27 janvier 2017

Le mutant de la semaine - le coprophobe canin




Le libéralisme politique, dans son volant juridique, produit continuellement de nouveaux droits, de nouvelles procédures, de nouvelles juridictions qui étendent toujours plus loin leurs compétences et leurs prétentions. On voit, ainsi, des tribunaux belges inculper un Tchadien pour des merdes qu’il aurait semées en Afrique, ou des tribunaux espagnols demandant aux Anglais d’arrêter un président dictateur chilien en villégiature à Londres. On nous dit que c’est pour notre bien, et qu’il faut poursuivre les méchants où qu’ils se trouvent sur Terre. Magnifique. On a même essayé d’inculper des dirigeants américains et israéliens (ciel !), mais on a vite compris que la justice totale devait d’abord se faire les dents sur les lampistes.

A l’intérieur des pays, on juge désormais le caractère humain d’une personne en fonction de son acceptation sans condition des droits « nouveaux » que le pouvoir octroie à des catégories toujours plus fines de clients. Ainsi, le principal argument des partisans du mariage homo fut : « qu’est-ce que ça peut te foutre, couillon, c’est un droit supplémentaire pour des gens, ça t’enlève pas le tien ! ». Il est donc écrit que le futur se résumera à une grosse et interminable addition, et que nous n’aurons rien de légitime à y opposer.



La fameuse (et imprononçable) juridisation des rapports humains, dont tout le monde semble se plaindre mais qui fait pourtant florès - parce que ceux qui y sacrifient sont, tout simplement, chaque jour plus nombreux, nous donne l’impression nette, mais parfois mal définie, que chaque clampin est potentiellement en guerre contre son voisin. C’est bien le cas : effet fatal et automatique de l’inflation des lois et de celle des cabinets d’avocats. La loi et les armes ont la même logique : elles n’existent que pour qu’un jour ou l’autre, on s’en serve.

Tout le monde sait désormais qu’on ne glisse plus sur un trottoir parce qu’on est maladroit, mais parce que le maire du bled a fait une faute, a négligé un revêtement, un nid de poule en formation, un parapet en béton armé, et qu’on doit le traîner au tribunal pour ça. Cela vaut pour toute sorte de glissades, d’ailleurs, de sorte que nous pourrions énoncer le théorème suivant : une personne ne tombe jamais toute seule, il y a toujours un complot qui l’y a poussée. Le citoyen moderne réclame des responsables à ses bobos, étant entendu qu’il n’est, lui, jamais responsable de rien.

Les comportements qu’une telle mentalité engendre illustrent la considérable mutation des individus. Alors que les plus anciennes sagesses conseillaient de se tenir autant que possible à distance des tribunaux (sous-entendant que nul homme décent ne se sent à l’aise au milieu des tracasseries, et aussi que le pouvoir d’une institution si puissante peut toujours échapper au contrôle du demandeur, et se retourner contre lui), la vie moderne encourage, elle, les comportements les plus infantiles : le propre des enfants, c’est d'abord de chercher la protection et l’arbitrage des plus grands, des adultes, de ceux qui disent le bien et le mal. Celui qui sollicite l’intervention des tribunaux dans ses rapports les plus courants avec autrui se met, psychologiquement, dans la position du petit con qui fait intervenir son père pour régler ses différends d’écolier.

Cette semaine, le mutant que je désigne au mépris général est allemand. C’est un con. Il a acheté une maison et s’est aperçu, un peu plus tard, que l’ancien proprio avait laissé dans la pelouse dix-neuf crottes de chien. Le salopard ne les avait pas emmenées avec lui ! Un homme normal aurait poussé deux trois jurons, engueulé sa femme ou ses gosses, viré les bronzes sans plus tarder et allumé, enfin, le barbecue familial. Lui, non : il met son plus beau costume et va porter plainte ! Comme c’est un vrai mutant, et qu’il mute par tous les pores de sa peau, il prend même la précaution de faire faire un devis pour l’enlèvement des merdes, et la remise en état de sa putain de pelouse : 3500 euros ! 184 € l’étron ! Dans un monde parfait, donc moderne, le vendeur aurait pris la précaution de faire euthanasier son clebs avant qu’il ne défèque, principe de précaution…
Déjà, au XVIIème siècle, dans les Plaideurs, Racine imaginait un juge fada rêvant de foutre procès à un chien pour vol de chapon...

Jusqu’où iront les mutants ? C’est la question qui s’impose chaque fois, qui rend leur nature propre si étrange et leurs faits d’armes si divertissants. Libérés de toute décence ordinaire et de tout sens commun, ils ne voient pas du tout l’extravagance de leurs démarches, étant devenus incapables de juger de leur propre ridicule. Ils ont bien retenu la recette déconstructiviste ordonnant de tout remettre en cause, mais pas au point de remettre en cause les résultats obtenus… On a vu, il y a peu, des mutants tentant d’établir un droit « à ne pas être offensé » ; on verra bientôt des procès parce qu’un papier peint, laissé par un vendeur sur les murs d’une chambre, traumatise l’acheteur, offense son esthétique, ravage sa foi morale.

6 commentaires:

  1. Je tiens à dire que les §§ 3, 4, 5 et 6 sont très bons. Merci beaucoup.

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    1. Je tiens à dire que je suis d'accord !
      Merci !

      (Tiens, Luccio, puisqu'on en est aux retrouvailles, t'aurais pas des envies de nous publier un petit texte de derrière les fagots pour le CGB nouvelle époque ? Sujet libre, payé d'une cordiale poignée de mains)

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    2. La présidentielle arrive : c'est le moment de jouer l'ouverture!

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    3. Une telle proposition m'honore. Quand mon petit esprit morbleu pondra une saillie cégébesque, je la proposerai.

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    4. Je connais mon Luccio : il faut le flatter encore un peu plus pour qu'il cède.

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  2. Les paragraphes 1 et 2 de Beboper sont toujours un peu ratés en général.

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