29 novembre 2006

Car je suis légion


Eclipsé par les figures emblématiques de Martin Luther King et Malcom X, le Jamaïquain Marcus Garvey fut pourtant le premier homme de couleur à rassembler un peuple disséminé de part le monde par l’esclavage. Prenant très tôt conscience de la misère dans laquelle croupissaient les noirs, il va, par la seule force de sa volonté, leur rendre une chose qui, au début du XXème siècle, leur était plus inaccessible que la lune : leur dignité.

Né le 17 août 1887 à Saint Ann’s Bay, en Jamaïque, Marcus Garvey est le petit dernier d’un famille de 11 enfants. Après avoir étudié à l’école locale il se leva des bancs d’écoliers à l’âge de 14 ans pour devenir apprenti imprimeur à Kingston. Le dur labeur auquel il va être confronté aux côtés de ses frères de couleur va vite lui faire comprendre la nécessité d’une amélioration de la condition des noirs.

En 1907, à l’âge de 20 ans, il dirigera la première grève des imprimeurs de Kingston en vue d’une amélioration des salaires et fondera son premier journal, The Watchman. C’est le début de carrière d’un militant à vocation internationale.

Afin de financer ses nombreux projets, Marcus visitera l’Amérique Centrale et l’Amérique du Sud dans le but d’organiser l’union des travailleurs agricoles de couleur. Partout, il verra des noirs payés au lance-pierres et écrasés de travail. Fort de cette expérience, il rentrera en Jamaïque afin de demander au gouvernement colonial britannique d’intervenir en faveur des Antillais d’Amérique Centrale mais sa proposition restera lettre morte. Devant cette indiférence, il mettra en place les fondations de la Universal Negro Improvement Association, une structure visant à aider les noirs par les noirs sans plus jamais dépendre du pouvoir blanc.

Mais en Jamaïque, son projet suscite, au début, peu d’enthousiasme, c’est la raison pour laquelle Marcus va, en 1912, faire un voyage en Angleterre. C’est à Londres qu’il rencontrera le journaliste Soudano-égyptien Duse Mohammed Ali et il va un temps travailler pour les revues de ce dernier, African Times et Oriental Review. Grâce à ce travail, Marcus découvrira l’Afrique et se fascinera pour sa culture et son histoire. C’est également à cette époque qu’il va lire Up from Slavery, de Booker T. Washington, un ouvrage qui prône l’autodétermination des peuples noirs et qui va avoir une grande influence sur le Jamaïquain.




En 1914, la Universal Negro Improvement Association (UNIA) va officiellement voir le jour et en 1916, Marcus fera son premier voyage aux États-Unis où il mettra en place le programme Back to Africa (retour vers l’Afrique), le but étant de créer un gouvernement et un état noir auto-dépendant au Liberia. Le succès fut au rendez-vous, notamment à New York où des milliers de personnes adhérèrent à l’UNIA. Marcus va alors publier le journal du mouvement, The Negro World, et va faire le tour des villes américaines en y implantant des succursales. En quelques mois, plus de 30 bureaux de la UNIA vont être ouverts. De plus, Marcus va se lancer dans d’ambitieuses affaires en créant la compagnie maritime Black Star Line, faite par et pour les noirs. Il va également fonder la Negro Factories Corporation, un organisme ayant pour but de faciliter l’indépendance économique des noirs, et la African Communities League.




Le succès de l’UNIA va largement dépasser les frontières américaines puisque 1.100 branches vont voir le jour dans plus de 40 pays dont, par exemple, Cuba, le Panama, le Costa Rica, l’Equateur, le Venezuela, le Ghana, la Sierra Leone, la Namibie et l’Afrique du Sud.




En 1920, l’UNIA organisera une conférence de 31 jours au Madison Square Garden de New York. Devant 25.000 personnes, Marcus y fera la lecture de la déclaration des droits des peuples noirs du monde. D’immenses parades auront lieu à Harlem où des hommes de couleur superbement harnachés et montés sur des chevaux escorteront Marcus en grand uniforme dans sa calèche. Garvey, qui s’est nommé président provisoire d’Afrique, va créer des titres de noblesse africaine. Ainsi seront promus des Chevaliers du Nil, des Ducs du Niger et d’Ouganda, des Chevaliers d’Ethiopie mais également des duchesses. Devant ce spectacle grandiose, la fierté revient aux noirs misérables de New York.




