5 novembre 2013

La Recherche


 

Peut-être est-ce parce que « la nature a horreur du vide », mais l’humain a ce trait de caractère : il s’immisce, s’insinue, s’infiltre, envahit, développe ses branches et ses racines dans tous les domaines et tous les lieux, à tous les degrés, sans jamais pouvoir s’arrêter. Quelles que soient les conditions et le climat, il s’étend, se répand dès lors qu’il est possible de le faire, jusqu’à occuper tout l’espace. Un peu à la manière des graffitis en bord de voie ferrée.

Si vous prenez le train, vous pouvez constater que tant qu’il y a un mur ou une surface, il y a des graffitis. Ils se déposent sur toute la longueur de la voie aussi longtemps qu’il y a du mur pour ça. Y compris aux endroits les plus inaccessibles, dans la campagne la plus rase où ne vit ni voyou, ni hip hop, ni personne : graffiti quand même. Rien n’arrête le graffiti le long des voies ferrées. C’est comme ça. Et l’esprit humain s’infiltre absolument partout exactement de la même façon : toute activité, scientifique, intellectuelle, économique, sportive… se développe jusqu’à son paroxysme. Chaque discipline, chaque hobby, chaque passion est toujours poussé à son niveau olympique et professionnel. Il n’y a pas de lubie qui reste à l’état de lubie, pas de domaine qui reste vierge et inexploré. Rien n’est laissé de côté. Tout est poussé à son optimum. Chaque activité a son champion ou son spécialiste qualifié. Même l’occupation la plus bête : puzzle, échecs, bicross… Il y a toujours quelque part sur terre un humain qui s’en est fait LE spécialiste, LE collectionneur, LE recordman, et vous ne pourrez désormais plus le rattraper dans son domaine. Y compris pour une chose comme le curling, il se trouve des « champions », avec leur technique aboutie et leurs gestes parfaits, leur maillot et leur matériel spécialement étudié… Et pour quelque chose comme le parapente, il y a une science qui s’est mise en route : le parapente n’est pas resté la fantaisie de quelques fous et têtes brûlées, il n’est pas resté un simple bout de toile confectionné par des amateurs mais fait appel à des matériaux sophistiqués spécialement conçus, et rassemble des aficionados du monde entier lors de compétitions entre gens qui font du parapente selon différents styles. Il y a un art du parapente.




Beauté du geste. Grâce du mouvement.

L’excellence et le génie humain s’immiscent absolument dans tout, et dans le mal c’est la même chose : quel que soit ce dont on parle, il se trouve toujours quelqu’un pour faire le pire jusqu’au bout. On pourrait légitimement croire qu’il y a des choses trop horribles, trop cruelles, trop vulgaires pour être commises, mais ce n’est pas le cas : il finit toujours par y avoir quelqu’un pour provoquer la dérive qui était à craindre ou franchir la limite qu’il ne fallait pas franchir. Vous pouvez dresser tous les comités éthiques internationaux et universels que vous voudrez, vous n’empêcherez pas qu’il y ait des clones d’êtres humains, ou bien que l’on conçoive des robots de guerre qui iront tuer paisiblement et massivement. Vous n’empêcherez pas que l’on pousse l’idée des technologies transhumaines à son terme quand bien même on sait pertinemment qu’elle fera naître une inégalité objective entre deux races d’hommes... Tout le monde imagine ce que ça peut donner, tout le monde visualise, tout le monde en redoute l’éclosion et personne n’a vraiment envie de ce monde-là, mais peu importe : nous allons tout de même inventer ces choses, et vite ! C’est inévitable parce que la technique le permet, parce que c’est innovant, et parce que cela relève du pire.

C’est ainsi. L’humain ne s’arrête pas de lui-même. Interdits moraux, législation, mises en garde, n’empêcheront pas le pire d’arriver ; seulement qu’on soit trop nombreux à le faire. Mais ne se rapproche-t-on pas encore plus rapidement du pire du fait que la Recherche ait remplacé l’Inventeur ?

Auparavant, il y avait les inventeurs. L’Inventeur est quelqu’un qui dans le cadre de ses activités, ressent un manque, un besoin, et qui à force d’observation, d’adresse et d’ingéniosité, finit par créer cette chose dont il a besoin. Sa motivation est toute égoïste et personnelle : il poursuit l’accomplissement de quelque chose qui doit le servir lui. La Recherche, en revanche, est une infanterie lancée à la conquête de ce qui n’est pas encore connu, dévouée au défrichement de ce qui n’a pas encore été fait. La Recherche n’a pas de fin. Et le Chercheur, qui est-il ? Un type armé de connaissances, équipé jusqu’aux dents, élevé pour chercher, connaître et découvrir. Payé pour ça. Le Chercheur est désimpliqué, ne cherche pas pour lui mais pour une cause ou une entreprise ; il bêche sans désir ni besoin propres, il explore sans savoir où il veut en venir, innove parce qu’il faut innover, parce qu’on lui demande, parce qu’il y a du budget et que c’est son métier.

