25 octobre 2006

Un sabre, une plume, une boussole.


Généralement, lorsque je demande : “Vous connaissez Richard Burton ?” on me parle de l’amant de Liz Taylor. Pourtant mon Richard Burton a vécu au XIXème siècle et il était d’une autre trempe que l’acteur gallois. L’histoire a connu peu d’homme aussi brillant que ce personnage extraordinaire.




Richard Burton est né dans le comté d’Hertfordshire, en Angleterre, le 19 Mars 1821. Sa famille était d’origine irlandaise, ce qui était loin d’être un avantage à l’époque, et son père était colonel dans l’armée britannique. Très tôt, Richard se révéla d’un caractère épouvantable. Il aimait, par exemple, piquer le fusil de son paternel pour faire sauter les vitraux de l’église locale. On imagine comme les parents devaient être fiers de lui ! Cela ne s’arrangea pas avec l’adolescence. A cette époque, Richard et son frère fréquentèrent dans le désordre et avec la même assiduité les pubs, les salles d’escrime, les tables de jeux et les camps de gitans avec qui ils adoraient se pochtronner à tout bout de champ.
Sa famille passa beaucoup de temps en France où Richard entra dans tous les bordels qui croisaient son chemin. Très doué pour les langues, il maîtrisa très tôt la langue de Molière et l’italien.

Richard entra à Oxford à “reculons” où il terrorisa professeurs et élèves. Il intimidait les premiers par sa moustache de ruffian et sa grande taille et provoquait les seconds en duel à tort et à travers. Il faut préciser que Burton fut reconnu pour être l’une des (si ce n’est la) plus fines lames de tout le Royaume Uni.

Ses frasques à répétitions finirent par le faire renvoyer (ainsi que plusieurs de ses camarades) du prestigieux établissement, officiellement, pour avoir fréquenté trop assidûment les champs de course. Comme il ne fera jamais rien comme les autres, il va quitter l’université en fanfare ! Il attela une carriole et fit plusieurs tours d’honneur, de nuit et autour des dortoirs, en sonnant du clairon. On ne pouvait être plus heureux de s’être fait virer de la meilleure université d’Angleterre.


Richard et sa soeur avant l'armée des Indes


A cette époque, lorsque l’université ne veut plus de vous il ne reste qu’une chose à faire. Il s’engagea donc dans l’armée des Indes à 21 ans et fut muté dans la vallée du Sindh où, très vite, il trouva sa véritable vocation : l’étude des hommes. Il aimait vivre avec les Musulmans et s’initia, durant son séjour de huit ans, à un nombre hallucinant de langues et de dialectes. Pour n’en citer que quelques unes, il apprit l’iranien, l’hindustani, le sindhi, le pashto et surtout l’arabe qui devint vite, pour ainsi dire, sa deuxième langue natale.

En Inde, Burton se comporta comme en Angleterre, c’est à dire en excentrique. Il adopta plusieurs singes femelles qu’il baptisa de noms de Ladies. Il avait l’habitude de dîner avec elles en présentant une telle comme sa femme, l’autre comme sa maîtresse etc. L’état major, on peut l’imaginer, apprécia moyennement. Le scandale arriva lorsqu’on lui demanda de mener une enquête sur les bordels pour garçons. Il fit un rapport très complet où il annonçait que 80% des clients étaient des officiers anglais. Le haut commandement tenta d’étouffer l’affaire en vain et bientôt ce fut tout le Royaume qui fut mis au courant des mœurs de ses officiers.



Devenu officier de l’Intelligence Service, Richard Burton passa maître dans l’art du déguisement. Un art qui, lié sa pratique sans faille des langages étrangers, lui permettait de passer partout inaperçu, que ce soit dans les souks ou au bordel. Mais sa vie dissolue et ses origines irlandaises le firent mal voir par tous ses supérieurs et lorsqu’il tomba malade du choléra en 1850 il n’eut aucun mal à se faire rapatrier en Angleterre. L’armée des Indes le vit partir avec un soupir de soulagement.

