26 août 2014

Taylorisation de l'emploi de bureau


Bac +5

Aux emplois intellectuels qualifiés, aux métiers des services, aux fonctions commerciales, à tout cet ensemble que l’on appelle plus justement « emplois de bureau », il est de plus en plus courant que l’on impose des procédures strictes, des reportings minutieux, des comptes rendus permanents qui justifient de leur activité et des résultats qu’ils génèrent…

A des gens qui ont parfois une longue expérience ou une solide qualification, l’entreprise fait noter et consigner ce qu’ils ont fait, ce qu’ils vont faire, quand, comment, en quelle quantité… Sous prétexte de crise ou de « culture de la performance », l’employé écope, en plus de son travail, d’une responsabilité administrative de seconde nature qui consiste à prendre connaissance d’une méthodologie fixée, l’appliquer, puis démontrer qu’elle a été appliquée. Ce n’est plus seulement un objectif qu’on lui assigne, c’est aussi la série de tâches par laquelle il peut atteindre cet objectif.

Là où auparavant on demandait à l’employé d’atteindre un point B depuis le point A, on lui apprend désormais à marcher : comment il doit mettre un pied devant l’autre, comment se décompose le mouvement de la marche, par quelles étapes successives il doit passer… A l’arrivée, il doit non seulement être parvenu au point B mais également de prouver par une multitude d’indicateurs qu’il s’est bien déhanché de la façon qu’on attendait. Bientôt, il pourra passer 1/3 de son temps à justifier qu’il a bien travaillé durant les deux autres tiers. 

Au-delà de la question de l’efficacité ou du flicage, c’est évidemment l’autonomie et la liberté d’exercice de son métier qui sont en cause. La mesure et le contrôle de l’efficacité du travail passe nécessairement par le décorticage de celui-ci, la décomposition méthodique des tâches. Les emplois de bureau suivent en fin de compte le même chemin que les emplois industriels : on assiste à leur taylorisation. Les tâches s’industrialisent ; le métier des employés qualifiés revient à appliquer une feuille de route prédéfinie qui déroule chaque tâche en une série d’actions à opérer dans le bon ordre ; le savoir-faire que ces tâches contiennent réside de moins en moins dans le salarié qui les réalise et de plus en plus dans les méthodes et standards définis par l’entreprise. De ces personnes qualifiées, on n’attend plus la qualité mais la quantité : reproduire en masse le niveau de qualité conçu par l’entreprise et contrôlé par celle-ci en temps réel.

On peut imaginer que l’automatisation de ces emplois de bureau sera beaucoup plus facile et plus rapide qu’elle ne le fut pour l’industrie.

11 commentaires:

  1. C'est bien beau d'écrire ce genre d'articles, mais travailler dans un bureau c'est pas un "métier" : travailler dans un bureau c'est une fonction subalterne de sous homme et les évolutions dont il est question dans cet article ne représentent en aucun cas une dérive mais bel et bien la forme la plus pure et donc l'immanence même de ce genre de fonctions de sous hommes.
    Si l'on travaille dans un bureau et que l'on n'a pas encore posé sa démission, c'est que l'on est une merde. Point.

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    1. Ou alors c'est :

      _ qu'on a des diplômes en rapport avec ce genre d'emploi, et qu'une fois qu'on a fini ses études il faut bien entrer dans la vie active parce qu'on ne peut pas être toute sa vie à la charge de ses parents,
      _ qu'on s'est laissé vivre quand on était ado, parce qu'à l'époque la société toute entière nous y encourageait, et que personne ne nous a jamais prévenu en ce temps-là que la "dolce vita" éphémère de l'étudiant en FAC qui suit un cursus qui ne mène à rien, allait nous coûter et notre avenir professionnel et par extension notre droit à donner un avenir à une éventuelle progéniture,
      _ qu'on a pas eu les parents friqués qu'il fallait au moment où ils auraient été nécessaires, pour intégrer une bonne école payante ou prendre la succession de papa dans ses affaires,
      _ qu'on a pas eu les parents bourgeois / bien-informés / bien-entourés qu'il fallait, au moment où il les fallait, pour nous expliquer comment marchait le monde et nous dire quelle prépa intégrer ou dans quelle formation nous diriger pour obtenir à coup sûr un emploi,

      ..etc.

      _ou alors c'est juste que le boulot se fait rare par les temps qui courent, la sécurité de l'emploi encore plus, et qu'on a la tête dans le guidon parce qu'on a besoin de donner à de quoi grailler à ses enfants au jour le jour.

