7 septembre 2010

Nul ne se lasse du pouvoir


Démocratie ou dictature, la fin demeure la même: la conquête et la possession du pouvoir par tous les moyens, aussi longtemps que possible. Dans l'utilisation du mensonge, guère de différence entre l'une et l'autre, si ce n'est que celui-ci est plus efficace encore dans une démocratie puisqu'il permet de capter les suffrages du plus grand nombre; alors qu'il suffit à une dictature de s'imposer par la force, de dominer plutôt que de convaincre.
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Pour le conquérir, il faut le désirer et que cela se sache. Le peuple va vers ceux qui tentent de le séduire, pas vers ceux qui font mine de se résigner à être désirés. Le pouvoir est rarement conquis par hasard ou par l'abandon des concurrents.

Pourquoi le rechercher? Pour s'affirmer face aux autres, par goût de sa possession, désir de domination, besoin d'être craint, admiré, de se trouver au centre des événements, de peser sur la vie d'autrui, de mener une existence qui donne un sentiment de plénitude, d'imprimer sa marque à l'Histoire? Ou bien pour traduire en actes ses idées au service de son pays?

Ce n'est pas la même chose. Ou bien le pouvoir est à lui-même sa propre fin, ou bien il n'est qu'un moyen d'atteindre une fin qui lui est supérieure. Les peuples veulent sentir et l'un et l'autre chez ceux qui sollicitent leurs suffrages.


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C'est la question favorite posée au Politique: a-t-il un projet d'avenir? Comme le présent ne satisfait jamais personne, il doit, pour séduire, éclairer sur ses intentions futures. Le futur, voilà le champ d'action du Politique! Les plus exigeants vont au-delà: a-t-il dans l'esprit une« vision », celle d'un monde nouveau que, s'il en avait les moyens, il imposerait dans les faits? Ce dessein - de préférence un «grand dessein » - doit être à la fois entraînant et raisonnable, susciter l'enthousiasme, mais ne pas être chimérique, faute de quoi naîtrait le doute sur son sérieux.

Conciliation difficile; il est conseillé de ne pas trop s'occuper des détails. À choisir entre le sérieux et la démagogie, celle-ci sera le plus souvent préférée; si besoin est, les grands mots masqueront le creux, l'inconsistance des solutions. Mais si l'on peut être à la fois sérieux et séduisant, ce n'en est que mieux ! Ne pas bouder son plaisir...
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À travers les difficultés du sort, malgré les doutes, les déceptions, le Politique garde espoir. C'est son originalité et son mérite. Rien n'est jamais joué pour toujours, le succès appartient au plus endurant, au plus tenace, à celui qui, retiré dans l'obscurité, n'a pas renoncé à émerger soudain au grand jour. Tout conduit le Politique à la persévérance: l'inté- rêt du pays qu'il aspire à diriger, coïncidant nécessairement à ses yeux avec un appel qu'il espère voir monter vers lui; le plaisir qu'il déclare ressentir à agir pour le bien public, tâche noble entre toutes; la conviction de sa supériorité sur tous ses concurrents, qu'ils détiennent le pouvoir ou qu'ils ambitionnent de l'exercer; un désir d'affirmation de soi, de domination, qui est l'essence même de l'épanouissement que lui procure l'exercice de l'autorité. Est-ce la recherche d'une satisfaction égoïste qui explique le mieux le goût du pouvoir? Toutes les autres justifications ne sont-elles que prétexte ou comédie?
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Le Politique croit le posséder pour toujours tant sont grands les agréments qu'il procure, le prix qu'il donne à sa vie; il peine à imaginer qu'il aura une fin. Pourtant il a eu un commencement: pour l'obtenir, que de temps passé, de longue patience, de travail, d'intrigues dans lesquelles il se perdait lui-même! Le Politique en garde un souvenir harassant et nostalgique : c'était l'époque de sa jeunesse! À moins d'être victime d'une manie maladive, s'il venait à le perdre il n'aurait plus le goût de se remettre à la tâche, il ne se sentirait plus le courage de le reconquérir. Quand il s'en est enfin emparé, que de déceptions, de renoncements, quelle tâche perpétuellement recommencée pour convaincre, entraîner l'opinion afin qu'elle demeure fidèle à celui qui, un moment, a su la séduire! Mais aussi une exaltation toujours renouvelée que confère le sentiment de la puissance exercée sur les hommes! Le Politique s'imagine être tout à la fois un reflet, un symbole, un guide, il ne peut envisager une autre existence que celle qu'il a enfin conquise au prix de tant d'efforts! À vivre pour lui, à vivre si longtemps de lui, il s'emprisonne dans l'illusion, comme si le pouvoir était la seule réalité qui compte, à laquelle il faudrait sacrifier tout le reste. S'il a gardé raison, un jour il lui faut bien se résoudre à partir. Le veut-il? Le peut-il? La première préoccupation du Politique parvenu à ses fins devrait être de se persuader que sa réussite est éphémère, de se tenir toujours prêt à choisir le moment et les conditions de son départ. Son esprit délivré d'un poids, il pourrait, sans le dissimuler, donner à son action le sens qu'il souhaite, il cesserait d'être enchaîné aux autres, deviendrait plus libre vis-à-vis d'eux comme de lui-même.

Edouard Balladur, Machiavel en démocratie, Mécanique du pouvoir, Fayard, 2006

5 commentaires:

  1. C'est un plaidoyer pour le retour de la Monarchie si j'ai bien compris.

    Sébastien

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  2. Ca doit être parce qu'il est toujours deg de s'être fait sodomiser comme une guenon en 95.

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  3. Aristote avait déjà écrit tout cela dans l'éthique à Nicomaque.

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  4. N'exagérons rien, comparer la pensée d'Aristote à celle de Balladur, c'est un peu comme si on mettait côte à côte Einstein et Jacques Essebag.

    Je n'ai pas lu L'Éthique à Nicomaque ceci dit.

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  5. Oui, ou du Machiavel en évitant un cynisme clinquant pour que ça passe mieux.

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