4 février 2010

Le Protectionnisme ou l’effondrement



C’est sur les conseils du grand Malakine, qu’au CGB nous nous sommes procurés, le cœur léger et primesautier, l’ouvrage d’un certain Alain Chauvet, expert en l’innovation et l’optimisation des produits enseignant à l’Essec et à Centrale, intitulé Après l’occident, essai sur un protectionnisme intelligent (DDB, Lethielleux)… Le moins que l’on puisse dire, c’est que cet essai « décape ».





On passera rapidement sur les nombreuses coquilles et fautes d’orthographe qui émaillent le texte (ils n’ont pas relecteur chez DDB ?), on n’évoquera pas non plus les outrances de certains propos qui feraient passer Emmanuel Todd pour Pierre Méhaignerie… Non, on préférera plutôt parler du propos révolutionnaire qu’il y a dans ce livre.

Tout d’abord, il convient de noter qu’Alain Chauvet reprend à son compte la fameuse citation de Paul Valéry « Maintenant, nous autres civilisations, savons que nous sommes mortelles » en étudiant le temps long de l’histoire et de ses cycles économiques : allant du néolithique à la modernité libérale, Chauvet distingue 4 phases dans le processus des civilisations :

Une première période de montée en puissance avec notamment les aristocrates du système faisant des concessions à la masse des plus pauvres, par exemple la création de la République Romaine.

Une deuxième période d’équilibre des pouvoirs avec une répartition égalitaire des pouvoirs, c’est l’âge d’or de la République Romaine ou l’Athènes de Périclès.

Une troisième période de concentration et de spoliation du pouvoir par les aristocrates prédateurs et leurs tyrans affidés, l’auteur se réfère à Philippe de Macédoine ou aux débuts de Jules César.

La dernière période est celle de la prédation sans limites, des vautours affamant le Peuple et qui précède l’effondrement total d’une civilisation… Alain Chauvet prend pour paradigme l’Empire Romain (surtout le Bas Empire) ou la période hellénistique de la Grèce.

Inutile de vous signifier que Chauvet réitère sa théorie à travers plusieurs exemples précis comme celui de l’Egypte, du Moyen-âge, et même du Néolithique !

Evidemment, son diagnostic sur notre bel occident est sans appel :

« Plus près de nous, la civilisation industrielle, qui inventa les démocraties libérales représentatives, vient de tomber à la fin du XXe siècle sous les fourches caudines des prédateurs financiers… prélude à la dictature des monarques qui provoqueront l’effondrement du royaume mondial occidental. »

Il existe selon Alain Chauvet (en s’appuyant sur les travaux de Lewis Mumford et d’Edgar Morin) un code culturel propre aux civilisations les conduisant inéluctablement vers la ruine. Quelque soit la période historique les royaumes, empires et autres sont pris de manière tragique dans la mégamachine de l’avaritia (l’amour immodéré de l’avoir selon St Thomas d’Aquin) avec des oligarques supprimant toutes les institutions égalitaires pour ensuite mener ces zones à la ruine.

L’histoire longue et l’aspect cyclique des civilisations n’est donc pas le fruit du hasard.

A partir de ce constat quelque peu alarmiste, Alain Chauvet propose de ralentir le processus d’effondrement comme ont pu le faire les frères Gracchus ou Kennedy…

Pour se faire, l’auteur s’appuie principalement sur le protectionnisme avec la création de 8 aires de civilisations (en se référant beaucoup à Levi-Strauss), autarciques et autosuffisantes (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Asie, Monde Arabe, Japon-Corée du Sud, Russie, Europe, Afrique Noire), c'est à dire des zones de protection où l’on pourrait pratiquer ce qu’Alain Chauvet appelle « des régions-providence ». L’OMC serait bien sûr supprimée et remplacée par une Organisation Interrégionale (OIR).

Le but de ces grandes régions serait de :

• Relocaliser l’économie avec la fin du capitalisme financier avec ces Grande Régions, la mise sous tutelle du capitalisme commercial, et la resedentarisation du capitalisme industriel avec un droit de contrôle des salariés sur leur entreprise ; une partie des services publics seraient gratuits;
• Supprimer les prédateurs avec la fin pure et simple de la bourse (désolé Clarence !), le système d’emprunts, d’investissement voire bancaire serait assuré par les Régions-Providence ;
• Garantir aux plus pauvres un petit patrimoine et un revenu universel dès la naissance (de l’ordre de 2/3 du smic et financé par une taxe sur la consommation) et qui remplacerait toutes les autres prestations sociales ;
• Supprimer les gros héritages dont une grande partie irait aux Grandes Régions ;
• Multiplier les contrepouvoirs et les autorités indépendantes qui auraient un droit de regard sur l’action politique des Grandes Régions ;
• Multiplier les monnaies franches comme jadis Abraham Lincoln et le micro-crédit au niveau local.