Marcus proposera à la Société des Nations de transférer l’UNIA vers les pays d’Afrique pris à l’Allemagne après la première guerre mondiale, une proposition qui n’aura aucune suite.
Ses activités et surtout, la popularité qu’elles suscitent auprès des populations noires d’Amérique, vont attiré sur Marcus les foudres de l’Attorney General Mitchell Palmer dont le jeune assistant est un certain J. Edgard Hoover. Dès lors, toutes les excuses seront bonnes pour entraver les succès de Marcus Garvey. Un de ses navires, le S.S. Yarmouth, va être saisi sous prétexte qu’il transportait du Whisky vers la Havane (c’est la prohibition). Puis on lance des cohortes d’agents du fisc pour trouver un défaut dans la machine Garveyenne.




Pendant ce temps, Garvey emprunte de l’argent pour commencer le rapatriement des noirs vers le Liberia. La nation noire a son drapeau, il est rouge, noir et vert. Mais le pouvoir colonial prend peur devant l’enthousiasme que suscite le charismatique leader de cette nouvelle cause. Début 1922, le journal Negro World est confisqué dans toute l’Afrique. En juin de la même année, Garvey va rencontrer le Grand Wizard du Ku Klux Klan, Edward Young Clarke. Les deux hommes se mettent d’accord. Le blanc, pour arrêter les lynchages, le noir, pour amener tous ses frères de couleurs en Afrique.

Hélas, la nouvelle de la rencontre va déclencher un tollé général parmi la communauté noire qui se sent trahie. De plus, l’UNIA entre en rivalité avec James Eason, chef de l’American Negroes. La solidarité entre noirs, prônée par Garvey s’effrite. Lorsque Eason est abattu à la Nouvelle Orléans en 1923, tous les soupçons tombent sur Garvey et de nombreux leaders noirs déposent une plainte contre lui auprès de l’Attorney General. C’est le début de la fin. La même année, on trouve enfin quelque chose à mettre sur le dos de Marcus, une fraude postale ! Pour cela, il va prendre 5 ans de prison. L’année suivante, le Liberia refuse d’accorder le moindre visa aux membres de l’UNIA. Le rêve touche à sa fin.

De nombreuses pétitions visant à libérer Garvey sont adressées au président Coolidge qui finira par le faire sortir de prison en 1927 mais seulement pour l’extrader du territoire américain. Garvey retournera à Londres où il établira le quartier général provisoire de l’UNIA. De retour en Jamaïque, il publiera le journal The Blackman. Malade, Garvey quittera son île natale pour s’installer définitivement dans la capitale britannique. Il y décédera des suites d’une hémorragie cérébrale en 1940.

On a souvent reproché à Garvey son ambition et une certaine mégalomanie alors qu’il ne fallait voir dans ses immenses parades new-yorkaises qu’une reconquête d’une fierté bafouée par le fantôme de l’esclavagisme. Il reste que ce premier leader noir a, par ses actions, ressuscité un peuple en pleine léthargie et que l’on peut dire sans crainte qu’il fut le géniteur de la Renaissance d’Harlem, ce mouvement qui allait accoucher de nombreux intellectuels noirs américains. Pour cela, l’héritage de Marcus Garvey restera d’une importance capitale.

10 commentaires:

  1. Garvey au CGB, Nina Simone à Casablancasylum, tiens...? Une ébauche de cohérence entre incohérents?

    Bon taf en tout cas Atlantis !

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  2. Votre post est partisan : vous voulez faire croire que tout est pur dans les intentions de cet homme, mais je crois que vous faites fausse route. La gestion du potentiel politique né de l'enthousiasme que sa démarche a suscité chez les noirs américains a été si minable, que le rêve a viré au cauchemar : magouilles fiancières, luttes de pouvoir, parodies de représentation, gabegie incessante... On y retrouve, mille fois hélas, tous les maux de l'Afrique, Libéria compris. N'oubliez pas que c'est un des pays les plus déshérités de la planète, ravagé par la guerre civile. Votre gars était cent fois plus proche d'un Bokassa que d'un Martin Luther King ! De plus, il prône la séparation des communautés, ce qui n'aurait pas déplu aux boers sud-africains... et d'ailleurs, le KKK ne s'y est pas trompé ! En ce sens, sa démarche l'a mis, avec ses partisans, en marge du mouvement d'émancipation des Noirs américains - d'origine religieuse -, le seul qui ait réussi à produire une élite noire dans le monde, aux États-Unis précisément (même si cela doit fâcher certains universitaires hexagonaux qui nous rebattent sans cesse mes oreilles avec Sengor et Houphouët... mais quel est leur legs politique ???). Ce personnage a été manipulé politiquement par les Anglais, puis les Américains, avant d'être activement corrompu, pour ne pas dire vendu.

