23 janvier 2010

Le petit Dany Illustré


Vu que Marianne 2 publie des entrevues du CGB piquées dans l'hebdo propro Réforme... c'est à notre tour de faire passer une entrevue de Dany Robert-Dufour, elle-même tirée d'un bouquin compilant des émissions France-Culture: "D'autres regards sur la Crise".

DRD nous explique l'homme psychique nouveau à l'heure du capitalisme total.

Notons que cette entrevue a eu lieu avant la sortie de la "Cité Perverse" et "Le sacré, cet obscur objet du désir".




La fin du grand récit libéral
Dany-Robert Dufour - philosophe | Samedi 23 Janvier 2010

Marianne2, avec France Culture, présente des extraits de Regards sur la crise, ouvrage d’entretiens d’Antoine Mercier avec divers intellectuels (d’Alain Badiou à Alain Finkielkraut) sur la crise économique. Cette semaine, le philosophe Dany-Robert Dufour revient notamment sur la révolution psychique entraînée le libéralisme.


Il y a seulement un peu plus d’un an, vous aviez publié un livre qui s’intitulait « Le divin marché » et qui était sous-titré « La révolution culturelle libérale », une révolution dont vous vous demandiez alors, jusqu’où elle nous mènerait. Cette révolution culturelle libérale, dont vous parliez, nous mène-t-elle à la crise d’aujourd’hui ?

Elle nous y mène directement. On assiste effectivement à une crise gravissime qui est causée par la mise en œuvre d’un principe toxique qui a été appliqué partout dans le monde depuis une trentaine d’années, c’est-à-dire en gros depuis Reagan/Thatcher.

Ce principe, c’est celui de l’auto-harmonisation des intérêts privés. Or c’est un mythe. Un mythe qui colporte un principe mensonger, ce qui veut dire qu’on nous a raconté des histoires. On nous a resservi une histoire ancienne, qui a été inventée au XVIIIe siècle par des gens comme Mandeville – qui, par exemple, disait que les vices privés font la fortune publique – ou Adam Smith – qui avait postulé l’existence d’une Providence supérieure qui veillait à cette homogénéisation des intérêts privés : la fameuse « main invisible ».

Ce que l’on constate aujourd’hui clairement, c’est que tout cela ne peut pas s’auto-harmoniser, tout simplement parce qu’il existe des intérêts qui sont plus forts que d’autres et qui emportent toujours toutes les décisions. On assiste donc à l’effondrement extrêmement douloureux d’un mythe qui produit des effets dévastateurs, désastreux, dans toutes les grandes économies humaines. Car je crois qu’il ne faut pas seulement considérer l’économie marchande, mais il faut considérer aussi toutes les grandes économies humaines dans lesquelles nous vivons.


Pour en rester d’abord à ce mythe dont vous parlez, est-ce que vous avez l’impression que la page est tournée maintenant… ou que tout va pouvoir recommencer comme avant ?


On voudrait bien que la page soit tournée. Cela dépendra des décisions qui seront prises. Mais on peut d’ores et déjà s’inquiéter du fait que ce sont souvent les décideurs qui ont mis en œuvre ce principe qui sont eux-mêmes chargés de sa réforme.

On voit très bien vers quelle stratégie ils vont : mobiliser l’argent public pour le diriger vers le privé en crise. Ainsi, après n’avoir juré que par la privatisation des bénéfices, voilà qu’ils prêchent en faveur de la socialisation des pertes financières, nécessaire selon eux pour rétablir le système financier et relancer la machine.

Ce sont les États, hier priés de cesser toute forme d’intervention, qui sont aujourd’hui intensément sollicités pour éponger les milliards évaporés dans la finance, dans l’attente que tout redevienne comme avant. Mais, comme entre-temps il faudra bien calmer les foules mises à contribution, il devra bien prendre des mesures, mêmes cosmétiques, par exemple à l’encontre des paradis fiscaux.

Or, ce qu’on oublie volontiers, c’est que la crise est plus grave qu’on ne le croie puisque les effets ont été désastreux, pas seulement dans l’économie financière, mais dans toutes les économies humaines, par exemple dans l’économie réelle avec la destruction du tissu industriel, qui s’est produite à la suite du passage du capitalisme industriel au capitalisme financier.

Les actionnaires ont, en quelque sorte, acheté des dirigeants des entreprises pour qu’ils suivent des objectifs financiers et non plus industriels. Je dis bien « acheté », en leur fournissant des salaires mirobolants, des stock-options à bas prix, des retraites chapeau exorbitantes. Ces actionnaires se sont mis à vendre tout, y compris ce qu’ils n’avaient pas.