Il est un inventeur, en somme, mais objectivé, dépossédé de l’objet de son travail ; et ses inventions sont privées de motif spécifiquement humain. Aujourd’hui, on invente par exemple de nouveaux états de la matière sans encore savoir pourquoi on le fait, sans savoir à quoi cela pourra servir, ni même si cela servira un jour. Mais en tout cas, c’est là : une invention née de l’inoccupation scientifique et du fait qu’on ait des chercheurs à occuper, des budgets à dépenser, sans quoi ils dépériraient.

Comment, dans ces conditions, ne pas aboutir à ce stade du Progrès où celui-ci se construit pour lui-même, ex-nihilo, en dehors du service qu’il rend pour l’humain ? Comment ne pas arriver à ces inventions qui ne servent personne, à ces progrès maléfiques qui engendrent la destruction ou à ces immondices dont on regrette que l’homme ait jamais soulevé le couvercle ?

9 commentaires:

  1. Pas faux. Cela dit, des textes comme le vôtre (réaction très répandue en France), et le mandarinat infernal de la recherche (publish or perish), ajouté au copinage extrême en France, incitent les meilleurs à tout simplement aller voir ailleurs - dans un autre pays, ou dans un autre secteur - les mêmes qui seraient susceptibles d'avoir le minimum de conscience dont vous soulignez le manque cruel. Qui reste, notamment en France ? La crème...

    Voir la science comme une meilleure compréhension de la nature, y compris de soi-même, impose de la distinguer de la frénésie technique actuelle, pseudo-innovation sans progrès humain. Ainsi, de nombreux "chercheurs", "centres de recherche" etc. n'ont en fait rien à voir avec la recherche, et ne font qu'en porter l'étiquette. Indûment.

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  2. La recherche perd du temps que j'te dis Marcel !

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    1. ça a failli être le titre de l'article à quelque chose près...

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  3. Des chercheurs qui cherche on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent on en cherche...
    dixit le daron d'une amie qui lui est un vrai chercheur, un bon a l'ancienne

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    1. Votre amie est la fille du général de Gaulle ?

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    2. Pas du tout, c'est un chercheur en sciences physiques et mathématiques, et connaissant le personnage cela ne m'étonnes pas qu'il déclame une citation du général, si elle appartient bien a ce dernier.....Lui même étant profondément anti soixante-huitard, pourtant natif des fifties....Sur ce criticus,cordialement

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  4. "mais pourquoi faire?"
    Une fois de plus le sujet a déjà été traité par les Inconnus il y a a un certain nombre d'années...

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  5. Voilà de la vraie recherche: http://www.businessweek.com/articles/2013-11-07/economists-discover-the-poor-behave-differently-from-the-rich

    Un des meilleurs morceaux:

    "Poor people are what economists call “borrowing constrained.” They tend to have more needs than are being met, so when money arrives, they spend it. When the government stops spending and credit is hard to come by, the mythical everyman, like the rich person, continues to spend. But most real people don’t have access to credit, and they hunker down. Carroll’s findings have been confirmed by other academics in the last two years who looked at Italian and U.S. data."

    Et ca n'a pas l'air d'être un 1er avril.

    Maintenant, imaginez la réaction d'un chercheur en sciences dures, voyant comment certains budgets sont dépensés...

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  6. Trouvez.... mais sans chercher hein bande de tricheur !
    Ca me rappele l''école primaire ou un camarade très véxé que je puisse presque toujours répondre aux questions du Maitre m'avait dit: " Je sais pourquoi tu connais tout ca, tu l'as lu dans des livres...". Mon statut de de Pic de la Mirandole de banlieue rouge en avait pris un coup, tout cela etait le fruit d'un travail (quelle horreur), je n'etais pas né avec la science infuse...
    Les inventeurs ont cherché. Bien sur l'idée revolutionnaire est plus belle et noble que le progrès incrémental mais elle ne vient que rarement a celui qui ne cherche pas.
    Souvent le Chercheur (le vrai "de métier") est salarié en France puis deviens Inventeur aux états-unis: il a trouvé (en France une Idée, aux States une aide pour la valoriser) !

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