10 juin 2014

Journalistes éclairés

tintin-soviets 

Lors d'une soirée où je ne connais guère que celle qui reçoit, journaliste de profession, je socialise et ne tarde pas à réaliser que presque tous les gens sur place sont journalistes eux aussi. L’occasion de discuter avec différents spécimen dont un couple de "vieux" journalistes radio, révélateurs du désarroi légitime des gens de ce métier.

Je suis toujours étonné de constater l’autorité morale que les grands organes de presse exercent aujourd'hui encore sur tant de gens : le caractère religieux que l’on peut accorder à la lecture du Monde, aux radios de service public ; la respectabilité automatique offerte à des torchons comme l’Express ou à tout ce qui est imprimé, pour la seule raison que c’est imprimé.

Et cette autorité morale touche avant tout les journalistes eux-mêmes. Peu de professions sont à ce point nourries d'illusions à propos du rôle qu’elles tiennent dans la société, c’est ce que je pensais en écoutant ce couple de journalistes.

Ce qui est revenu le plus souvent dans les conversations, c'est la lamentation sur « l’information va trop vite », « plus les moyens de faire sérieusement le travail », « la rapidité du web pousse à sortir l'info sans vérifier, sans analyse »… Mais bon sang vous ne l'avez jamais donnée, l'analyse ! Avant ou après le web, je n’ai souvenir que d’actualité brute, sans recul, d’infos « capitales » qui disparaissent subitement pour laisser place à une autre, de faits divers sortis comme d’un chapeau, de crises internationales entre pays semblant être nés la veille, d’amnésie organisée sans perspective, sans histoire et sans compréhension… 

Internet n’a pas changé quoi que ce soit à cela. Peut-être même pousse-t-il ces médias à faire plus attention, à dire moins de bêtises. Car d’analyses il n’y en a jamais eu autant depuis internet - et autant de pertinentes, parfois même dans un simple commentaire.

  bierbar 

Au final, le plus fascinant, le plus surprenant, c’est la croyance de ces gens, les journalistes, en la nécessité absolue de leur « analyse » : ils sont véritablement habités par la conviction que le public a besoin d’eux, qu'il est incapable de se diriger parmi la jungle des informations sans leur bénéfique analyse. Il y a cette croyance que les gens les attendent et que l’on courrait un vrai risque à s’aventurer sans eux dans la compréhension. Tous les retraitements de l'information ne sont pas bons ; l’opinion des blogs, des anonymes, des non-cartés, est périlleuse car tout le monde peut dire n'importe quoi, comprenez-vous, mais la leur à eux est salvatrice...

Cette conviction intime peut facilement se deviner. Mais de la voir exprimée à travers de vrais yeux mouillés et humains, cela me l’a rendue plus vraie, sincère, presque touchante dans son authenticité. Le regard désemparé et gentil de ce couple de vieux journalistes tandis qu'il m'expliquait comment le métier se trouvait chamboulé, m'a fait penser à celui que d'un croyant de 1905, ou d'un communiste des années 80 : malgré toute la foi honnête qu'il a chevillée au corps, il ne peut échapper au sentiment, à l'évidence, que son monde se termine, qu'il est arrivé trop tard, que l’heure n’est plus à cela et qu'elle n'y reviendra jamais.

7 commentaires:

  1. Au milieu des années 80, quand j'ai commencé à lire Le monde, je me souviens de l'impression de sérieux qu'il m'a faite. Des articles longs et documentés (sans forcément de point de vue contradictoire, certes), des sujets traités sur plusieurs jours, plusieurs semaines. Un abîme de complexité révélé à la faveur d'un article sur le Honduras (genre le truc qui n'a pourtant a priori aucun intérêt pour un Français moyen), des articles rédigés par des non-journalistes, etc.
    J'aurais donc tendance à penser que ton impression sur la presse-qui-a-toujours-été-comme-ça, n'est pas juste. Au moins pour une partie de la presse. Non, je pense que la presse n'a pas toujours été aussi nulle. Comme bien d'autres choses... D'ailleurs, elle n'a pas toujours été aussi "concentrée", financièrement parlant. Ceci entraînant peut-être cela...

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    1. Un diplomate m'avait confié qu'au Quai (d'Orsay, hein, mais pour eux, il n'y en a qu'un) on ne lisait plus Le Monde, jusque là plutôt réputé pour le sérieux de ses pages internationales, eu égard à la baisse du niveau et aux âneries qu'on pouvait y trouver. C'était il y a 10 ans déjà.

      Pour ma part, j'ai dû me coltiner la lecture obligatoire (vi, comme d'autres se farcissent le Talmud) du Monde durant mes études science-pipotesques. En comparant, à 15 ans de distance, les deux feuilles de chou, force est de constater que la qualité des articles a baissé. Cependant l'auto-satisfaction des plumitifs demeure, et c'est bien là l'essentiel.

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  2. Ca ne bouge pas beaucoup.
    Les journaleux n'intéresseraient-ils plus personne ? Même vieux et touchants ?

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  3. Ne dite pas de mal ce journal fumeux, Le Monde a toujours été très pratique pour emballer la poiscaille, parole de poissonnier rive-gauche!

    Et quand la taupe sonne au guichet & qu'il est l'heure d'aller couler un juste bronze dans la cabane au fond du jardin, Le Monde s'impose définitivement comme le plus efficace des papiers-torche-cul: grâce à ce canard insipide & snobinard, tu chies chic & intelligent!

    Par principe (et surtout par snobisme élitiste), je reste fidèle à ma marque de PQ préférée: rien de tel que les pages (navrantes) de l’œuvre "littéraire" de BHL pour se torcher les fesses avec efficacité aux gogues, ça impressionne mes amis snobs & coincés du Rotary Club.

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  4. N'est-il pas un peu en décadence permanente depuis des lustres, le monde du journalisme? Je veux dire, eussiez-vous tenu la même conversation il y a quarante ans, je ne parierais pas que vous n'auriez pas déjà eu droit à des récriminations similaires sur l'accélération de l'information, la perte de prestige du métier et autres considérations du même style...

    C'est que le journaliste est assez réac par nature, en dépit de la dévotion de bon aloi qu'il affiche envers le progressisme. Jusqu'où ses récriminations suggèrent-elles vraiment l'imminence de la fin de son monde de privilèges et de sa position d'autorité morale supposée, je me le demande.

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  5. L'un des mérites d'Internet aura effectivement été de démontrer que le journaliste n'est jamais qu'un instit qui a raté son concours de prof des écoles : un donneur de leçons à l'intelligence laborieuse et à la culture gé standard. Exemple type : Alain Duhamel (50 ans d'analyses politiques à côté de ses mocassins à glands).

    Dernièrement, on a noté la tendance des journalistes à faire du "fact checking". Mais, même là, ils sont dépassés par le Net ou pris en flag de désinformation. Dans cette galerie de toquards, les journalistes "décodeurs" du Monde méritent le Prix Kim Jong Il pour l'édification des masses par le journalisme.

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  6. C'est sûr que les 99% des journalistes n'auront jamais autant d'archives qu'un Emmanuel Ratier bosseur et ostracisé:
    http://youtu.be/vFAzOz1SiXY

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