Ce programme audacieux peut paraitre irréaliste voir dangereux (bien loin de la révolte subventionnée de notre camarade postier), mais il possède l’avantage d’exister. Bien sûr, l’auteur de l’ouvrage ne fait pas fi des résistances d'un système qui préférera faire périr la planète entière avec lui plutôt que d’avoir tort !

L’autre critique que l’on pourrait faire au sujet de ces Régions-Providence c’est d’écarter trop facilement la question nationale. En effet, le concept de Région-Providence suppose une intégration politique très poussée, une sorte de fédéralisme, ce qui n’est pas une mince affaire (cf Union Européenne). L’idée de Région-Providence ne peut être un simple arrangement technique et touche bien les fondements de l’Etat régalien.

En résumé, si la thèse d’Alain Chauvet peut paraitre séduisante, notamment sur l’assassinat des civilisations par leurs élites (l’auteur ne cite d’ailleurs pas Pareto) et sur l’idée de protectionnisme… On reste moins convaincu par son idée de Région-Providence qui semble difficile à mettre en pratique à cause des nations mais aussi des traditions anthropologiques et démographiques inhérentes aux Peuples.



22 commentaires:

  1. "• Supprimer les gros héritages dont une grande partie irait aux Grandes Régions ;"

    Où comment réinventer le communisme.

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  2. Ainsi, on peut enseigner à l'ESSEC et à Centrale tout en ayant une lecture de l'histoire de l'antiquité complètement dépassée.

    L'idée que la République romaine était égalitaire en terme de répartition a de quoi faire sourire (ou alors en rentrant dans la nuance de l'opposition entre égalité arithmétique et égalité géométrique).
    L'idée même que la République romaine est une conception de l'aristocratie romaine à son peuple dénote d'une méconnaissance lamentable de ce concept. Les romains ont toujours parlé de la res publica, de la chose publique, sous toutes périodes (archaïque, dite républicaine, principat) pour définir leur communauté, il n'y a pas eu de création de cette chose publique mais une organisation de l'oligarchie devenant dominante pendant la période dite de la République. Et on ne peut pas dire que ces oligarques aient concédé au « peuple » dans le sens restreint du terme.

    Que dire aussi de l'idée d'effondrement total de civilisation ?
    Pauvre période hellénistique, qui n'a pas finie d'être décriée par ceux qui ne l'ont manifestement jamais étudiée.
    Quant à Rome, elle se serait effondré sans mot dire ? En lassant, pourtant, ses cadres, ses structures, fusionner avec les élites migrantes... ? Drôle d'effondrement que celui de la religion de Rome, par exemple, encore dominante en Europe jusqu'à la décolonisation il a environ 50 ans.

    L'histoire ne repasse pas les plats, seuls ceux qui en ignorent les détails -obsédés par les ressemblances et incapables de distinguer les divergences- arrivent à le penser.
    Et le fait qu'aucune entité ne subsiste inchangée, homogène, en croissante, indéfiniment, ne suffit pas à démontrer le contraire.

    Au final, que penser des théories qui se basent sur une vision caricaturale, complètement dépassé, de l'histoire des civilisations ? Il existe sans doute d'autres moyens de faire de l'économie, sans avoir recours à des savoirs non maîtrisés.

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  3. Ce monsieur avance-t-il une raison particulière qui justifierait d'éliminer ainsi l'échelon national ? Visiblement il n'a pas l'air d'avoir peur du politiquement correct, donc ça ne doit pas être la peur de passer pour le vieux con qui n'a pas encore compris que la France c'était has-been... il doit donc bien y avoir autre chose, non ?

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  4. Ah c'est beau, la mise sous tutelle de l'état de tout individu dés sa naissance ainsi que de toute activité commerciale. Ah la réinvention permanente du totalitarisme communisme et de ses tickets de rationnement, de sa nomenklatura sous prétexte de bons sentiments, de welfare state et de solidarité toujours mal placée par nos "intellectuels" subventionnés à la solde d'un état tout puissant. Ah c'est beau la liberté vue de gauche...

