10 février 2017

Supérieure, ma culture ?

A en croire les publicités et les arguments de vente des officines les plus diverses, il est aujourd'hui impossible de mobiliser l'attention de quiconque sans lui parler de superhéros. Un téléphone vous donne des « super pouvoirs ». Le nouveau Touran de Volkswagen est pour « les vrais héros d’aujourd’hui ». Et la ménagère qui utilise telle ou telle lessive est une « super-maman »… Même le musée du Louvre s'y est mis, avec cette exposition, l'année dernière, qui proposait d’explorer « les mythes fondateurs, d’Hercule à Dark Vador ».

  pop-culture-super-heros 

On devine le bien-fondé de la démarche, sans doute guidée par une noble intention : celle « d'intéresser un nouveau public à la Culture ». Mais n'est-ce pas, dans le même temps, une façon de balbutier que « ces gens » seraient incapables de s'intéresser à Hercule autrement qu'en lui trouvant un rapport quelconque avec Dark Vador, ou avec le bouillon pop-culturel dans lequel ils baignent tous les jours ? Et pourquoi, tout d'abord, faudrait-il absolument que celui qui est très content et repu avec Dark Vador s’intéresse à Hercule ? Ne peut-on pas lui foutre la paix ? A moins que ce soit parce qu'on pense qu'il serait temps qu'il passe à la culture supérieure ?

C'est un débat auquel on se retrouve régulièrement confronté lorsqu'on côtoie les amateurs de culture populaire. Ils sont ma foi fort sympathiques, mais trop souvent nous en sommes arrivés ensemble à un point de la discussion où ils exigent que toute distinction soit abolie entre leur sujet de prédilection (BD, superhéros, jeux vidéo et que sais-je encore) et la culture avec un grand Q. "Pourquoi ma passion pour Pacman vaudrait moins que ton intérêt pour la littérature d'Europe centrale ?" Il est à noter qu’à chaque fois, ce n’est pas moi qui mets la Culture avec un Q sur un piédestal mais bien eux qui, les premiers, mettent sur la table cette histoire d’inégalité et plaident pour un anoblissement de leur "culture" à un degré équivalent à la philosophie ou aux beaux-arts. Pour ma part, cela me va très bien de parler de Superman, du Seigneur des Anneaux, des Goonies et des Smarties tant qu’ils veulent, ou alors je suis content de m'entretenir avec eux de littérature ou de mythologie, mais je ne vois pas pourquoi ils tiennent à ce que ces sphères, qui n’entretiennent aucun rapport, qui ne sont pas de même nature, soient rangées sur la même étagère. Leur revendication me paraît toujours un peu gonflée autant qu'incompréhensible, d'autant qu'elle semble fondée sur leur seul sentiment de déplaisir plus que sur des arguments construits.


Pourtant, à voir leurs yeux mouillés lorsqu'ils arrivent à ce point de la discussion, force est d'admettre que leur requête est sincère : ils voudraient me faire convenir que Batman et Robin sont un aussi bon véhicule d'appréhension du monde et de l'humanité que l'oeuvre d'Epicure ou les Fables de la Fontaine. Et me voilà obligé d'y réfléchir sérieusement, ne serait-ce qu'une seconde, et de remettre les choses à plat, bien que cela revienne à justifier des évidences.

Qu’est-ce qui fait que la culture populaire n’est pas du même ordre que la Culture avec un grand Q ? La même chose qui fait que celui qui a pris son baluchon et vu du pays est plus éveillé au monde que celui qui est resté chez sa mère. La Culture est une conquête. Elle nous expose à du nouveau et à du différent. A de l'étrange, à de l'ancien. La Culture est chiffrée. Personne ne rentre en général à son aise dans la peinture classique. Personne ne devine instinctivement les subtilités de grands vins. Personne ne transperce immédiatement les concepts d’une thèse philosophique. La Culture, c'est de savoir aimer ce qui ne nous aime pas. Elle consiste, au départ, en un effort d’extraction de soi.

A l’inverse, la culture populaire est ce à quoi nous avons été soumis depuis toujours, à un âge où nous n’en avions même pas encore conscience. Elle nous est familière et nous n’avons rien fait de nous-même pour y arriver ou pour nous y mouvoir : c’est elle qui est venue à nous - elle n'a même pas eu à venir, à vrai dire. La culture populaire est ce qui nous a modelés. Ce qui ne veut pas dire qu’elle n’ait pas son intérêt ni sa richesse, mais elle fait partie de notre habitus. On y réside ou on y revient comme on vit parmi les choses familières et amies.

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