25 septembre 2013

Les quenelles de la honte




Le président
Madame et messieurs. Vous êtes appelés devant ce tribunal en tant qu’experts, pour apporter tous les éclaircissements techniques sur l’affaire que nous jugeons aujourd’hui. Je ne crois pas devoir vous rappeler l’extrême gravité de la chose jugée ici. A travers ce tribunal, c’est le pays tout entier qui attend des réponses. Nous vous demanderons d’abord de vous présenter. Madame ?
Nassima Chenalfi
Je m’appelle Nassima Chenalfi, j’ai vingt-neuf ans. Je suis propriétaire d’un salon de prestations de services
Le président
Plus précisément ?
Nassima Chenalfi
…Prestations de services de relaxation
Le président
Plus précisément ?
Nassima Chenalfi
Relaxation horizontale…
La Défense
Madame Chenalfi veut dire par là qu’elle suce des bites.
Le Président
Vous sucez des bites !?
Nassima Chenalfi
Pas seulement ! Nous apportons à notre clientèle une gamme de prestations construites sur un diagnostic partagé, au regard de ses besoins, de son budget mais aussi des innovations induites par nos investissements Recherche & Développement. Nous délivrons par exemple un panel de trente-huit massages de types différents, issus des cultures du monde, dans une démarche radicalement équitable.
Le président
Avant ou après le suçage de bite ?
Nassima Chenalfi
Avant, monsieur le Président ! Le massage, c’est toujours avant. Ha, et j’oubliais : dans mon métier, on a l’habitude de m’appeler Cindy.
Le président
Très bien, Cindy. Au suivant de ces messieurs.
M. Branquy de la Fouaf
Jean-Eudmond Branquy de la Fouaf, psycho-sociologue, docteur en psycho-comportementalisme comparé. Je suis entre autres l’auteur de « Nazisme et démocratie », de « La menace fasciste dans les couloirs de bus » et du « Parc d’attraction hitlérien », un roman réaliste…
La défense
Bigre !
 

Kevin Bobichon
Quant à moi, je m’appelle Kévin Bobichon et suis diplômé de nombreuses grandes écoles, tant que leur énumération complète risquerait de devenir fastidieuse. Sachez en tout cas qu’en dehors du permis de conduire, tous les examens où je me suis présenté ont été avalés haut la main. Quelque sujet que nous abordions, je sais de quoi je parle.
Le président
Bien. La question que nous jugeons aujourd’hui est celle-ci : la quenelle de Monsieur Dieudonné M’Bala est-elle d’essence nationale-socialiste ? Nous vous avons mandés pour nous aider à trancher la chose. Qu’en pense l’accusateur public ?
Le procureur
Eh bien, votre honneur, je crois que l’avis de monsieur M. Branquy de la Fouaf, lèvera promptement toute ambiguïté.
M. Branquy de la Fouaf
Inutile de rappeler à la cour ce que fut le salut nazi : chacun porte en lui le souvenir effrayé des ravages que le Mal a infligés au monde. Si je n’ai pas été déporté moi-même, étant né bien après la guerre, je suis tout de même l’arrière arrière-petit-fils de l’ami d’un homme qui a failli passer trois jours en garde-à-vue dans un commissariat du Limousin. Trois jours, vous rendez-vous compte ?
Le président
Nous compatissons, monsieur l’expert, et tenons à déclarer aujourd’hui que nous n’oublierons jamais les victimes de toutes les guerres !
M. Branquy de la Fouaf
Merci. Pour en venir au cœur de la question du jour, je puis avancer ceci : les analyses que nous avons faites des photos de quenelles dieudonniennes sont formelles : il s’agit bien d’un salut nazi !
Le président
Soyez plus précis
M. Branquy de la Fouaf
Le bras est tendu, votre honneur : que demander de plus à un salut nazi ?
La défense
Que le bras soit tendu vers le ciel, peut-être ?
Le procureur
Détail ! Un bras tendu vers le sol, c’est déjà la marque du nazisme !
M. Branquy de la Fouaf
Je confirme : n’oublions pas que le sol, ce sont aussi les enfers, les catacombes, la mort, c’est-à-dire rien d’autre que le royaume du nazisme ! Saluer le sol, c’est saluer Thanatos, c’est inviter à s’y soumettre, c’est menacer de réveiller les forces ténébreuses, c’est tendre la main à Belzébuth !
La défense
Monsieur le Président, pouvons-nous rétablir la raison dans ses droits devant ce tribunal ?
Le président
Je ne vois pas en quoi la raison a été menacée jusqu’ici… Croyez-vous que le nazisme soit une petite chose, aujourd’hui, en France ?
La défense
Oui, justement. Et comme le diable qui vient d’être évoqué, je doute même fortement qu’il existe !
Le Procureur
Vous n’avez pas le droit ! Mettre en doute l’existence du nazisme, c’est insulter le… c’est mépriser les… heu… c’est, enfin, j’veux dire…