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  2. Pour poser ta démission, quand tu n'as aucun plan B, et que tu n'es pas libre de prendre ne serait-ce qu'une année sabbatique, ou de crever seul comme un chien, parce qu'on dépend de toi, tu fais comment ?

    A l'âge où tout se joue, à l'âge où l'on choisit ses études, il faudrait se lever tôt, - car l'avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt. De nos jours, l'avenir appartient à ceux qui se réveillent le plus tôt de leurs rêves d'enfant, ou mieux encore à ceux qui n'en ont jamais eu, la voilà la vérité.

    https://www.youtube.com/watch?v=Ddp1eujPLd8

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  3. « De nos jours, l'avenir appartient à ceux qui se réveillent le plus tôt de leurs rêves d'enfant, ou mieux encore à ceux qui n'en ont jamais eu, la voilà la vérité. »

    Ceux qui n'en ont jamais eu, exactement. Autour de moi, les seules personnes qui sont contentes de leur travail sont celles qui n'ont jamais eu d'autre ambition dans leur vie que celle de passer le diplôme menant à l'emploi en question. Bien sûr, on peut se gausser de ceux qui ont rêvé d'autre chose et ont échoué, mais en essayant, ils ont au moins vécu.

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  4. Peut-on aussi se risquer à avancer que dans un pays développé, il puisse exister des métiers qui ne se pratiquent ni à l'usine, ni dans les champs, et qui sont pourtant utiles et honorables ? N'en déplaise à Mao.

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  5. Bonne réflexion. Un petit conseil de lecture à ce sujet : Liberté & Cie d'Isaac Getz.

    L'auteur démontre que les entreprises qui accordent l'initiative et la liberté à leurs employés, à condition de leur transmettre en même temps une vision et un certain nombre de valeurs, sont toujours gagnantes économiquement contre les mastodontes qui mettent du controle de gestion derrière chaque faits et gestes (largement amplifié par l'informatique).

    Un livre passionnant. Quelques entreprises françaises sont citées !

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  6. Très juste. Je ne suis pas mécontent de voir le CGB aborder le sujet, tant cette tendance semble s'être accélérée de manière terrifiante ces dernières années.

    Il y a un certain nombre de paramètres intéressants en amont de cela qui méritent eux aussi le coup d'oeil. L'orgueil et la paresse des nombreux dirigeants d'entreprises, professionnels du management et autres senior executives qui espèrent à travers ces procédures parvenir à l'automatisation d'une croissance soutenue pour leur entreprise en est un.

    Mais il y a surtout là-dedans le fruit maudit de l'obsession progressiste de la transparence et du contrôle. Tout ce que le salarié fait et dont l'entreprise n'est pas dûment informée est aujourd'hui suspect. Les anglo-saxons ont ce merveilleux mot d'accountability, auquel il manque une traduction française précise et qu'on retrouve dans les susurrements des consultants à l'oreille de chefs d'entreprises déjà conquis, pour résumer le phénomène.

    Les conséquences à long terme s'annoncent tout à fait désastreuses, d'autant qu'à l'inverse de l'ouvrier pour qui l'avancement de la production était tangible, l'employé de bureau est souvent déconnecté des résultats visibles de son travail - tout en sentant la valeur relative de celui-ci diminuer en permanence, passant de manière incrémentale dans les procédures. Les entreprises les plus acharnées en la matière vont devenir de véritables incubateurs à sociopathes.

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    1. kobus van cleef31 août 2014 à 19:13

      moi par exemple ,je suis sociopathe depuis ma jeunesse
      je dirais pas qu'elle fut heureuse ,mais dans le mitan des 70 ,elle aurait pu l'être
      hé ben ,non
      et avec l'age ,ça s'est pas amélioré
      je suis devenu troisA
      pas ceux que les agences de notation aprécient , ho là , non
      non les troisA
      asocial
      anarchiste
      athée ( républicain , en gros athée envers les valeurs républiconnes)

      j'aurais pu aussi être
      amnésique
      anosmique
      apthère (comme la victoire de samothrace)

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    2. Depuis 2001, l'état est aussi touché par la "performance".
      Les fonctionnaires ne bossent plus pour le service public mais pour obtenir des chiffres d'indicateurs flatteurs qui prouveront que les objectifs de performance sont atteints haut la main. Ce que confirmeront les audits / contrôle de gestion etc.. Alors qu'en réalité, la qualité du travail est totalement sacrifiée et les chiffres bidonnés.
      Évidemment, on vous dira que le contrôle de gestion est le prix à payer de l'autonomie des "responsables d'unités opérationnelles", autonomie qui est pourtant plus virtuelle que réelle.

      Bref, flicage à tous les étages aussi chez ces épaves de fonctionnaires.

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