Il partit en convalescence en France avec sa mère et sa sœur. Là, il écrivit, en trois ans, pas moins de quatre livres sur l’Inde. Il prépara également ce que je considère comme sa plus grande aventure : se faire passer pour un pèlerin arabe et visiter la Mecque. De nos jours, il est déjà interdit à tout non musulman de se rendre sur les lieux saints de l’Islam. Au XIXème siècle, ce petit jeu pouvait vous conduire au mieux à la décapitation, au pire, à la crucifixion. D’autres “infidèles” (deux à ma connaissance) s’étaient déjà rendu à la Mecque mais en tant qu’esclaves. Burton réalisa l’exploit de se faire passer pour un afghan durant tout le pèlerinage et surtout d’en revenir vivant. Il raconta cet extraordinaire voyage dans “Pèlerinage à Médine et à la Mecque”, un livre qu’il écrivit entre 1855 et 1856. C’est un ouvrage qui décrit si bien les us et coutumes des musulmans que l’on peut affirmer sans crainte que Richard Burton fut bel et bien le père de l’ethnologie, une science tout à fait inconnue à cette l’époque ou le mythe de la supériorité de la race blanche avait la vie dure.


Richard lors de son "pélerinage" à la Mecque


Avant de retourner en Angleterre Burton fit un crochet par la Somalie où il fut le premier blanc (là on en est sûr) à entrer dans la ville d’Harare où on avait l’habitude de mettre à mort sur-le-champ tout ce qui ne ressemblait pas, de près ou de loin, à un Musulman. Il consacra un autre ouvrage à ce voyage : “Premier pas en Afrique de l’Est”.

La communauté musulmane fut tout d’abord outrée d’apprendre qu’un infidèle ait pu souiller ses lieux saints mais Burton décrivit leur monde avec une telle passion que les muftis, réunis en délibération, vinrent à la conclusion qu’il ne pouvait être qu’Arabe et non Anglais. L’affaire n’eut donc aucune suite.


John Hanning Speke



En 1854, Burton retourna en Somalie mais cette fois avec trois officiers anglais dont John Speke, un grand chasseur un peu prétentieux mais avec qui Burton se lia d’amitié. Le but de cette expédition ambitieuse était de trouver les sources du Nil et elle tourna très vite au désastre. La troupe fut attaquée par une tribu féroce durant la nuit. Tous les porteurs et les deux officiers anglais furent tués. Seul Burton, Speke et un de leur guide (qui les suivra plus tard dans toutes leurs aventures africaines) s’en sortirent l’arme à la main mais dans quel état ! Une lance transperça la mâchoire de Burton de part en part et Speke fut grièvement blessé aux deux jambes. C’est par miracle qu’ils réussirent à revoir l’Angleterre cette année là.



En 1855, une fois remis, Burton se porta volontaire pour combattre les Russes en Crimée mais il ne fit qu’entraîner la milice turque et ne participa à aucune action militaire.
Une fois la guerre finie, une deuxième expédition africaine, qui durera deux ans, de 1857 à 1858, fut mise sur pied avec Speke. C’est durant ce périple qu’ils furent les découvreurs des lacs Tanganika et Victoria. Speke pensait, à raison d’ailleurs, que le lac Victoria était la source du Nil et les deux hommes entrèrent en désaccord sur ce point, car ils avaient perdu tous leurs instruments dans l’aventure. De retour à Londres, Speke tira un peu trop la couverture à lui et il finit par se brouiller pour de bon avec Burton.

Richard décida de changer d’air en partant pour l’Utah afin d’y visiter les Mormons. Ce qui est extraordinaire c’est que notre Burton, athée, grand buveur et bon vivant, entretint une relation très amicale avec le puritain mais polygame Brigham Young, chef spirituel de la communauté. Il résuma ce voyage et les mœurs des Mormons dans “La ville des Saints” en 1861. La même année, il épousa en secret une fervente catholique qu’il fréquentait depuis plusieurs années, Isabelle Arundelle. Là encore, on peut se demander comment ces deux là en vinrent au mariage.
Isabelle, une aristocrate en plus, était dévote jusqu’au ridicule alors que Richard aimait à raconter en société comment il avait coupé en deux, d’un seul coup de sabre, un cavalier arabe lors d’un duel équestre. Le fait est qu’ils restèrent ensemble durant 30 ans mais n’eurent aucun enfants.