Un silence gêné suit le bafouillis du proc en chef. Un greffier garde la bouche ouverte et, comme dans une vidéo en « pause » sur un magnétoscope de 1979, seule une de ses narines frémit. Blême, Dieudonné est coi. Il semble avoir perdu du poids. Mais en fait, non. Le Président se rajuste une couille vite fait, si discrètement que personne ne remarque la satisfaction qui déride son faciès.


La défense
Bien ! Pouvons-nous revenir à ces fameuses quenelles, monsieur le Président ? Puis-je demander à monsieur Bobichon de nous éclairer sur ce point ?
Le président
Faites !
Kévin Bobichon
Je crois être en mesure de démontrer à ce tribunal que la quenelle, dans sa version moderne, n’est rien d’autre qu’un succédanée copulatoire. Il s’agit d’une métaphore gestuelle mimant l’immixtion d’un artefact tubulaire dans l’arrière-corps d’un contradicteur.
Le président
Si je comprends bien, vous voulez dire une bonne enculade ?
Kévin bobichon
C’est cela même.
Le président
Comment ça ? Une enculade, là, en plein tribunal ?
Kévin bobichon
Symbolique, mon Président, symbolique l’enculade !
M. Branquy de la Fouaf
Qu’est-ce qui vous permet d’être aussi péremptoire, cher collègue ?
Kévin bobichon
L’expérience ! J’ai reproduit en laboratoire les effets d’une bonne quenelle épaulée, et mes cobayes ont été formels, c’est une enculade. Leurs culs en témoignent, d’ailleurs, et peuvent être présentés à ce tribunal en cas de besoin.
Le président
Nous verrons en temps utile.
Kévin Bobichon
Une quenelle de qualité, voyez-vous, se pratique à deux mains : une main tendue pointe vers le sol, allonge le bras dans un geste démonstratif ; l’autre main coupe ce bras à hauteur de l’épaule, pour marquer la limite extrême de la pénétration symbolique.
La défense
Vous voulez donc dire qu’un quenelier qui connaît son affaire adresse un message enculatoire symbolique à son interlocuteur ?
Kévin Bobichon
Faute de mieux, évidemment.
Le procureur
Monsieur l’expert, pouvez-vous être plus précis ? Comment un geste d’une telle ampleur peut-il signifier une chose aussi délicate qu’une enculerie ?
Kévin Bobichon
Souvenons-nous des bras d’honneur de nos camionneurs, tout simplement. Monsieur le Président, vous prenez parfois les départementales ?
Le président
Jamais. Je déteste les routes départementales.
Kévin Bobichon
Eh bien, si vous les empruntiez, vous sauriez que des camionneurs irascibles y pratiquent encore – trop rarement hélas, ce geste français entre tous, le bras d’honneur. A la faveur d’un dépassement, d’un freinage brusque ou d’une queue de poisson, le bras velu du travailleur routier s’élève dans l’air pour intimer à l’automobiliste le conseil d’un voyage de détente en Grèce. Or, ce bras d’honneur n’a rien de délicat. Il n’est ni féminin, ni subtil, ni respectueux de l’environnement. Il signifie brutalement « va te faire enculer », c’est tout.
Le président
Le parallèle me paraît valide. Monsieur le Procureur, lui, semble dubitatif ...
Le procureur
Je dubidate. Je dubidate énormément ! Quel rapport entre un bras d’honneur et une quenelle ?
Kévin Bobichon
Le bras ! Coudé dans une circonstance, tendu dans l’autre. Fantaisie des artistes, qui renouvellent pour nous l’irremplaçable outil qu’est le langage mimé !
Le procureur
Mais êtes-vous sûr que le prévenu veuille vraiment que ses ennemis aillent se faire enculer ?
Kévin Bobichon
C’est évident. La quenelle, de forme oblongue, lisse et fraîche comme un bras de camerounais, est l’image idéale pour symboliser un gros zob.
Le président
Soit. Mais l’autre main, qui vient s’appuyer sur l’épaule, j’avoue ne pas comprendre…
Kévin Bobichon
Ha, l’autre main… ordinaire vantardise des mâles. Elle simule la longueur du chybre censément enfoncé dans le cul du saligaud d’en face, monsieur votre honneur. Une quenelle avec une main posée à mi-bras est le signe d’un esprit mesuré et encore ouvert au dialogue. En revanche, la quenelle épaulée, que la main définie « longue comme le bras », s’enfonce symboliquement dans les culs rétifs jusqu’à la garde. C’est la plus redoutable !
M. Branquy de la Fouaf
Les nazis aussi étaient redoutables !
La défense
Je ne le vous fais pas dire : quelle bande d’enculés !
Le président
Monsieur l’avocat, je vous en prie. Nous sommes ici pour trancher un problème sérieux. Monsieur l’expert, ne pourrait-on pas voir une équivalence entre « Heil Hitler » et « dans ton cul » ?
Kévin Bobichon
Je ne suis pas sûr que nos amis homosexuels apprécieraient la comparaison. Non, monsieur le Présideur, il suffit de regarder une quenelle simplement, avec les yeux de l’enfance, pour voir comme dans une vitrine éclairée qu’il s’agit d’un manche, d’un goumi, d’un braquemart de circonstance qu’on adresse à l’adversaire.
Le procureur
Mais il est parfaitement indigne d’enculer ses adversaires !
La défense
Je vous suivrai sur ce point : un gentleman accompli réserverait cela à ses seuls amis. Mais peut-on exiger ce genre de subtilité d’un homme qui, je vous le rappelle, n’est blanc qu’à moitié ?

