30 août 2016

On est bien en France

Voyageur_canoe 

De Tocqueville à Chateaubriand, de Céline à Georges Duhamel, il fut une époque où l’observateur français de voyage aux Etats-Unis ne revenait pas sans un rapport d’étonnement, voire d’effarement. L’étrangeté du pays n’était alors, pour l’œil européen, pas moins monstrueuse que celle de n’importe quelle contrée sauvage ou exotique.

La distanciation s’est cruellement réduite à l’heure où le moindre clampin en bas de chez vous feint la familiarité avec l’Amérique, sa culture, ses sous-cultures, ses programmes télévisés, ses campagnes présidentielles… et où ce clampin peut vous indiquer sans aucune humilité quel bar de Manhattan est à ne louper sous aucun prétexte, ou vous entretenir de sa passion pour une petite friandise caramélisée qu’on ne trouve que là-bas - et malheureusement pas encore en France.

Tant mieux. Le décalage n’en est que plus renversant lorsque vous franchissez l’Atlantique et voyez les choses par vous-même. Mal américain, le malaise qui vous saisit du fait d’un déphasage culturel trop important. Vos américanophiles, trop fortement éblouis sans doute, sont passés à côté et c’est pourtant l’une des choses qui justifient le voyage. Se rendre compte que l’on n’est pas comme eux, que l’on n’est pas un Américain en version un peu moins ceci ou un peu plus cela, mais que l’on est simplement et radicalement différent, à jamais, malgré l’américanisation dont on se croit l'objet.

Je goûte sans bien le comprendre le plaisir que j'éprouve à le ressentir, tandis que je roule le long de leurs villes plates et perpendiculaires ; tandis que je constate le vide, l’énorme occupation de l’espace. Dans son Voyage au bout de la nuit, Louis-Ferdinand Céline tombe à la renverse face à la verticalité de New York, mais plus loin dans les terres, c’est bien l’horizontalité qui est vertigineuse. L’horizontalité dans toute sa largeur et sa platitude. Un espace taillé entièrement et uniquement pour la voiture. On s’en rend compte aussitôt que l’on en descend. On pensait entamer une promenade à pied, une errance, et on réalise très immédiatement son erreur : la ville n’était plaisante que derrière une vitre, à une vitesse de 50 km/h. Autrement elle n’est que macadam, stations-service, pylônes, échangeurs, étalés sur des distances qui n’ont absolument pas été faites pour vos yeux ni pour vos pieds.

Occupation de l’espace tout à fait aberrante. Tout à fait aberrant le pays entier. La route se poursuit, les rues, les surfaces de vente, d’une ville à l’autre, comme si ces towns avaient été déroulées au mètre, d’une traite, crachées en préfabriqué au cul d’un gigantesque engin de chantier. Un matérialisme asphyxiant émane de cet environnement. Tout est pratique, rien n’invite à élever l’esprit ou à le reposer. L’opulence partout, quitte à ce qu’elle soit misérable. Misérablement standard. L’expression « société de consommation », usée par des décennies de sociologie et de journalisme, se gonfle ici de tout son sens et reprend sa vitalité, si l’on peut dire. Elle est incarnée et constitutive. Comme certains dans ce pays ont un attachement vital et philosophique au port d’arme, tous sont persuadés à présent que le frigidaire à distributeur de glaçons, ou bien le micro-ondes, leur est nécessaire. Ils tueront le jour où l’on viendra leur enlever. Siroter est un droit inaliénable. Grignoter du sucre ou de la graisse l’est également.

Les Etats-Unis sont enfin le pays de l’éternelle innocence. C’est finalement cela que nous n’arrêterons jamais de leur envier. L’absence de remise en question. Le fait de se sentir absolument dans son droit. Tandis que ce qu’ils ont fait au pays originel peut paraître un effroyable gâchis, tandis que ce qu’ils ont fait au monde extérieur est un massacre à peu près continu, il n’est pas question de remords, il n’est même pas question de doute. Il n’est pas question de faire moins mais toujours de faire plus. La confirmation de son choix. La pure affirmative. Le choix de petit-déjeuner au bacon alors qu’on est déjà un gros tas qui déborde de sa chaise. Le choix de rouler en camion surdimensionné pour ses petits trajets quotidiens alors que le pétrole met le monde à feu et à sang. Le choix de partir à la recherche d'une nouvelle planète à saloper plutôt que de raisonner son mode de vie.

Éternelle innocence. Légèreté. Inconséquence. On se prend à rêver, petit Européen complexé, de lâcher prise nous aussi. Par une lâche reddition, rejoindre l’Empire du Bien. Presser le bouton off de ses questionnements, de ses scrupules, de ses considérations. Un jour, prendre sa retraite intellectuelle, une fois pour toutes, et filer là-bas. Dire merde et finir sa vie en Américain. Un pick-up, une remorque, une maison en carton-pâte. Et tout sera plus simple.

16 commentaires:

  1. Tout cela est vrai mais je me demande pourquoi les USA est le pays qui attire le plus l'immigré, pourquoi ces abrutis d'Européens s'enfilent de la culture américaine à tire-larigot,
    pourquoi tout s'invente aux USA avant d'être adopté par ces couillons des autres continents.
    Et puis je suis un peu reconnaissant aux américains d'être venu nous délivrer du nazisme et
    de nous préserver du communisme.

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    1. Les américains ne vous ont pas délivré du nazisme, c'est plutot le sacrifice des patriotes russophones qui l'a permis.
      Le reste de votre diatribe me semble correcte, mais, je me pose cette question: est-ce que l'on suit l'imbécile qui saute du pont?

