7 novembre 2016

Qui voterait pour un porc ?



Dans La ferme des animaux, George Orwell imagine que les animaux se révoltent contre les hommes, et leur ravissent le pouvoir. Les cochons étant connus pour leur intelligence, ils prennent évidemment le pas sur les autres bêtes, et dirigent bientôt leur petit monde d’un groin de fer. La dictature qu’ils mettent aussitôt en place a au moins un avantage, elle dispense de devoir se poser cette question : et moi, voterais-je pour un porc ?


J’ai été élevé aux Pink Floyd. Dans des sortes de crises d’enthousiasme, mon père poussait parfois le volume de sa chaîne à fond, emplissant l’appart des ambiances sophistiquées des Floyd des heures durant. Cette familiarité précoce avec ce type de musique m’a au moins évité d’avoir jamais la moindre sympathie pour celle destinée aux enfants, privilège dont je suis redevable à mon paternel pour l’éternité ! Devenu adulte, j’ai conservé un goût prononcé pour cette musique morte qu’on appelait le rock progressif, et les ELP, Gentle giant, King Crimson, Jethro Tull, Genesis et autres Ange ont confirmé à mes oreilles les impressions floydiennes.

Aussi belle soit-elle, la musique des Pink Floyd ne les a pas garanti contre la tentation de chanter des conneries. Un de leurs plus gros tubes est l’illustration parfaite d’un phénomène mystérieux que nous apporte parfois la musique anglo-saxonne : un bafouillis de demeurés mentaux soutenu par une musique de génie. The wall, vous vous souvenez ? Musique simple et limpide, guitare rythmique évidente, solo moulé à la petite cuillère, tout en subtilité, une chose entêtante mais qui reste agréable à entendre, la quintessence du style floydien. Mais que raconte-t-il, ce tube intergalactique ?
We don’t need no education
We don’t need no thought control
No dark sarcasmes in the classrooms
Teacher, let them kids alone


A en croire les Floyd, les enfants seraient plus heureux et plus accomplis si on les éduquait pas, si on ne leur transmettait pas de connaissances et surtout si les profs leur foutaient la paix... N’importe qui peut immédiatement vérifier le bien-fondé de cette brillante opinion en se rendant dans certaines zones de guerre, dans certains coins reculés du globe, où des enfants chanceux échappent à l’école et à ses connaissances nuisibles. Un atelier où des gosses de onze ans cousent des Nike dix heures par jour ferait aussi l’affaire. Chacun peut aller faire un tour dans le quart-monde, à la rencontre de Gitans illettrés, par exemple, histoire de juger des bienfaits d’une instruction ultralight. Cet hymne du spontanéisme le plus insane nous a pourtant enchantés…

En pleine campagne électorale, les américains ont eu la chance de pouvoir assister à un concert géant rassemblant quelques gloires des années 1960. Parmi elles, Roger Waters, père et inspirateur de The wall, qui balança Pigs, morceau mythique des grandes années, aux oreilles du public. La vidéo qui suit vous montrera la performance, et la mise en scène grandiose qui vient appuyer le propos. Un propos mis au goût du jour puisque, tout au long du morceau, sur un écran gigantesque passe et repasse le portrait de Donald Trump, personnification contemporaine des cochons évoqués dans le titre.
On pourrait rappeler à Roger Waters que dans les années 1980, sa propre critique du totalitarisme dénonçait le déversement de moyens massifs de propagande sur la tête du peuple. Dans l’esprit du 1984 d’Orwell, les Floyd s’alarmaient de l’abrutissement des foules par la communication déferlante et les fortes impressions d’images-choc. D’ailleurs, l’album Animals, d’où Pigs est tiré, est une interprétation de l’œuvre d’Orwell évoquée dans mon introduction. Trente-cinq ans plus tard, Waters reprend pourtant à son compte ces méthodes grossières, et s’en accommode sans complexe. Il manipule, mais c’est sans aucun doute pour le bien de l’humanité ! Mieux, pour les gens qui n’auraient pas compris malgré les moyens déployés, il termine le morceau en affichant un titanesque TRUMP IS A PIG au-dessus de la scène. (Ok, je sais qu’on peut associer tous les politiciens dominants à la catégorie « porcs », puisque c’est l’animal choisi par Orwell pour dominer grâce à son intelligence et ses méthodes brutales, mais il se fait que Hillary Clinton est une politicienne quarante fois plus dominante que Trump, et que Waters ne diffuse pas son image…)



Mon souvenir de Pink Floyd sur scène, c’est à la fois un son merveilleux et une volonté écrasante de paraître. La démesure du spectacle que représente un concert de rock de ce genre-là, évoque une volonté totalitaire, un ego de tyrannosaure, le dépassement de l’échelle humaine. En tout cas, rien de cool, rien de démocratique, rien de gentillet, rien de tolérant. Les mecs sur scène disposent d’une puissance de feu pharaonique et vous la balancent en pleine poire, à grands coups de lumières, d’images dantesques et, bien sûr, d’un son supra-humain. La chose serait presque anecdotique si la plupart des vedettes rock ne se chargeaient, en plus, de nous faire la morale : libérez-vous ! ne croyez pas ce qu’on vous dit (mais roulez-vous par terre quand j’apparais) ! Les politiciens vous manipulent (mais pas mes 100 000 watts)! Les riches sont des ordures (mais moi je suis un milliardaire gentil!) etc. Les rockers utilisent toutes les ressources de leur technique pour influencer le public, le subjuguer, l’embobiner, le soumettre à leur ego démesuré et bruyant.