Par exemple, ils ont prêté encore plus d’argent qu’ils n’en avaient à des gens qui n’en avaient pas pour le leur rembourser, c’est la fameuse affaire des subprimes. Ils ont ensuite caché ces créances pourries, ils les ont revendues. Ils se sont mis à spéculer à la hausse, comme à la baisse. Mais ce n’est pas tout, il y a eu des systèmes dits « de pyramide » à la façon de Bernard Madoff, des abus de position dominante, des faux bilans, des évasions fiscales…


Vous avez récemment écrit que nous sommes sortis du cadre freudien classique de la névrose pour entrer dans un cadre post-névrotique où c’est la perversion, la dépression, l’addiction qui prédominent… Cette économie psychique où en est-elle aujourd’hui à travers cette crise ?

Je crois que ce libéralisme financier a sapé, non seulement les bases de la finance, mais aussi toutes les grandes économies humaines. On pourrait parler de l’économie politique, on pourrait parler de l’économie symbolique, on pourrait parler de l’économie sémiotique, mais on pourrait aussi parler, ce qui m’intéresse particulièrement, de l’économie psychique parce qu’effectivement, il existe des effets directs de cette économie marchande sur l’économie psychique.

Précisez d’abord ce que vous entendez par « économie psychique » ?

L’économie psychique, c’est précisément la façon dont sont gérées, chez un individu, les passions et les pulsions. Dans la névrose classique, il s’agissait de réprimer un certain nombre de passions et de pulsions pour qu’une économie dite du désir puisse se mettre en place. Bref, pour que je désire, il faut que tout ne me soit pas donné. Avec l’économie marchande, c’est un autre cadre psychique qui se met en place. Celui de la jouissance.

Le libéralisme, c’est en effet avant tout la libération des passions et des pulsions. C’est ce que dit si bien la formule de Mandeville énoncée en 1704 à quoi je faisais allusion : « les vices privées font la vertu publique », autrement dit, il ne faut entraver en rien la recherche égoïste de l’intérêt- personnel au motif que c’est elle qui produit la richesse publique.

L’un des effets inattendus de cette maxime, c’est qu’elle conduit à la sortie du cadre névrotique et à l’entrée dans un cadre qui est dominé par trois formes : celles de la perversion, de la dépression et de l’addiction.

Pourquoi la perversion ? Eh bien parce que c’est tout simplement la pathologie la plus adaptée quand il s’agit de viser partout le coup gagnant car il s’agit de toujours circonvenir l’autre, de toujours s’en méfier ou de l’instrumentaliser pour réussir son coup. On assiste ainsi à des pulsions d’emprise sur l’autre, à des formes d’infatuations suggestives qui se manifestent parfois jusque dans les plus hautes sphères de l’État.


La dépression ?


La dépression, en un mot, c’est ce qui arrive quand les individus n’ont pas les moyens de la perversion requise et se mettent à déchoir à leurs propres yeux. On sait que la dépression aujourd’hui, peut atteindre par roulement, 20 à 30 % de la population. On sait par ailleurs, les profits que tire l’industrie pharmaceutique de cette pathologie. Et l’addiction…


Oui l’addiction…


Et l’addiction, c’est tout ce qui ressort d’un monde qui promet la satisfaction pulsionnelle généralisée. C’est exactement ça l’économie de marché, puisque le marché est ce qui propose toujours un produit, un objet, un service, un phantasme, susceptible de combler toute appétence quelle qu’elle soit.

Pensez-vous que cette économie psychique puisse, petit à petit, se remettre en ordre, sans forcément retrouver les névroses d’antan ?

Ce qu’on voit, c’est que tous ces effets sont liés les uns aux autres. Il y a un principe transductif qui lie toutes ces économies entre elles si bien qu’on ne peut pas étudier seulement- l’économie psychique, comme on ne peut pas étudier seulement- l’économie politique, comme on ne peut pas étudier l’économie marchande à part. C’est ça mon travail de philosophe : essayer de montrer tous les points de passage entre ces économies.

Et par quoi il faut commencer ?

Par cartographier les passages afin de sortir du sentiment de malaise et de confusion. On assiste en ce moment à un étrange spectacle puisque les effets toxiques dont je parlais commencent à se faire sentir dans ces différentes économies et risquent bientôt d’être extrêmement mal supportées par les populations.

