recevra bien vite l’ordre de rejoindre son régiment et devra quitter la capitale le cœur plein d’amertume. Sur ce long chemin du retour il sera être extrêmement prolifique et écrira sur son carnet de route de nombreux poèmes. Se seront ses derniers.



Quelque peu souffrant, Lermontov fit halte aux thermes de Pyatigorsk pour se soigner. L’endroit était infesté de jeunes saint petersbourgeois qui connaissaient sa réputation et le jalousaient. L’atmosphère vira vite à l’intrigue, au scandale puis à la haine et ce qui devait arriver arriva. Une dispute éclata entre Lermontov et un autre jeune officier du nom de Martynov. Les deux hommes réglèrent le différent en duel. Lermontov y fut tué net, d’un coup de pistolet, à 26 ans. Deux jours après on l’enterrait au cimetière municipal, toute la ville était à ses funérailles. Un an plus tard, son cercueil fut inhumé et déposé dans le caveau familial. Ainsi mourut l’avenir de la littérature russe.


Monument de Lermontov à Moscou


6 commentaires:

  1. Merci Atlantis.

    Le XIXème siècle russe est fascinant.

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  2. Un sombre Esprit, un exilé
    Sur notre terre pécheresse
    Planait, quand l'essaim désolé
    Des souvenirs soudain se presse
    Devant le voyageur ailé.
    Il revoit les jours d'allégresse
    Où, Chérubin resplendissant,
    La comète ardente, en passant,
    De sa crinière lumineuse
    L'effleurait en le caressant ;
    Les temps où, dans la nuit brumeuse
    De l'éternelle immensité,
    Du désir de savoir hanté,
    Avide, il suivait à la trace
    Les caravanes de l'espace...

    1829
    M.Lermontov " Le Démon"

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  3. Quand je te vois sourire,
    Mon coeur s’épanouit,
    Et je voudrais te dire,
    Ce que mon coeur me dit!

    Alors toute ma vie
    A mes yeux apparaît;
    Je maudis, et je prie,
    Et je pleure en secret.

    Car sans toi, mon seul guide,
    Sans ton regard de feu
    Mon passé paraît vide,
    Comme le ciel sans Dieu.

    Et puis, caprice étrange,
    Je me surprends bénir
    Le beau jour, oh mon ange,
    Où tu m’as fait souffrir!...

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  4. Non, si j’en crois mon espérance,
    J'attends un meilleur avenir.
    Je serai malgré la distance
    Près de vous par le souvenir.
    Errant sur un autre rivage,
    De loin je vous suivrai,
    Et sur vous si grondait l’orage,
    Rappelez-moi, je reviendrai.

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  5. Je l’attends dans la plaine sombre;
    Au loin je vois blanchir une ombre,
    Une ombre qui vient doucement...
    Eh non! - trompeuse espérance-
    C’est un vieux saule qui balance
    Son tronc desséché et luisant

    Je me penche et longtemps j’écoute:
    Je crois entendre sur la route
    Le son qu’un pas léger produit...
    Non, ce n’est rien! C’est dans la mousse
    Le bruit d’une feuille que pousse
    Le vent parfumé de la nuit.

    Rempli d’une amère tristesse,
    Je me couche dans l’herbe épaisse
    Et m’endors d’un sommeil profond...
    Tout à coup, tremblant, je m’éveille:
    Sa voix me parlait à l’oreille,
    Sa bouche me baisait au front.

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  6. Ce voilier tout blanc, solitaire,
    Qui dans le brouillard bleu s'enfuit
    Qu'a-t-il besoin d'une autre terre?
    Qu'abandonna-t-il après lui?

    Son mât sur l'onde vagabonde
    S'incline et grince dans le vent
    Hélas! point de bonheur au monde
    Ni derrière lui ni devant

    Pour le porter la mer est belle
    Le soleil brille au firmament...
    Mais lui réclame, le rebelle,
    L'orage, cet apaisement.

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