16 mai 2006
Vicente Verdu et le capitalisme de fiction
Voilà un petit livre intéressant et superbement ignoré par nos médiacrates de tous bords, dans son dernier opus traduit récemment, le journaliste espagnol Vicente Verdu nous livre une réflexion audacieuse sur l’avènement d’un troisième âge du capitalisme : nous serions entrés dans l’âge du capitalisme de fiction.
Vicente Verdu est journaliste au sein du quotidien espagnol El Pais dont il a aussi dirigé les pages culture, diplômé d’Harvard et docteur ès lettres, il est souvent considéré comme l’un des intellectuels les plus brillants de la péninsule et nous le prouve avec son dernier opus, traduit en 2005 chez Stock [1]
L’intellectuel polyglotte (il parle cinq langues) natif d’Elche, avance l’idée que nous vivons à l’ère d’un capitalisme radicalement nouveau et qu’il identifie (sous foi des travaux de Jesùs Ibanez) comme le troisième âge du Capitalisme : c’est ainsi qu’après le capitalisme abrutissant de production centré sur l’objet (de
la révolution industrielle à 1945), après le capitalisme de consommation que l’on peut assimiler à un vaste marché de dupes, nous serions entrés en ce début du XXIe siècle dans l’ère du capitalisme de fiction :
« Les deux premiers types de capitalisme concernaient avant tout les biens et le bien-être matériel ; le troisième, en revanche, prend en charge nos sensations et notre confort psychique. Le but des deux premiers était d’assortir la réalité de biens et de services alors que l’offre du troisième ocnsiste à articuler et investir la réalité elle-même. Autrement dit : produire une nouvelle réalité, présentée comme ultime. Il s’agit d’une réalité seconde ou fictionnelle offrant l’apparence d’une nature authentique améliorée, puérile et purifiée. »
Vicente Verdu montre que le capitalisme pourrait disparaître totalement en tant qu’organisation économique et sociale pour devenir LA civilisation, le monde tel qu’en lui-même.
Assorti d’ exemples concrets et prenant appui dans nos vies quotidennes afin de corroborer son propos, Verdu fustige avec brio le terrorisme, la responsabilité morale des entreprises, la démocratie en vrac, les villes transformées en parc à thèmes, la transparence en politique, l’orgie du football, la mode rétro, la chirurgie esthétique, la pornographie, les réality-shows, la culture du shopping, le suicide, le commerce équitable, l’infanthéisme, le clonage, les jeux vidéo comme autant d’avatars de ce capitalisme de fiction.
Bien sûr, à la simple lecture du concept de "capitalisme de fiction" on ne saurait s’empêcher de penser à la "Société du spectacle" de Guy Debord néanmoins Verdu va plus loin. D’une part en ancrant son ouvrage dans la nouvelle réalité et d’autre part en identifiant ce nouveau capitalisme comme d’essence féminine à l’instar d’un Michel Schneider [2]
« Le capitalisme de production était finalement, à sa racine, phallique et autoritaire ; il incarnait le corps du patron. Dans l’étape suivante, qui fut brève, le modèle unisexe reçut sa signification jusqu’alors inconnue. La capitalisme de fiction est à l’évidence d’inspiration féminine. Plus horizontal qu’érectile, plus dispersé dans ses constructions (aéroports gares, centres commerciaux, ville disséminées) que batisseur de gratte-ciel, sentimental et affectif de préférence. Plus séducteur que coercitif, il fait appel d’habitude au consensus pour adoucir la contrainte, exalte la coopération pour masquer la hiérarchie. »
Doté d’une solide bibliographie où l’on retrouve des auteurs majeurs américains comme R.Sennett ou C.Lasch mais aussi des sociologues français comme J.Baudrillard ou G.Lipovetsky, Vicente Verdu illustre de belle manière l’état lamentable dans lequel se trouve nos démocraties, minées par cette sorte de totalitarisme mou (ce que J-P Le Goff appelle "la démocratie post-totalitaire" ) symbolisé par le capitalisme de fiction. On pense également à la description de ce monde fictif aux analyses fines du regretté Philippe Muray et de son Homo festivus.
A lire d’urgence.
Notes :
[1] V.Verdu, Le style du monde ou la vie dans le capitalisme de fiction, éditions Stock, coll. L’autre pensée, 2005
[2] M.Schneider, Big mother, éditions Odile Jacob, 2002.
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RépondreSupprimerUn peu mais Verdu va plus loin et donne plein d'exemples concrets c'est différent de la société de conso de Baudrillard...
RépondreSupprimerUn nouveau capitalisme d'essence féminine Debord ne le disait pas.
humm, Debord dans critique de la séparation, il me semble qu'il esquisse cela.
RépondreSupprimerEt pour Baudrillard, je pensais plus à Simulacre et Simulation.
Je ne sais pas s'il avait lu Muray mais sa critique de la ville tranformée en parc d'attractions et de la fête l'en rapproche.
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