1 décembre 2006

Léon Bourgeois ou le père du solidarisme


Léon Bourgeois constitue l’une des grandes figures du Parti Radical de la fin XIXe-début XXe siècle. Pionnier de la Société des Nations (l’ancêtre de l’ ONU), il est aussi l’un des pères du concept de "solidarisme".



Léon Victor Auguste Bourgeois (1851 Paris - 1925 Epernay) demeure un des "oubliés" notable dans le panthéon des radicaux de la III e République (Gambetta, Clémenceau, Herriot, Daladier).

Docteur en droit, Léon Bourgeois entre dans l’administration préfectorale et devient prefet de police à 36 ans. Elu député radical de la Marne, il se consacre alors à la politique ce qui va le mener à être plusieurs fois ministre de l’Intérieur, de l’Instruction Publique, de la Justice d’abord, puis il est nommé président du Conseil par Félix Faure en novembre 1895 avant d’occuper les postes de ministre des Affaires étrangères ou du Travail et de la Prévoyance sociale au début du XX e siècle pour terminer président du Sénat et de la Haute Cour de justice au soir de sa vie (1920-1925).

En outre, il est l’un des pères de la Société des Nations (dont il est le président à sa formation en 1919) ce qui lui vaut un prix Nobel de la Paix en 1920.

Mais la grande oeuvre de Léon Bourgeois, grand érudit et franc-maçon éminent c’est le solidarisme.


DES ORIGINES DU MOT SOLIDARITE

Le solidarisme est une doctrine issu du mot "solidarité" dont l’introduction ne date que du début du XIXe siècle :

La fréquence de l’usage actuel du terme "solidarité" ne doit pas nous faire oublier le caractère relativement récent de son acception actuelle. Le droit romain avait établi les obligations "in solidum" des créanciers (chacun pouvant agir pour tous) et des débiteurs (chacun étant responsable de tous) mais l’ancien droit français avait traduit le terme de "solidité".

C’est seulement le Code civil de 1804 qui officialise le terme en énumérant dans le chapitre consacré aux obligations les divers cas de solidarité entre créanciers et débiteurs.

Ce concept juridique à l’origine va être introduit dans le vocabulaire philosophique, social et économique par Simond de Sismondi en 1819 dans ses "Nouveaux principes d’économie politique" [1] en premier lieu, puis par le pré-socialiste Pierre Leroux qui revendique dès 1841 cette innovation terminologique [2] :

"J’ai le premier emprunté aux légistes le terme de solidarité pour l’introduire dans la philosophie, c’est à dire selon moi, dans la religion. J’ai voulu remplacer la charité chrétienne par la solidarité humaine."

On peut cependant douter de sa "paternité", tant la généalogie puis le parcours de ce terme est complexe, épousant parfois des visions totalement opposées : on trouve le concept de solidarité chez les socialistes utopiques comme Fourier mais aussi chez les traditionalistes contre-révolutionnaires : c’est ainsi que l’on trouve une branche solidariste au sein du Front national jadis représentée par les époux Stirbois.

Il n’en reste pas moins que c’est bien à partir des années 1840 que l’idée de solidarité s’impose vraiment en sciences sociales.


LE SOLIDARISME DE LEON BOURGEOIS

C’est en 1896 que Léon Bourgeois publie une série d’articles dans "La Nouvelle Revue" qu’il regroupe ensuite dans un recueil dénommé "La Solidarité" [3]. Il complète ensuite cette ouvrage en 1902-1903 par "Esquisse d’une philosophie de la solidarité" [4] et "Applications sociales de la solidarité" (oeuvres tirées d’une série de conférences-débats à l’ Ecole des hautes études sociales). Ces trois ouvrages constituent la clé de voûte de sa doctrine : le "solidarisme".

Léon Bourgeois part du postulat qu’il existe des solidarités inévitables issues de la division du travail, de l’hérédité, à l’histoire, ce qui le mène à affirmer que chacun est redevable de sa situation aux autres hommes, passés et présents, et plus généralement à la société qu’ils composent :

"L’homme ne devient pas seulement au cours de sa vie débiteur de ses contemporains ; dès sa naissance, il est un obligé. L’homme naît débiteur de l’association humaine." [5]

Cette idée de "dette sociale" est bien la pierre angulaire du solidarisme, l’homme se doit de restituer ce qu’il a reçu sur une base contractuelle.

Ainsi des applications sociales doivent sous-tendre cette idée de "dette sociale", en premier lieu un enseignement gratuit à tous les degrés car la connaissance est une oeuvre collective à laquelle chacun doit avoir accès ; ensuite un minimum d’existence garanti (un dividende universel) ; enfin une assurance contre tous les risques de la vie sur une base mutualiste.

Cette dette sociale doit être complétée par une morale laïque assurant la liberté de tous les individus qui forment la communauté nationale.


CRITIQUES DU SOLIDARISME

La doctrine solidariste ne fut pas exempte de critiques. A l’extrême-gauche d’une part, qui n’y vit qu’un replâtrage petit bourgeois de la société capitaliste ne touchant pas à la société de classes. Les libéraux, inquiets de voir une philosophie politique concurrente du libéralisme, infléchissant une autre reflexion sur le rôle de l’individu et de sa responsabilité, fustigèrent très vite le "péril socialiste" existant dans le solidarisme (Pareto en particulier).

Enfin, des dissensions ont existé au sein même de la mouvance solidariste et en particulier avec l’école économique des solidaristes-interventionnistes (ou coopératistes) revendiquant une méthodologie inductive et historicisante, une pragmatique centrée sur les questions sociales et l’intervention de l’ état. Ainsi, Charles Gide critique les modalités du solidarisme version Bourgeois : quels sont les critères d’évaluation des dettes et des créances ? Mais aussi sur le fait que la solidarité n’est qu’une charité chrétienne laïcisée, ou qu’en poussant sa logique Bourgeois ne serait pas loin du communisme.

Le Solidarisme a donc connu son heure de gloire au début du XXe siècle, au point que l’on a surnommé cette doctrine de "philosophie officielle de la troisième République" (Bouglé) elle n’a pourtant pas survecu à la mort de son fondateur Léon Bourgeois en 1925. Elle n’en demeure pas moins une théorie sociale intéressante basée sur le contrat, quelque part entre Jean-Jacques Rousseau et John Rawls.

Les notes :

[1] SISMONDI (Jean-Charles-Léonard Simonde de). - Nouveaux principes d’économie politique ou De la richesse dans ses rapports avec la population, Düsseldorf, Wirtschaft und Finanzen, 1995, 2 vol.

[2] LEROUX (Pierre). - Anthologie des oeuvres de Pierre Leroux, Desclée de de Brouwer, 1977.

[3] BOURGEOIS (Léon). - La Solidarité , Félix Alcan, 1902.

[4] BOURGEOIS (Léon).-Esquisse d’une philosophie de la solidarité, Félix Alcan, 1902.

[5] BOURGEOIS (Léon).-Applications sociales de la solidarité, -Félix Alcan, 1902.


4 commentaires:

  1. Très bon article. Je crois que Léon Bourgeois fut un disciple "inavoué" de Flora Tristan. En tout cas il en est, d'une certaine manière, l'héritier.

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  2. Merci Atlantis... Flora Tristan a en effet eu une certaine influence sur la formation intellectuelle du jeune Bourgeois.

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  3. Oh putain arrêtez là c'est franchement obscène.

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  4. Les Solidays, c'est lui aussi ?

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