20 décembre 2014

Censure et sans reproche


Je signale une série épatante de cinq entretiens d’une demi-heure avec l'éditeur Jean-Jacques Pauvert, sur France Culture, datant de 1990. Pauvert y aborde en long et en large les diverses questions que posent les lois et la pratique de la censure littéraire en France, et y livre son incomparable expérience de la chose (8 ans de procès pour la publication de Sade à la fin des années 1940, entre autres). En praticien avisé de la limite, il s’y montre d’ailleurs beaucoup plus cohérent et raisonnable que bien des rebelles de salon, notamment quand il reconnaît (avec ses juges) que certains livres sont effectivement dangereux, pour autant qu’ils soient lus...

Sa thèse est simple : quand on lui reproche de mettre Sade sous les yeux de la jeunesse (ce qui est un abus de langage), et quand on prétend que cette lecture est dangereuse, il reconnaît qu’elle peut effectivement l’être, mais au même titre que les journaux. La délectation avec laquelle on se jette sur les faits divers les plus sordides lui paraît plus grande et plus mimétiquement dangereuse que la lecture d’un truc aussi chiant que Sade ! D’ailleurs, les experts psychiatres sont tous d’accord sur ce point : les névropathes qu’ils soignent ne lisent pas Sade, ni Bataille, et on s’en serait douté. Partant de là, qui est d'accord pour interdire les journaux ?

Jean-Jacques Pauvert était ce qu'il est convenu d'appeler un esprit libre. Il possédait aussi et surtout le courage de traduire dans les faits cette belle liberté. Il a ainsi été l'éditeur de Sade, de Pauline Réage (Histoire d'O), de Henry David Thoreau (La désobéissance civile) ou de Lucien Rebatet (Mémoire d'un fasciste). Dans sa collection Libertés, il a mis à disposition du lecteur toute une littérature engagée et enragée qu'on ne trouve souvent nulle part ailleurs. Littérature de combat de toutes époques et de toutes tendances, disait la notice : Barbey d'Aurevilly y fréquentait Trotsky, D'Holbach y côtoyait Pie IX... L'amateur de pamphlets, d'engueulade et de langue forte, s'il ne veut pas mourir idiot, devra un jour ou l'autre y glisser un œil.

Il se dégage de ces entretiens, qui datent de 25 ans, ne l’oublions pas, une impression de liberté de ton qu’on ne retrouve plus aujourd’hui dans les médias. Jean-Jacques Pauvert dit simplement ce qu’il pense, et l’on ne sent aucune tentation moralisante de la part de son interlocuteur. Il parle ainsi de Robert Faurisson, qu’il a failli éditer, et de ses étranges thèses. Sa position vis-à-vis de lui et de l’école qu’il a inspirée me paraît très équilibrée. On est évidemment bien loin des positions réflexes de nos animateurs télé à brushing…

Nous remarquons aussi que Pauvert n’hésite pas à qualifier d’atroce la littérature pornographique qu’il est amené à éditer lui-même : comme tout penseur un peu sérieux, il ne reproche pas à la censure de censurer des œuvres remarquables, mais simplement de censurer ce que les citoyens sont capables de lire et de juger par eux-mêmes. Eternel débat sur la liberté d’expression, que résumait parfaitement Noam Chomsky : « Si l'on ne croit pas à la liberté d'expression pour les gens qu'on méprise, on n'y croit pas du tout».

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13 commentaires:

  1. Merci Beboper de cet hommage à Pauvert. C'est curieux cet attrait de la France républicaine pour interdire (Cf. Zemmour, pourtant juste un journaleux - on ne parle pas avec lui de littérature). Il y avait déjà une inclination avec la Révolution française (Cf. St-Just, mais pour être juste, lui faisait référence aux dangers que couraient sa révolution à son époque). Cela existait aussi sous l'Ancien régime... Excès de centralisation multi-séculaire ? De nos jours, cela a été renforcé par ce que j'appellerai le multiculturalisme super-défensif et revendicateur.

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    1. Pauvert en parle, d'ailleurs, de la Révolution. Il évoque notamment Robespierre, ardent défenseur de la liberté d'expression... jusqu'à ce qu'il arrive au pouvoir, et qu'il réprime toute expression contraire à grands coups de guillotine.
      Selon Pauvert, la gauche (au pouvoir) est encore plus prohibitrice que la droite (ça se dit, prohibitrice?), parce qu'elle ne doute pas d'avoir raison... Mais je ne crois pas qu'on puisse dire que, par nature, la République soit plus enragée d'interdire qu'un autre régime: ça dépend des règles qu'elle se donne. Il n'y a qu'à prendre l'exemple de la république des États-Unis : la liberté d'expression qu'elle permet est plus grande que chez nous (même si les États-Unis ont aussi inventé le politiquement correct, qui est justement une tentative CIVILE d'anéantissement de la liberté de dire ce qu'on veut de la façon qu'on veut).

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    2. La liberté d'expression aux États-Unis ? Vous semblez oublier le "Patriot Act", entre autres gentilles lois liberticides.