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  5. @ Servietsky

    Alain Chauvet estime que l'échelon national n'est pas le bon pour s'opposer aux prédateurs financiers apatrides et que seul une échelon supérieur serait en mesure de contrecarrer les plans des oligarques.

    @ Enclume des Nuits

    C'est vrai que le déclin peut se discuter pour la période hellénistique... Pour Rome, je pense, à l'instar de Zosime, que l'abandon des jeux séculaires suite au départ de Dioclétien a signé l'arrêt de mort de l'Empire.

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  6. O_o

    J'ai rarement eu à lire autant de bêtises compilées en un seul texte. Reune, je t'en prie, pour ta propre santé mentale, arrête là la folie et cesse donc de lire n'importe quoi.

    Clarence, inquiet pour ta santé intellectuelle

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  7. Je ne sais si c'est dans le bouquin, mais la nationalisation des banques, voire leur disparition programmée remplacée par une -1- entreprise de service public dédiée à cet aspect de la vie ne semble pas assez mise en avant comme point zéro d'une reconstruction.
    A part l'échelon national, en retrait, mais qui peut avoir un rôle à jouer après la restructuration interrégionale qui semble une bonne idée pour permettre à plusieurs Etats d'unir leur force au moins comme une étape vers autre chose, tout ceci ressemble fort au futur programme d'Egalité et réconciliation. Sauf que nous n'avons pas oublié l'échelon national.
    Vision à creuser donc, c'est toujours utile.

    Les grands esprits finiront bien par se rencontrer un jour.

    Sébastien

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  8. @ Sébastien

    Les banques sont effectivement sous tutelle avec le système régional de Chauvet... bref, des régions colbertistes.

    Pour éviter un capitalisme d'héritiers, l'auteur propose de supprimer les gros héritages accumulés en gros c'est donner moins à ceux qui ont plus... de la discrimination anti-Arnaud Lagardère! Chacun serait obligé soit de travailler, soit de se former tout au long de la vie en sus du petit capital de départ donné à tous.

    @ Clarence

    Chauvet n'est pas le seul à vouloir supprimer la bourse... Frédéric Lordon également!

    Oui, je continuerai à lire des ouvrages hors du cercle de raison!

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  9. Cet ouvrage hélas ne me dit rien qui vaille non plus, en revanche, et je tenais à vous en remercier car je viens tout juste d'en terminer la lecture, le dernier essai de Dany Robert Dufour "la cité perverse" fut un cordial roboratif.

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  10. Petites questions.
    J’ai dans l’idée que la finance sert à financer l’économie réelle et là est sa légitimité, sa raison d’être. La finance a-t-elle d’autres légitimités ?
    Quel est l’intérêt pour une entreprise que des prises de position boursières sur sa valeur se fassent sur une échelle de temps « Day-Trading » ou à très très court terme (2 à deux semaines par exemple) ? Comment peut-elle lever des fonds grâce au marché dans le cadre du day-trading sur sa valeur ? Où y trouve-t-elle son intérêt ? Qu’une entreprise y trouve son bonheur sur les prises de positions long terme, je peux le comprendre. Mais pourquoi ça ne la dérange pas dans le cadre du Day-Trading ?
    J’attends avec impatience l’avis de René et de Clarence, ainsi que les autres.

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  11. Mais, mais, mais c'est du co...du co...du cocommunisme...

    Allons, Reune, viens avec moi...

    Viens rencontrer Daenerys Targaryen...

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  12. @ Para

    Certains font la différence entre la "finance" et la "finance de marché" pour désigner toutes les activités spéculatives qui n'ont rien à voir avec le contrôle de la propriété des entreprises.

    En de qui concerne les entreprises et le day-trading, swing-trading et autres fumisteries, elles n'ont absolument aucun intérêt à s'y soumettre car c'est bien le règne de l'instantané, le day-trader se fiche comme de l'an 40 de la santé d'une entreprise.

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  13. Ouais, de la critique de l'utilité des outils de trading et des techniques "intraday" aux propositions de mise sous tutelle de l'économie entière de ce néo-stalinien bon teint qui enseigne à l'ESSEC (!!??!), il y a quand même un gouffre.

    Et le "foutez- nous la paix", le "get off my back", le "don't tread on me", il connait ce monsieur.