On voit déjà des signes de désarroi dans de nombreux domaines, dans les populations qui travaillent dans la santé en général, et dans la santé mentale en particulier. On voit aussi de grands signes de désarroi dans la culture, dans la justice, dans l’éducation dont on veut soumettre les institutions aux lois du Marché alors même que ses principes sont en train de se révéler catastrophiques dans le milieu des affaires où ils ont été appliqués…

On pourrait aussi parler des effets de la dérégulation de l’économie marchande dans l’économie politique avec par exemple, l’obsolescence du gouvernement et l’apparition, dont on nous a rebattu les oreilles depuis maintenant une vingtaine d’années, d’une forme venant se substituer à celle du « gouvernement » : la « gouvernance ».

Tous les gouvernements se sont relayés depuis une vingtaine d’années pour nous dire que l’État ne pouvait pas tout, qu’il fallait moins d’État et qu’il était absolument nécessaire de déréguler. On a même assisté à des numéros de bravoure où le prestige symbolique de l’État était utilisé pour détruire la fonction régulatrice de l’État…


Le « troupeau égo-grégaire »

Arrêtons-nous sur ce terme de « gouvernance ». De quoi est-il le nom ?

Le terme de « gouvernance » vient très directement de la corporate gouvernance, c’est-à-dire de la prise du pouvoir des actionnaires dans la gestion du capital. Auparavant, nous avions affaire à un capitalisme industriel qui était tenu de trouver des arrangements avec le salariat.

Or, c’est la troisième composante, les actionnaires, représentant le capitalisme financier, qui a pris le pouvoir et qui a, d’une part, éloigné le salariat de la gestion des affaires au point de le considérer comme une variable d’ajustement et qui a, d’autre part, acheté les dirigeants des grandes entreprises industrielles avec les moyens que j’évoquais à l’instant pour qu’ils suivent des objectifs non plus industriels mais financiers.

La gouvernance, c’est le libre affrontement des intérêts privés sans instance régulatrice. Quand on joue à ce jeu, c’est toujours les intérêts les plus forts qui remportent la mise. C’est pourquoi, on a tort de se représenter la gouvernance comme un approfondissement démocratique.

À l’origine, la gouvernance n’est rien d’autre en effet que la mise en place d’une dictature des actionnaires. C’est partant de là que la gouvernance a été étendue à l’ensemble de la forme politique qui est ainsi tombée en désuétude puisque le gouvernement a été battu en brèche au profit d’une société civile sensée pouvoir s’autoréguler toute seule alors que, là aussi, la régulation se fait au profit des plus puissants.

Voilà pour la sphère du politique… on peut peut-être aborder la sphère suivante ?

On pourrait parler de l’économie symbolique puisque l’économie symbolique, c’est le lieu où le corps social s’entend sur un certain nombre de valeurs. Or, là, nous assistons à la disparition de la forme classique que nous avons connue en France, en particulier ce qu’on appelait, depuis Rousseau, le pacte social républicain.

On assiste à l’apparition de nouvelles formes de lien social, comme ce type de lien que j’ai appelé le lien égo-grégaire. Des individus sont conduits par leur égoïsme en recherche de satisfactions consommatoires. C’est alors facile de les capter ou capturer pour les mettre en troupeaux, en troupeaux de consommateurs qu’on promène ainsi d’objet en objet.


Le « troupeau égo-grégaire »… on en fait tous partie plus ou moins…


On en fait tous plus ou moins partie dans la mesure où on accepte d’être promené d’objet en objet. Ce n’est pas inéluctable. Auparavant, dans le lien social, nous étions dans une disposition où nous devions rabattre d’une partie de notre jouissance pour la mettre au compte d’un tiers qui faisait loi commune et que nous appelions le gouvernement. Nous étions alors tenus par le haut.

Maintenant, nous sommes en quelque sorte tenus par le bas. Nous sommes tenus par les objets que le marché ne cesse de nous présenter dans une multitude de petits récits édifiants sur les murs de la cité, à la télévision, etc. et qui sont les récits de la marchandise qui est sensée pouvoir nous sauver.

Est-ce que ce n’est pas cela qui est en train de s’effriter aujourd’hui ?

Je l’espère bien ! On assiste effectivement à l’effondrement absolument douloureux de ce mythe. On pourrait voir ses effets dans une autre économie très importante puisqu’elle a à voir ce qui nous spécifie en propre à savoir le fait que nous sommes des êtres parlants. Je veux parler de l’économie sémiotique qui s’intéresse à nos façons de parler. On remarque l’apparition de ce que j’ai appelé, une novlangue ultralibérale, qui est marquée par des transformations de la grammaire et par des transformations sémantiques.

