Noël revient. Le boulevard Haussmann dévoile ses vitrines. Chaque année, il
rivalise de féérie pour attirer les foules. Une dizaine de saynètes
construites autour d'un thème général ; chacune faisant
s’animer des automates habilement mus par d’invisibles mécanismes. On parsème
de quelques articles de consommation sublimés, un jeu de lumières, et le
tour est dans le sac : Parisiens, Japonais, Pakistanais, gogos du monde se
pressent. Une foule d’enfer. Devant chaque vitrine, de petites estrades en bois
sont installées pour que les petites têtes blondes soient aux premières loges.
Oui mes amis, c’est beau : au milieu de la pagaille, du dégueulis de
paquets promo, d’hectares d’écharpes, de murs d’écrans plats, de tranchées de
DVD, des monticules de flacons de parfum… quelqu’un a tout de même pensé aux
z’enfants et concocté ce petit ilôt de magie préservée : les vitrines
du Printemps et des Galeries Lafayette.
Quoique, à regarder de plus près… Dans l’édition 2017, deux détails se
détachent de la scénographie globale. De touts petits détails. Discrets,
mais bien présents. Quelque part suspendu : un mug à fond arc-en-ciel
avec l'inscription « I'M A FUCKING UNICORN ». Plus loin, insérée
dans une sorte de kaléidoscope de petites vidéos, une boucle d'animation montre
un pigeon installé au-dessus d’une chaîne de production où défilent des cornets
de glace ; chaque cornet s'arrête sous le columbidé, qui chie alors dedans
en forme de glace à l'italienne. Et l’image tourne en boucle.
Rien de bien méchant, voyez-vous. Deux petits détails de l’ordre du gag subliminal, installés dans un recoin de vitrine, parmi un ensemble fourmillant d’autres détails. Mais tout de même. C'est curieux non ? Voilà une animation conçue pour les enfants, dont on sait qu'ils viendront spécialement pour elle, coller leur nez morveux contre la vitre… Voilà un projet qu’on imagine vecteur d’image pour la Ville de Paris, auprès des touristes étrangers voire des médias du monde. Un projet sur lequel des dizaines d’artisans, techniciens, responsables de magasin sont mobilisés pour plusieurs mois. Et cependant, il est resté de la place pour que s’immiscent ces touches d'impro trashy. On a délibérément décidé de mettre sous les yeux des enfants venus admirer Noël depuis Paris, sa banlieue, ou depuis l’autre bout du monde, un pigeon qui chie et une licorne qui te dit « FUCK » !
C’est tout de même curieux non ? Just for the sake of it ? Quel
est l'objectif ? Quelle est la justification ? Que se dit le Directeur artistique
une fois le résultat produit ? « Ha
ha on les a bien eus, les cons » ? C’est quoi le projet ? S’agissait-il
d’élargir la clientèle, de plaire aux grands enfants que sont les amateurs
d'art contemporain, les geeks LGBT, les fans d’esprit Canal, qui ont eux aussi le droit de rêver Noël, et
qui ne sauraient y parvenir sans qu’un clin d'œil soit fait à leur
univers ? Un spectacle d’automates pour enfants, lui aussi, doit absolument
contenir cette petite touche de dérision, le clin d’œil « décalé », décadent,
« impertinent », la petite once de perversion, façon Paris
Dernière ?
Unisex Unicorn
J’en fais peut-être trop, me direz-vous. Je mets du sens là où il n'y en a
pas. Ce ne sont qu'un mug et un pigeon qui chie dans une vitrine de magasin,
après tout. On a en vus d’autres. Tellement d’autres. Des plug
anal verts et des pas mûrs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit
encore une fois. Toujours la même histoire. Le rire vertical. La satire maniée
par ceux d’en haut. « T’es venu voir
des lutins et des rennes avec ton môme, parce que c’était gratuit et que c’est
la seule chose que tu peux lui payer dans la vitrine ? Eh bien tu verras
aussi mon cul : mon pigeon qui te chie dessus ! ». L’année
prochaine, qu’a-t-on prévu ? Un père Noël qui te fait coucou d’une main et
de l’autre se frotte l’entrejambe ? Une grande distribution de sucres d’orge,
dont quelques-uns auraient le goût de merde ? Cela serait adorablement décalé, n’est-ce pas ?
Ce sont des détails, mais ils sont de l’ordre de la crotte de nez que l’élève
impertinent colle au dos de la feuille en remettant sa copie : le détail vous
donne toute l’intention - et l’intention est d’autant plus éloquente que le reste de la copie rendue serait appliquée, irréprochable. Ce sont des détails, mais ils induisent
une mécanique de détournement analogue à celle de l’exhibition ou du harcèlement :
le type qui t’oblige à voir sa queue, ou qui vole un baiser en tournant la tête au
dernier moment… Ce sont des détails, mais le genre de détails qui vont toujours
tous dans le même sens, ce sens-là et pas un autre : tout ramener au niveau du trou de balle, injecter vulgarité
ou perversité si possible là où il n’y en a pas encore.
Amusant : sur mon chemin du retour, je croiserai un peu plus loin deux grands pédés caricaturaux : 1m85, crânes rasés, lunettes écailles, cabans marine, entrelacés, ramenant de leurs emplettes je ne sais plus quel article cucul de Noël dans les bras. Là, sur le pavé du boulevard Haussmann, tout un condensé de notre société : Noël en sucre et santons pour les pédés de discothèque / Noël Rainbow et déglingue scato pour les petits n'enfants.
C'est pas le pigeon qu'avait chié sur Hollande le 11 janvier ?
RépondreSupprimerCecit dit, nous sommes submergés de ce genre de chose: la transgression est devenue un académisme, un réflexe, une posture qui permet au dernier trou du cul - par exemple un étalagiste - de montrer son affranchissement distanciateur envers la tradition.
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