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  3. Kalle vous oubliez (volontairement certainement) ce qu'étaient les années 20 pour un noir américain. Je ne fais pas l'apologie d'un homme mais de son héritage. Pour ça oui je suis "partisan" comme vous dites. Evidemment qu'il prône la séparation des communautés ! A l'époque on ne voyait pas d'autre solution. Et je ne vois pas en quoi il a été manipulé par les Anglais et les Américains. Comme tous les rêves, le sien s'est mal terminé, je ne dis pas autre chose.

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  4. Qu'il me soit permis de continuer :
    si je vous lis bien, on ne peut trouver de racines historiques aux mouvements d'émancipation noirs ? Très différents de celui que vous évoquez — sinon opposés, les mouvements apolitiques furent pourtant actifs et soutenus, dès les années 20 et d'abord dans les états agricoles du Sud, par l'église et certaines communautés chrétiennes blanches. Il faudra, c'est vrai, attendre la fin des années quarante, et surtout l'expérience de la guerre, pour arriver vers des mouvements politiques, voire idéologiques. Néanmoins, la trame du discours relatif aux droits constitutionnels de la communauté noire américaine est née à la fin des années 20, de manière assez indirecte, lorsque cette communauté commence à être massivement sollicitée pour des emplois industriels. Il apparaît alors une inégalité de traitement avec les ouvriers et manoeuvres blancs qui va inspirer le monde syndical et militant, puis s'étendre aux droits fondamentaux liés à la personne des Noirs.
    Vous dites en outre qu'à l'époque, on ne voyait pas d'autres solutions que la séparation des communautés : c'est vrai sans l'être, puisqu'au final blancs et noirs se sont mis d'accord pour en finir (certes très progressivement) avec la ségrégation. En fait, quand on analyse la question des droits des Noirs à partir du milieu des années 50, on réalise que la poussée de l'instance fédérale dans l'ensemble des états a permis la déchéance d'un certain nombre de lois ségrégationnistes. D'où l'écart terrible entre les lois fédérales dites d'émancipation qui établissaient l'égalité de traitement entre les communautés, et la réalité du terrain — les mentalités — qui ont mis beaucoup plus de temps à évoluer... dans les deux camps d'ailleurs.
    Merci en tout cas de faire connaître ce personnage somme toute assez anecdotique, mais intéressant une fois mis en perspective.

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  5. Mais je ne dis pas autre chose dans ce portrait !
    D'ailleurs mon prochain billet sera sur Nat Turner, le 1er révolté d'Amérique qui malgré ses exactions conserve un côté Jeanne d'Arc assez sympathique.

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  6. Et puis merde ! Excusez moi de trouver Garvey sympathique parce qu'il ne se couchait pas devant l'image pieuse d'un bon dieu blond aux yeux bleus ou d'un Mahomet barbu et esclavagiste pour rassembler son peuple !
    Je vous parle des années 20 et même d'avant bordel de merde !
    Qu'est-ce que vous venez étaler votre science en me donnant du 1940 et 1950 ?

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  7. Réfractaire au débat et à l'enrichissement intellectuel : c'est le propre des crétins.
    Dommage !

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  8. Pour relever le niveau, c'est ça ? T'as craqué, bibiche !
    Quand j'aurai des trucs intéressants à faire partager, je t'inviterai sur mon blog...

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  9. "la perfection de l'étanchéité de ton hermétisme" : arrête das Boote, bibiche, ça t'est monté à la tête... L'ivresse des profondeurs, sans doute.
    Je veux bien discuter entre nous, mais de quoi ? De la meilleure façon de fusiller un blog ?
    Merci pour mes mains : si je veux entrer à l'Académie, je sais que je peux compter sur p'tit coup de piston de ta part.
    Ah, et puis... Bien entendu, tu peux m'appeler Jean.

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  10. Il est temps que la semaine se termine, il m'a l'air bien fatigué.
    Mon coneil de vendredi pour lui : une soupe, une pipe et hop, au lit !

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