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    3. Oui, c'est exact. Je pense qu'il y a pourtant quelque chose de typiquement français à vouloir interdire... Quoi? Hypothèse : le jacobinisme égalitariste, en définissant la liberté, l'égalité et la fraternité, nivelle/coupe/guillotine en ce sens qu'une de conséquences de cette devise que nous connaissons, est que l'Etat plutôt que la République (et aussi les "intello et journaleux, moralistes), etc.) y puise (nt) une légitimité morale pour censurer tout ceux qui dépassent... La centralisation augmente l'efficacité de cette tendance, puisqu'il n'y a pas chez nous de sutrctures intermédiaires pour imiter l'influence de l'Etat)... Quelque chose comme ça...

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    4. Oui, le patriot act est liberticide, et pas qu'un peu. Simplement, il n'entre pas, et pour cause, dans la tradition libérale des Etats-Unis. C'est d'ailleurs pour ça qu'il choque tant. Je dois avouer que je comprends mal que les Ricains supportent ce patriot act aussi facilement : à croire que la liberté, ils ne savent plus trop quoi en faire. Un peu comme nous, du reste...

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    5. La perversion ultime consistant, chacun l'aura expérimenté, à laisser aux gens la liberté de faire ce qu'ils veulent, notamment sur Internet, MAIS en lisant toutes les correspondances privées. Ce que Snowden nous a appris, ce n'est pas seulement que les Etats nous espionnent, c'est aussi que tout le monde les laisse faire. Et une bonne partie des gens trouvent même ça normal.
      Deux écoles, donc : la traditionnelle qui interdit au peuple de l'ouvrir; et la moderne qui le laisse faire mais contrôle tout.

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  2. Entretien intéressant.
    Belles envolées sur la censure de gauche. On remarque qu'ils marchent sur des œufs concernant la pédophilie (le bon temps de 68 est déjà passé).

    Ceci dit, "les gens du peuple, Sade les aime beaucoup". On n'a pas du lire le même... et même en le lisant pendant 100 ans, con comme je suis, je ne parviendrai pas à cette étonnante conclusion basée sur le fait qu'il se fait enculer par ses valets/hommes de main.

    Le ton enfantin et gourmand (il a la voix de Jacques Ramade) de Pauvert en train d'étaler sa passion "sadienne" me fait flipper, quant à la pouffiasse littéromane d'en face, son rire avide, son accent snob : glaçant.
    On pardonne difficilement à une femme d'aimer ce bougre de Sade. Si vous en rencontrez une, barrez-vous.
    Peine-à-jouir, salope, sorcière, emmerdeuse!


    Sinon, c'est très bien.

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  3. Attention au mail vengeur de Steppenwolf (c'est son vrai nom, authentique) qui va venir t'expliquer qu'en fait, Sade est pédomaniaque.

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  4. Oh, mais chacun peut venir dire ce qu'il veut de Sade, c'est même la moindre des choses. A titre personnel, je pense d'ailleurs que Sade est une sorte de monstre, que sa morale est merdique, que l'individu qu'il illustre est le dernier des fizdepute et qu'un monde qui ferait ce que Sade écrit, eh bien ça donnerait les 120 journées de Pasolini, c'est à dire une chose insoutenable. Et la lecture de Sade est chiante au possible (sauf quelques passages que je trouve très drôles tellement ils sont burlesques, le tout à base d'enculages, of course)

    Kroulik, le problème, c'est qu'en en restant à la psychologie supposée des gens qui s'affichent comme sadiens, on ne fait qu'éviter la question de la liberté d'expression, la seule qui m'importe en l’occurrence. Cette liberté d'expression est concrètement défendue par gens "flippants" ? Eh bien, que les gens "normaux" fassent le boulot !

    Comme dirait l'autre, je ne suis pas sadien mais je me ferais enculer jusqu'à la mort pour que les sadiens puissent s'exprimer !!

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    1. C'est totalement subjectif le frisson qu'il me donne l'homme-enfant. Vive la liberté d'expression, je ne suis pas pour interdire Sade, Faurisson ou Rebatet.

      En revanche, si un taré d'inspiration sadienne veut éveiller les enfants au sexe façon infortune de la vertu : au gnouf !

      Car ils balayent un peu vite la question de la "libération sexuelle" et ses dérives les deux comiques. La génération de Pauvert porte une responsabilité, faut pas déconner. JJ joue trop l'innocent réjoui. Ce ne sont certes pas des psychopathes que ses livres ont inspirés, mais des intellos/pédo/pédagos. Et à la fin on se retrouve tous pour l'école en bateau ou dans le lit de Matzneff !

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    2. moive plutôt que de me laisser enfiler jusqu'à ce que mort s'ensuive pour l'expression des sadiens, j'opterais pour enfiler , jusqu'au trépas
      par derriere , of course , oeuf corse
      a tergo , comme on dit
      pas que ce soit passionnant ce genre de gymnastique répétitive
      c'est même épuisant
      et pas toujours très hygiénique ( ta mère) en dépit du latex
      mais bon, si c'est pour la bonne cause

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    3. Il y avait tout un discours "comprehensif" sur les perversions sexuelles dasn les sixties - a base d'anti-psychiatrie/bettelheim et alii - la folie n'est pas biologiaue, mais sociale, c'est une representation, etc. je me souviens meme d'un courant psy qui preconisait des attouchements entre parents et enfants, afin de faire disparaitre le complexe d'oedipe, etc

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  5. Merci Beboper. Mon réveillon en famille sera moins ennuyeux grâce à vous.

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