Isabelle et Richard



Une fois épousée, madame fit pression sur son mari pour qu’il mette un frein à ses pulsions d’aventurier. Il entra donc au Foreign Office et devint consul à Fernando Po, une petite île espagnole au large de l’Afrique de l’Ouest. Mais Burton s’emmerda vite et la proximité des côtes africaines réveilla en lui les démons de l’aventure. Il fit donc de nombreux voyages en Afrique Occidentale qui donnèrent naissance à pas moins de cinq livres sur les rituels tribaux, le cannibalisme et, bien sûr, les rites sexuels les plus variés, ce qui fit évidemment scandale en Angleterre et qui à terme, poussa le Foreign Office à le muter ailleurs. Il mit également fin au grand mythe du gorille sanguinaire et violeur de femmes en en tuant un à coup de carabine. Comme il le dira lui même :
“Tout cela est faux. Le gorille n’est qu’un pauvre diable de singe comme les autres”.


Photo du Consul Richard Francis Burton


Envoyé au Brésil comme consul à Santos, il écrivit un livre, “Les montagnes du Brésil” et commença à traduire des contes hindous et les oeuvres du poète portugais Camoens (vous l’aurez compris, il parle maintenant couramment le portugais). Mais Burton ne se plaisait pas au Brésil et commença à boire comme un trou. Prise de panique, sa femme usa de ses relations pour le muter de nouveau ailleurs, en l’occurrence, à Damas. Burton, qui retrouvait “ses Arabes”, fut heureux en Syrie mais sa joie fut vite gâtée par l’intégrisme de sa femme qui considérait les Musulmans comme des païens et des sauvages. Elle fit tant de problèmes que son mari dut se résoudre à être muté une dernière fois.

En 1872, Burton se retrouve au consulat de Trieste, une ville où il finira sa vie. Il se mit à écrire comme un fou sur ses voyages, sur l’archéologie et commença à se concentrer sur ses propres poèmes. Ce géant couturé de cicatrice accoucha des plus beaux morceaux de poésie de l’ère victorienne. Il fit également des miracles en tant que traducteur et transposa en anglais les poètes latins, italiens, perses et pas moins de six volumes des poèmes de Camoens qu’il affectionnait particulièrement. Mais ce pourquoi il est resté le plus connu de nos jours sont ses traductions du Jardin Parfumé, des Mille et Une Nuits, de l’Ananga Ranga et du Kama Sutra. L’Angleterre victorienne en fut officiellement outrée mais tous ces livres se vendirent comme des petits pains et circulèrent “sous le manteau”.


Les traductions de Richard Burton ont encore un énorme succés


À la fin de sa vie, sa notoriété étant devenue légendaire, la reine Victoria le fit commandeur de l’ordre de St Michel et de St Georges, ce qui fit de lui un Sir. Il voulut refuser par bravade mais dû accepter sous les pressions de sa femme. De la même manière, le ministère de la guerre lui donna pour son “Manuel du maniement de la baïonnette”, ouvrage qui connu un succès considérable dans l’armée anglaise, une pièce d’une Livre ! A peine sorti du ministère à Londres, Burton donna cette pièce au premier mendiant qu’il croisa dans la rue.


L'une de ses dernières photos


Richard Burton s’éteignit à Trieste le 20 octobre 1890. Durant ses dernières heures, un rouge gorge venait constamment taper du bec sur le carreau de sa fenêtre. C’est à ce petit oiseau qu’il dédia ses derniers vers de poésie. À sa mort il parlait couramment 25 langues et plus de 15 dialectes.

2 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas ce Richard Burton là (pas plus que l'autre, d'ailleurs), mais la synthèse que vous en faites me laisse rêveur ... Et si R.Burton avait pu rencontrer Henry de Monfreid dans la Corne africaine ???

    Merci pour cette note !

    Taï Pan

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  2. Je ne saurais trop vous conseiller l'excellente biographie de Burton : Un Diable d'Homme de Fawn Brodie chez Phébus Libretto. Il y a également un bon film de 1990, les Sources du Nil (Mountains of the Moon en v.o.) avec Patrick Bergin dans le rôle de Burton qui relate les deux expéditions africaines avec Speke.

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