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    2. on peut suivre l'idiot qui saute du pont
      s'il n'y a ni eau ni courant en dessous
      on tombe sur l'abruti , qui nous fait un mol édredon, puis on peut dépouiller son cadavre
      bénéfices doubles si vous me permettez de vous expliquer
      1) on vainc sa peur du vide
      2) on peut se faire un peu de gratte ensuite

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    3. « le sacrifice des patriotes russophones »

      Qui aurait été à peu près vain sans les chars, les armes et les vivres envoyés par les États-Unis.

      Et puis sans le débarquement américain d'Afrique du Nord en 42, la suite aurait sans doute été fort différente.

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    4. @Criticus

      Complément faux. Le tournant de la guerre c'est Stalingrad. Tu peux vomir le communisme et reconnaitre que sans la Russie nous parlerions tous l'allemand. Ca suffit le travestissement de l'histoire par les américanolatre néolibéraux.

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    5. Allez, on recommence : « Qui aurait été à peu près vain sans les chars, les armes et les vivres envoyés par les États-Unis. »

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    6. @Criticus

      La grosse, l'immense majorité des matériels offensifs qui ont vaincu la Wehrmacht sur le Front de l'Est sont Soviétiques.
      Les uS avaient envoyé autrement quelques avions comme des P-39 dont ils ne voulaient pas ou des camions Studebaker, des JP et des rations de corned beef (que les Russes appellent Touchonkiy).

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    7. @ Tchetnik
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Lend-Lease

      Un petit peu plus tout de même.

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  2. a lire absolument :
    un livre de journaliste michel floquet "triste amérique" ed: les arènes
    Pas un gauchiste ! l'ancien correspondant de TF1! mais une description absolument incroyable. Sur l'état de ce pays du point de vue de la vie quotidienne. Un réquisitoire absolu sur la " métropole " le modèle dominant que l'on veut nous imposer.
    n'est -il pas trop tard?

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  3. J'y ai vecu pres de 8 ans. Vrai: il y a des bus dentaires pour soigner les sans-dents locaux. Il y a des magasins pour pauvre - Safeway, l'egal de carrefour, et pour riches ; l'espace est certes plus grand - a mon aivs, on pourrait/devrait relier l'espace urbain a la dimension puritaine americaine qui organise anthropologiquement une grande bulle privee autour des individus qu'on ne franchit pas sous peine d'invation/harcelement. Il y a aussi les guns lottery et les demolition derbies. MAIS : l'Amerique est tres diverses quand on est dedans pendant des annees et pas deux semaines. Il y a des micro-cultures (exe: les descendants des societes humanistes libres allemandes au Texas, les descndants des chiites libanais a Detroit), etc. Ceci se decline en cultures specifiques... attention aux vastes categories. Ceci dit : J'ai aime la vrai tolerance zero en action. et la college culture qui fait des juenes blancs la-bas, des cerveaux ET des corps accomlis - pas comme les souffreteux post-existentalistes et sociologues que nous formons dans nos universites a la con.

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    1. nous ne formons pas que des zoziologues souffreteux
      mais il est vrai que nous en formons beaucoup trop
      à l'heure où on manque de bras dans l'agriculture et la restauration ....

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    2. Ce que je décris là est l'effet "fascination" dans lequel on erre lors de l'immersion, et qui finit par s'estomper par accoutumance au bout de 2 ou 3 jours. Ce qui ne veut pas dire que tout se résume à ça et qu'il n'y a pas autre chose. Toujours est-il que pendant ces 2 jours, on regarde, passif, ce petit monde aberrant s'agiter autour de soi.

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  4. C'est très bien vu ! j'ajouterais ceci : aux USA, tout est décor. Tantôt c'est le western, tantôt le clip de hip-hop, ou la ville du futur, la grande plage californienne, etc. etc. mais tout a l'air fabriqué, constitué comme un décor prêt à être filmé. Le,pays entier se déploie comme un immense Disneyland fait d'attractions diversifiées : cités communautaires,enclaves portoricaines, banlieues privatisées, réserves Navajos, Chinatowns, etc. etc. Même les Amish participent de cette logique spectaculaire...

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  5. Ma vision de l'Amerique c'est l'Australie où je suis allé. Plus les bouquins. Donc je vais peut-être dire des conneries.
    J'ai trouvé un peu pénible le manque ou le désintérêt pour la culture. Mais j'ai trouvé les gens plus sympas collectivement. Il est vrai que je vis dans une région de semi-demeurés qui ne représente pas toute la France et qui a pourtant l'air avenante avec ses jolies maisons. De fait, avant de tirer un bilan définitif, il faut s'expatrier plus que pour un mois de vacances à mon avis.

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    1. je suis d'accord avec vous, aux états unis les gens sont genéralement plus ouverts donc plus "sympas" qu' en France Il suffit juste de faire les boutiques ou les bars-restos car ayant l'habitude du service a la francaise (genre soupe a la grimace et manque de politesse) j'ai eu l'impression d'etre traité comme un Prince, ce qui me donne envie de retourner dans ce pays Et il est vrai que l'américain moyen est moins "cultivé" que le français ou l'européen de base (logique quand on voit le niveau des émissions de tv entrecoupés de pub tous les quart d'heure, faut s'y faire et que tout ce qui est "culturel" se paye ex les facs ou les parcs naturels pourtant publics) Je pense qu'entre la France et l'amérique, il y a un mélange d'amour de fascination d'incompréhension et de haine, car pour les américains La France c'est a la fois un paradis (cliches sur l'amour la gastronomie l'art et le "bien vivre") mais aussi un enfer (les mauvaise manières des français arrogants) L'inverse est vrai car on admire la culture américaine autant qu'on la jalouse ou la déteste Je dirais que l'anti américanisme est comme toute les drogues ou les bonnes choses a consommer éventuellement mais avec modération sinon on tombe dans le cliché amérique caca

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