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  14. @ Anoynyme de 13:07

    Ce type jure qu'il n'est pas communiste puisque le communisme a été également pour lui l'emblème des élites prédatrices. Il ne remet pas la propriété privée en cause, il veille à ce qu'elle ne prenne pas de proportions énormes. Il ne conteste pas non plus la libre-entreprise mais insère fortement dans ce schéma la Région-Stratège...

    Il fait la séparation entre un secteur "protégé" et un secteur soumis à la concurrence.

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  15. Oui, d'accord, mais ça ne répond pas à la question. Du point de vue de l'entreprise, pourquoi ça n'a pas l'air de la déranger la spéculation très court terme ? Est-ce parce que sur une échelle de temps plus longue, l'ensemble des positions très court terme n'ont aucun effets désastreux (alors qu'on a vu qu'un Kerviel peut se placer à coups de milliards) ?
    Parce que lors d'un krach, le day trading amplifie énormément la chute à une vitesse spectaculaire. J'ai comme l'impression que l'entreprise accepte ce risque probant, d'autant plus qu'à son tour, pour les multinationales du moins, elles pratiquent elles-mêmes ce genre de spéculation. Comme si par anticipation, elle prends chez les autres, ce qu'elle est susceptible de subir elle-même. Donc piller avant d'être piller, non ?
    Donc, sois, je me trompe et dites-moi pourquoi (ne vous contentez pas de dire, t'as tout faux et pis c'es tout !), sois, je suis dans le mille et dites-moi pourquoi, malgré les apparences, ce n'est pas un système économique totalement incohérent et surtout dévastateur.

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  16. Tu veux introduire de la rationalité là-dedans?

    Je te répondrai de manière plus longue ce w-e!

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  17. C'est au contraire on ne peut plus rationnel mon cher Reune.

    Du coup, devant la multiplicité des questions et des réponses à fournir, je vais pondre un article spécial dans la soirée.

    A suivre donc...

    Clarence, market defender

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  18. René

    Merci pour ce résumé qui donne envie de lire cet ouvrage qui visiblement, comme tu le dis, décape.

    Par contre, je ne comprends pas que tu fasses de la pub à Malakine qui nous a lâchement abandonné en rase campagne pour aller vivre sa vie ;-)

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  19. @ RST

    Après tant de services rendus à la communauté des républicains et protectionnistes, notre ami Malakine a bien mérité quelques vacances!

    J'attends comme toi le produit des réflexions de notre sage des steppes!

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  20. "Pour ce faire, l’auteur s’appuie principalement sur le protectionnisme avec la création de 8 aires de civilisations (en se référant beaucoup à Levi-Strauss), autarciques et autosuffisantes".
    Oh, je crois connaître un économiste, Jacques Sapir pour ne pas le nommer, qui appréciera la confusion apparente entre protectionnisme et autarcie.

    Cela dit, je suis content de te lire, René, et sur un sujet qui commençait à me manquer.
    Je me sens malgré tout obligé d'ajouter que si les idées défendues par des gens de sensibilités politiques sans doute différentes, comme Todd, Gréau ou Sapir, m'intéressent, c'est aussi que leur relative austérité tranche avec le ton des alternatives habituelles. Si c'est pour faire dans l'idéologie antilibérale (contre l'argent, les banques, et ainsi de suite), on a tout ce qu'il faut "sur le marché" (moi aussi je déteste les banques, soit dit en passant).
    Quelque chose me dit qu'Alain Chauvet aime bien aime bien l'idéologie. Mais c'est peut-être parce que j'ai du mal avec ceux qui disent que ceci ou cela ne peut être le fruit du hasard.

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  21. Salut Archibald,

    ça faisait longtemps! Chauvet entretient effectivement la confusion entre protectionnisme et autarcie car il est clair que son projet de Régions-Providence laisse une large place à l'autosuffisance sous toutes ses formes qu'elle soit alimentaire ou industrielle.

    Après, pour le protectionnisme, il y a toute une gamme et de variantes de cette politique: des région-providence à la taxe lauré, des écluses sociales et environnementales (mon choix) au tarif extérieur commun.

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  22. c'est drôle parce que ce projet de société c'est peu ou prou ce que les crypto-complotistes (type hillard) combattent sous la dénomination "nouvel ordre mondial". perso j'y vois beaucoup de traits communs avec le socialisme scientifique de la société fabienne qu'orwell détestait tant...

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