Un bref brouhaha bref s’élève : l’assistance opine du chef comme un sodome.

Le président
Madame Cindy, que pouvez-vous nous dire qui aiderait ce tribunal à trancher ?
Cindy
La quenelle, on peut dire que c’est une nouveauté, par chez nous. On n’en avait jamais entendu parler avant, mais depuis quelques années, on ne nous demande plus que ça… Ha, on n’a pas un métier facile, il faut suivre les évolutions sociétales…
Le président
On vous en demande ? Expliquez-nous cela.
Cindy
Oh, ce n’est pas compliqué à expliquer. Des messieurs viennent nous voir et nous demandent de se faire glisser une petite quenelle…
La défense
Je fais remarquer que c’est l’expression consacrée, utilisée depuis toujours par mon client !
Cindy
La première fois, j’ai pris ça pour une perversion charcutière, un fantasme de traiteur. Vous savez comme on est ? On cherche toujours à compliquer ce qui est simple. En fait, il s’agissait tout bonnement de sodomie.
Le procureur
Le premier client qui vous a demandé ça n’était-il pas nazi ?
Cindy
Non, il était alcoolique.
Le procureur
Mais, savez-vous au moins ce qu’est un nazi ?
Cindy
Je suis pas bien sûre…
M. Branquy de la Fouaf
C’est un homme en uniforme, avec une casquette, et un bras tendu.
Cindy
Ah, oui… des hommes en uniforme, j’en vois passer assez souvent, et qui demandent des quenelles aussi…
Le procureur (se tournant vers le président)
Ah !
Cindy
Des gens très gentils par ailleurs, bien polis, bien discrets. Des policiers.
Le président
Comment !? Des policiers ?
Cindy
C’est cela même.
Le président
Des policiers vous demandent des quenelles ?
Cindy
Des policiers, oui. En uniforme, toujours. Et des gardiens de cimetière aussi.
M. Branquy de la Fouaf
Tous les corps constitués sont infestés ! Les nazis sont parmi nous !
La défense
Meunon, il y a simplement des enculés partout…
Le président
Madame Cindy, pratiquez-vous les quenelles vous-même ?
Cindy
Je suis une bonne chef d’entreprise : je sais déléguer. Mais je peux assurer que mes clients sont satisfaits. D’ailleurs, ils reviennent.
Le président
S’il fallait résumer, diriez-vous qu’une quenelle, c’est toujours dans le cul ?
Cindy
Oui, c’est dans le cul.
La défense
Dans le cul ?
Cindy
Dans le cul.
La défense
Monsieur le procureur, vous avez entendu ? Elle a dit dans le cul !
Le procureur
J’ai bien compris : dans le cul.