Par exemple, je vois chez mes étudiants qu’ils pratiquent de plus en plus la pensée par association et non plus la pensée par démonstration. On n’a plus affaire au « est »… e/s/t., mais au « et », e/t, avec des énoncés qui disent « il y a ceci, et cela, et cela… ». Ceci est favorisé par les technologies actuelles où on produit volontiers du texte en coupé-collé à partir de l’Internet. On ajoute sans jamais qu’il y ait jamais de forme propositionnelle parce que la forme propositionnelle qui procède de marqueurs logiques apparaît comme trop autoritaire. Si bien que ces marqueurs, les « car », les « donc », les « parce que », disparaissent au profit du « et ».

Cela marque-t-il une difficulté à élaborer une pensée articulée ?

Oui, absolument. Je crois que nos façons de parler sont atteintes. Cela se manifeste aussi par des altérations sémantiques, par exemple par la disparition de toute forme d’autorité même laïque qui est bannie : par exemple, on ne parlera plus aujourd’hui d’« instituteurs », mais d’« accompagnateurs de savoir ».

Au total, il faut que les individus puissent mettre en avant leur ego partout, faute de quoi ils se sentent assujettis, ils se trouvent dans des formes qu’ils pensent être autoritaires. Et puis, évidemment, le dernier plan, c’est l’économie psychique dont j’ai parlé plus haut, avec la transformation du cadre névrotique en un cadre post-névrotique marqué par le triptyque : perversion, dépression et addiction…

Peut-on comprendre pourquoi ce système-là était finalement voué à être en crise à un moment donné ?

Tout simplement parce que le récit qu’on nous a raconté fonctionne sur un principe faux. Les intérêts privés ne peuvent pas s’auto-organiser. Il était inéluctable qu’un système fondé sur un principe faux s’effondre un jour. Cela commence même à se savoir au niveau des plus hauts responsables !

Relisez l’interview d’Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve Fédérale américaine surnommé le « Maestro », qui était interrogé par la commission des États-Unis chargée du contrôle de l’action gouvernementale, et qui disait en gros : « J’ai fait une erreur en croyant que le sens de leurs intérêts particuliers chez les banquiers était la meilleure protection qui soit pour tout le monde ». Le récit mis en place partout dans le monde a eu des effets délétères et des conséquences douloureuses parce que ce principe est tout simplement mensonger.

C’est probablement pourquoi on assiste maintenant à la recherche d’un autre récit, un récit de remplacement par rapport à ce grand récit de l’auto-harmonisation des intérêts privés. J’ai le sentiment qu’il y a quelque chose qui se présente du côté d’une autre économie dont je n’ai pas encore parlé, bien qu’elle soit également malade.

Il s’agit de l’économie dans laquelle s’insèrent toutes les autres économies. C’est tout simplement l’économie du vivant qui est victime d’une contradiction majeure entre le capitalisme (qui promet la production infinie de la richesse) et la finitude des ressources vitales qui sont offertes par la terre dans tous les grands domaines : en énergie fossile, en air, en eau… On annonce d’ailleurs, pour le XXIe siècle, de nouveaux grands enjeux stratégiques, concernant, par exemple, les ressources en eau.


Y a-t-il d’autres solutions que de retrouver un récit relativement à un « grand autre » ?


Manifestement oui. On assiste à une tentative de mise en place d’un récit vertueux à propos de la nature. Ça peut être une alternative au récit qui faisait la promotion des égoïsmes.

Est-ce qu’une société peut vivre avec ce genre de récit qui n’est pas merveilleux ?

C’est un récit qui n’est pas merveilleux, mais avec lequel on devra bien essayer de faire parce que, sinon, on risque des conséquences extrêmement graves concernant tout simplement- la perpétuation de notre espèce et les formes de la vie sur terre. Donc je crois qu’il va bien falloir s’y faire. On cherche pour l’instant à s’y accoutumer en le mixant avec des formes du grand récit libéral – pensez par exemple à la « croissance verte » qui serait censée permettre la création de des millions d’emplois…

Les voitures vertes…

Voilà, les voitures vertes. Là, je crois qu’il faut être extrêmement prudent. Il va bien falloir un jour quand même en finir avec l’idée que nous serons sauvés en nous racontant de belles histoires, fussent-elles vertes. Il va bien falloir que les hommes cessent de miser sur un Principe parfait susceptible de les sauver, et qu’ils se mettent à intervenir, qu’ils régulent- leurs activités par eux-mêmes en fonction de leur intérêt collectif. Et je crois que c’est ce principe de réalité qui nous manque en ce moment et que nous sommes peut-être en droit d’espérer retrouver.