Roger Waters n’est peut-être pas le plus manipulateur de tous les grands artistes rock, mais il aimerait bien l’être. Son happening anti-Trump est, au-delà de ce qu’on pense de Trump, une tentative d’influencer massivement des milliers de cons, et sans finesse. Le bombardier Waters utiliserait du gaz sarin, s’il en avait le droit. Ça viendra peut-être, si c’est pour le bien des gens. Quelle différence entre Waters et un démagogue ? Quelle différence entre un artiste rock et un bourreur de mou patenté ? Quelle différence, ici, entre l’artiste et sa cible ?

On le sait depuis quelque temps, les événements américains semblent intéresser certains français bien plus que ce qui se passe chez nous. Cette fois-ci, nous avons eu droit aux prises de position publiques toujours pour la Clinton, contre Trump, aux jugements à l’emporte-pièce, aux certitudes auto-justificantes, aux balnaves à portée cosmique. Telle chanteuse à piercing y est allée de son couplet engagé ; telle journaliste à particule s’est emportée contre le machiste mal coiffé ; tel chauffeur de salle du PAF nous a mis en garde contre la fin du monde, aidé des soixante-trois mots de son vocabulaire. Si nous ne sommes pas sourds, nous sommes édifiés. Et là, l’honnête homme doit se rappeler qu’il est doué de logique : si la plupart des gens sont des cons (1 con+ 1 con+ 1 con….. = 1 gros con, théorème jamais démenti depuis Périclès), et que, par ailleurs, la grosse majorité d’entre eux soutiennent une opinion (par exemple que Trump est un grave danger), on peut en inférer que les chances qu’ils voient juste sont proches de zéro. Car si une pendule arrêtée donne l’heure juste deux fois par jour, une masse de cons en mouvement se goure en permanence, et sans défaillir (autre théorème jamais démenti). Et puisque vous êtes décidément friands de théorème, je terminerai par celui-ci, tout aussi scientifique que les précédents : un impétrant politique qui n’a pas le soutien de Christine Okrent mérite la victoire.


J’ignore si Trump est vraiment un porc. Je sais que Robert de Niro l’a publiquement traité de porc, ainsi que Roger Waters, donc. Pas mal de gens, moins connus, l’agonissent d’insultes, comme ça semble désormais de mise dans les campagnes électorales ricaines. Ce qui est sûr, dans l’hypothèse où il est réellement un porc, c’est qu’un paquet de gens sont prêts à voter pour lui quand même. Et peut-être les États-Unis seront-ils demain dirigés par un goret… Un goret ou une salope, les Américains ont le choix.
C’est beau, une démocratie.

10 commentaires:

  1. Je vois le "We don’t need no education
    We don’t need no thought control
    No dark sarcasmes in the classrooms
    Teacher, let them kids alone" comme une critique non pas de l'éducation en général, mais de celle dispensée en Angleterre à l'époque, et qui trouve curieusement un écho dans une autre chanson "the Headmaster Ritual", de The Smiths.
    Faut croire que les profs britanniques ont des trucs à se reprocher...

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  2. Soutenir à la fois Clinton - candidate qui a la sympathie des lobbies pro-israéliens - et la cause palestinienne est parfaitement incohérent et Waters ne peut pas l'ignorer. Peut-être n'a-t-il pas eu le choix...

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  3. En même temps, le porc est "haram", ce qui n'est pas pour me déplaire...

    Mais, j'ai une petite préférence pour le sanglier, animal bien de chez nous.

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  4. Mais enfin, ce vieux roublard cynique de Waters est tout sauf naïf ! Bien sûr qu'il est conscient de sa position. Rappel : dans The Wall (album & surtout film), la rock-star se voit à un moment comme un tribun nazi manipulateur des masses :
    https://www.youtube.com/watch?v=9s5zcXccNMY

    (ceci dit pour moi, le chef d'oeuvre de Pink Floyd c'est Ummagumma)

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    1. Personne ne le croit naïf, en effet. Un faux jeton, oui. Qui aura d'ailleurs l'occasion de juger du peu de poids de la musique imagée sur le vote des Américains...

      Et sur Ummagumma, je ne suis pas loin de te suivre, Nordiste...

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  5. The wall est une prouesse sonore mais effectivement, le génie Pink Floyd se trouve parmi les albums précédents.
    Mais ce que je voulais dire, c'est que la charge de Beboper contre Waters est bien envoyée. Le problème avec ces artistes, c'est qu'ils ouvrent leur gueule et qu'on ne peut pas leur refermer sans y perdre quelque chose.

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  6. Normale, cette évolution des Floyds.
    La vieillesse est un naufrage, dit-on.
    Ils l'ont eu dans l'cul, comme les autres du chobizz. Et De Niro ô combien décevant.
    Champagne avec Clint !

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  7. on n'a pas mérité une ptite photo de Melania la trumpette ?

    Gogol 2'me

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  8. et pour nous demain, un porcinet ?...
    content de voir que Beboper a renvoyé son nègre aux Assedic cette fois...
    FC

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