L’assistance refait le même brouhaha que tout à l’heure, car elle ne connaît pas les vingt-sept brouhahas légaux autorisés dans les tribunaux. Le président se tourne vers ses deux adjoints, qu’il semble consulter. En fait, il en profite aussi pour caler un rendez-vous sur le terrain de golf mercredi prochain.
Le jugement va être rendu promptement. Il est imminent. Il ne saurait tarder. Il est là. C’est comme si on l’entendait déjà.
Les journalistes présents sur le banc affichent des mines graves. Personne ne sait pourquoi.
Une journaliste frais émoulue d’une école de merde demande à sa voisine ce que c’est, au juste, que les heures les plus sombres de notre histoire. « C’est pour un papier, genre », dit-elle.
Le prévenu joue des pouces sur son I-phone. Il répond par SMS à une chaîne de télévision iranienne en en profitant pour faire une pub énorme pour son dernier spectacle.
Soudain :

Le président
Bien ! Jugement est rendu. Après avoir entendu les parties et pris l’avis des experts, le tribunal s’est fait l’idée la plus juste de la manie quenellienne du prévenu. Il considère que si les quenelles de monsieur M’Bala portent symboliquement atteinte au fondement de ses adversaires, elles ne semblent pas menacer ceux de la république. A ce titre, monsieur M’bala, est libre de continuer de queneller. Il peut quitter librement cette enceinte. Nous le retrouverons cependant la semaine prochaine en ce même tribunal pour traiter une nouvelle plainte portant sur sa moustache, qui dissimulerait sous son abondance une autre moustache, plus petite, moins large, et de sinistre mémoire. Monsieur M,Bala, vous êtes d’ailleurs tenu de ne pas vous raser avant que la justice se soit prononcée.

16 commentaires:

  1. un petit détail, parce que j'aime bien queneller les mouches : pour refléter parfaitement l'esprit du temps, Cindy aurait dû dire : "Je suis une bonne cheffe d’entreprise", ou bien carrément : "Je suis bonne entrepreneuse"...

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  2. Voila notre Beboper qui se rapproche de la subversion manifeste...

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  3. Très drôle.
    Cependant, on ne sait toujours pas à qui le gourou Dieudo adresse réellement ses gestes quenellés. Aux juifs ou à son public ?

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  4. Hilarant et fort bien écrit
    On a la subversion qu'on mérite...

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  5. Tout petit déjà j'aimais les quenelles... Suis-je devin Docteur ?

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  6. Quenelle par-ci, quenelle par-là ; ça ne vole pas très haut tout de même... Je vais me lire un bouquin de Jonathan Littell pour me changer les idées http://www.amazon.fr/Tch%C3%A9tch%C3%A9nie-An-III-Jonathan-Littell/dp/2070436985/ref=sr_1_3?ie=UTF8&qid=1380200491&sr=8-3&keywords=jonathan+littell

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  7. Camille fait très fort sur ce coup-là. On l'applaudit clap clap !

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  8. L'idée de la quenelle fait son chemin.
    D'ailleurs les écolos avec Niculo Hulat en tête, vont convoquer tout les politiques pour un nouveau "Quenelle de l’environnement"
    "La quenelle est en marche, rien de l'arrêtera" : Henry Chapier

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  9. Lien inaccessible, ma pauvre Camille
    Précisez votre pensée

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  10. Diriez vous qu'une quenelle c'est toujours dans le cul ?
    Oui dans le cul
    Toujours ?
    Oui toujours

    Beboper, pour ça, vous resterez au panthéon !
    Pas qu'on veuille vous euthanasier,mais lorsque, lassé d'un long voyage, vos yeux se fermeront, alors, la nation transférera votre dépouille dans sa dernière demeure, avec les pères fondateurs
    Je me sais indigne de prononcer le moindre discours, mais entend ceci, ami Beboper...."entre ici, avec ton terrrrrible cortège....."

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    1. Le panthéon menace d'ailleurs de se remplir de gonzesses. C'est enfin un endroit ousqu'on peut envisager d'aller non pas reposer, mais passer du bon temps...
      (Au fait, comme les multinationales de mes deux qui brevettent l'eau à bulles ou le gène de la salade verte, j'envisage de déposer l'expression "dans le cul". Faites gaffe désormais à ce que la Sacem ne vienne pas vous délester d'un pognon considérable à mon profit)

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  11. Ils l'ont fait... : http://www.dailymotion.com/video/x15dqxo_il-ne-faut-pas-laisser-le-monopole-de-la-quenelle-a-dieudonne-europe-1-30-09-2013_news?from_related=related.page.int.behavior-only.96d4b73c81c87c5a2e6022006ea82360138066852

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  12. Mais de quelles femmes se remplit-il, le panthéon ?
    De quelles vierges republiconnes, tarderies non mouillantes ,bas bleus sèches comme le désert, institutrices prêtes à faire la leçon à tout un chacun pour tout et rien ?
    De quelles épouvantables féministes obtuses, de quelles ignobles chiennes deforgeuses de concepts culpabilisants va-t-on le voir se remplir ?
    Si c'est isabelle Alonzo qui squatte le panthéon, y a de quoi se faire incinérer et disperser en Lozère, là où personne viendra faire iech'

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