16 mars 2012

Qui veut d'un monde multipolaire ?

« Auto-détermination ». « Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Voici des expressions qui fleurent bon le cours d’histoire XXème siècle et qui ont totalement disparu du vocabulaire actuel. C’est clairement quelque chose dont on n’a plus envie. Nous arrivons pourtant à un moment intéressant de l’histoire où l’Occident n’a plus la vitalité de faire rayonner son influence ni la puissance et les moyens de l’imposer, et alors que le monde s’apprête enfin à devenir réellement multipolaire, on n’entend pas les cris de joie de ceux qui appelaient à une meilleure distribution.


"Putain y r'passent encore la grande vadrouille !"

Avec la fin de la Guerre Froide, ce ne sont pas seulement deux « blocs » qui ont disparu, c’est aussi le tiers-monde, c’est-à-dire le monde tiers, celui qui faisait valoir son droit au non-alignement sur les modèles imposés. Aujourd’hui, l’existence d’un monde tiers qui ait son propre modèle et sa façon d’être n’est plus admise.

Oh, bien sûr, si l’on demande qui est pour la diversité des peuples, tout le monde lève la main. Mais entrez dans les détails, et surgissent alors les conditionnels, les exceptions, les clauses dérogatoires… Au final, bien peu sont ceux qui pensent réellement que les nations peuvent parler d’égal à égal. Bien peu sont ceux qui pensent qu’il n’y en a pas de plus éclairées que d’autres pour leur dicter une conduite, ou pour détenir l’arme nucléaire. Bien peu sont ceux au final qui sont disposés à accorder à ce « tiers-monde » plus que de la charité ou des bombes.


A la place de la multipolarité, on suppute plutôt que le monde porte en lui une seule et même aspiration, plus ou moins consciente, plus ou moins affirmée, plus ou moins empêchée par un tyran... aspiration qu'il faut encourager à éclore notamment là où elle n’a pas de graine. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a laissé place au devoir d’ingérence. Le paradigme tiers-mondiste s’est fait voler sa légitimité par le paradigme mondialiste. Car c’est de cela qu’il s’agit : parce que le monde a pris les dimensions d’un village, le sentiment général est que nous sommes plus ouverts, plus proches des autres pays, des autres cultures… L’impression commune est qu’on se connaît mieux, qu’on se comprend mieux, qu’on n’est pas si différents qu’on a voulu nous le faire croire… On a développé une familiarité qui ne repose pas sur grand-chose d’autre qu’un vague sentiment fortement usurpé. Car en quoi se connaît-on mieux, depuis qu’on a une monnaie commune ? Depuis qu’on consomme les mêmes produits ? Depuis qu’on part en vacances chez les autres ?

Les gens se déclarent similaires, frères, citoyens du monde… Mais nous ne nous connaissons pas. Le citoyen du monde autoproclamé tutoie toutes les cultures, toutes les peuplades, mais à la façon déplacée d’un inconnu qui tutoie celui qui ne l’y a pas autorisé. Il ne connaît pas mieux ces gens-là, il a simplement un a priori positif, qui relève toujours autant d’une méconnaissance. Le meilleur endroit pour constater cette familiarité usurpée est celui des dirigeants et des élites : on le voit très bien si l’on compare les comportements diplomatiques actuels et passés. Dirigeants et voyageurs d’antan ne feignaient pas une amitié automatique avec un peuple qu’ils ne connaissaient pas. Ils ne cherchaient pas à « se sentir à l’aise » coûte que coûte. Ils observaient une certaine distance lors de leurs entrevues, qui était celle de l’invité reçu : on adoptait les codes de l’hôte, on se savait toléré. Il aurait par exemple été sans doute inimaginable qu’un pays se permette de légiférer sur l’histoire et la mémoire d’un autre, comme l’a récemment fait la France avec la Turquie.

Bien plus qu’une simple histoire de courtoisie, ce qui s’est perdu à travers ce sentiment de familiarité mondialisée, c’est la perception des différences et leur respect. A se sentir frères, à se considérer égaux, seulement séparés par la langue ou la distance, on nie l’étrangeté qu’on ne peut pas saisir. On nie simplement que l’autre ait une intimité qui nous sera toujours hors de portée. Sa part d’incompréhension. Dans le même temps qu’on s’est senti plus ouvert et plus proche, notre tolérance s’est en réalité rétrécie. Dans le même temps qu’on s’offusque d’entendre dire que « les civilisations ne se valent pas », on se sent légitime à bouleverser celles qui nous sont réellement déviantes, pour les aspirer vers quelque chose qui nous ressemble plus.

C’est finalement toujours la même histoire d’attitude vis-à-vis de ce qui est étranger : il y aura toujours deux façons d’aimer la différence. L’aimer à la dissoudre pour mieux l’assimiler, ou l’aimer en la tenant à distance, pour mieux la préserver.

4 commentaires:

  1. Très très bon article, avec une réserve pour ma part: s'il est vrai que les Etats ex-hyperleaders vivent mal ce qui est somme toute une "vraie" mondialisation, et essaient d'imposer leur modèle, le péquenot moyen ne se sent pas du tout concerné et "proches des autres peuples", à part les bobos et autres idiots utiles. Ce qui importe à n'importe quel citoyen basique, c'est de vivre décemment et qu'on le laisse aller taquiner le goujon le dimanche/prendre sa bière au pub etc. Local, local et encore local. Quant aux businessmen, si les magnats ont un avantage capitalistique à "l'ouverture" et à la "démocratie (de marché)", n'importe qui allant sur le terrain se rend compte de la réalité et de l'insondabilité des différences. Tout cela se joue en haut, "les gens" ne se déclarent pas "similaires", à mon avis.

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  2. Il n'y a jamais eu autant d'ingérence des grandes puissances dans le tiers monde que pendant la Guerre froide, et le mouvement des non alignés a duré de 1955 à 1962 (à tout casser). Le paradigme tiers-mondiste a paradoxalement surtout existé dans les mouvements de contestation occidentaux de la fin des années 1960...

    Cette critique n'enlève en rien la pertinence de la seconde partie de l'article cependant.

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  3. @Anonyme : Elle n'enlève rien à la première partie non plus, ai-je envie d'ajouter. Je parle du tiers-mondisme et de l'ingérence comme idéologies, sans prendre en compte dans quelle mesure elles se sont véritablement appliquées. Le "paradigme" tiers-mondiste a survécu au mouvement initial et s'est exporté chez les intellectuels occidentaux, j'imagine d'ailleurs qu'on continue de l'enseigner pour la période de décolonisation, mais curieusement on ne l'applique plus dans l'analyse courante de l'actualité internationale. Personne ne semble souhaiter qu'une autre région fasse contre-poids aux Etats-Unis, préférant sans doute les avoir comme maîtres plutôt que les Chinois...

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  4. kobus van cleef18 mars 2012 à 15:21

    ho putain !
    mais c'est cette vieille merde de suharto, là au milieu !
    la craaaaapule......

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