Vos thèses paraissaient relativement isolées ces dernières années. Aujourd’hui, on a l’impression que tout le monde vous retrouve… Cela fait quelle impression ?

C’est une impression assez bizarre parce que j’ai l’impression d’avoir prêché dans le désert. Quand Le divin marché est sorti, il y a juste un an, j’ai eu des comptes rendus de presse disant : « il n’y comprend rien », « il ne comprend rien à l’économie ».

Et puis, la crise est arrivée – et même beaucoup plus vite que je ne le croyais. Et là, on s’est tourné vers moi en me demandant comment j’avais compris que cela ne pouvait pas tenir. C’était pourtant facile : rien ne peut tenir sur un récit mensonger, cela ne peut produire que des effets délétères.

Du coup, je vois un certain nombre de gens qui aujourd’hui s’adressent à moi dans différents domaines, dans le champ politique, dans le champ esthétique, dans le champ psychique… En somme, la crise pourrait avoir du bon : elle a mis les individus en recherche. Voilà que des gens se remettent- au travail pour tenter de réénoncer quelques principes adéquats permettant un nouvel arrangement possible, un arrangement raisonnable et non plus miraculeux, d’où on tombe toujours de haut.

Pensez-vous qu’un travail collectif démarre aujourd’hui ?

Oui, je pense que c’est un travail collectif dans la mesure où l’on sort, heureusement, même si c’est avec douleur, d’un mythe et qu’il ne s’agit pas de se reprécipiter tête baissée dans un autre mythe. Il s’agit maintenant de réfléchir avec tous ceux qui, dans les différents domaines que j’ai évoqués, rencontrent des problèmes, sont souvent en grand désarroi.

J’ai l’impression que les mois qui viennent risque d’être cruciaux parce qu’on sent ce désarroi se transformer en exaspération. Et je pense qu’on ne pourra pas y répondre comme le politique y répond en ce moment, par des mesures qui ressemblent fort à des mesures d’intimidation.

On a vu les financiers entrer en panique. Il se pourrait très bien que nos populations entrent en panique aussi. Nul ne sait à quelle échéance cela pourrait arriver, mais ce n’est pas impossible. Peut-être même que cette exaspération pourrait, à terme, se cristalliser dans un grand moment collectif où chercherait à se refonder quelque chose qui nous sorte enfin des principes toxiques dans lesquels nous avons vécu pendant une trentaine d’années.

Renflouer l’économie marchande en difficulté est peut- être indispensable, mais personne ne croit que ça pourrait être une finalité en soi. Si rien ne change, comme c’est à craindre, cela ne pourra conduire, après une accalmie, qu’à une nouvelle crise, plus grave encore. Il s’agit en effet de faire naître un autre monde où nous soyons effectivement responsables. Un monde qui ne soit plus caractérisé par le laisser-faire parce que laisser-faire, c’est laisser faire les égoïsmes.

Or, nous avons besoin maintenant de la mise en place de principes collectifs pour le rétablissement de certaines formes d’équilibre dans toutes ces grandes économies humaines extrêmement menacées. Est-ce que tout cela se passera d’une façon pacifique ? On peut craindre quand même que, de ce point de vue, les années 2009-2010 soient la période de tous les dangers…

Biographie : Dany-Robert Dufour est un philosophe français, professeur à l'Université Paris VIII et membre du Collège international de philosophie. Il a notamment écrit Le divin marché en 2007.


6 commentaires:

  1. Une interview hilarante de Dany.

    Mais je me suis malheureusement arrêté à "Perversion".

    On a les intellectuels qu'on mérite visiblement. Pauvre France.

    Clarence, pathologiquement pervers

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  2. Pour ceux qui préfèrent, les éclairantes analyses de D.R Dufour sont encore disponibles en écoute dans l'émission "d'autres regards sur la crise" sur ce lien:
    http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/dossiers/2008/regards-crise/report_fiche.php?report_id=270010078

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  3. Oh les chéris se font pomper par les sionards de mariane la putain !!!

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  4. Comme ton adorable petite maman qui nous a tous vidé les bourses, les yeux pétillants d'une profonde gratitude.

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  5. Babouchaubourouge26 janvier 2010 à 18:07

    Profonde comment la gratitude ?

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