25 mai 2009

Les cons passent à table.


La fête des voisins (opération « immeubles en fête ») est ce qui se fait de plus réac en matière de fête. Réac au mauvais sens du terme (car je prétend que ce terme a au moins deux sens), c'est-à-dire réac tendance pétainiste. Le réac de tendance pétainiste, ce n'est plus la collaboration avec l’envahisseur ni le statut des Juifs,. Non, nous sommes en 2009 et tout change, même le pétainisme !
Immeubles en fête, c’est l’opération qui consiste à inciter « les gens » à organiser des repas ou des apéros avec leurs voisins, dont le connard du dessus et la bourgeoise à Smart qui n’a pas dit une seule fois bonjour à un voisin depuis les grèves pour l’école libre, en 1984. Vaste et ambitieux programme. Lecteur urbain et misanthrope, imagine que tu aies à partager de la mortadelle avec la grosse conne qui laisse son chien aboyer à deux heures du mat, que tu doives servir le verre de l’amitié au maniaque qui envoie douze lettres de récrimination par mois au syndic de copropriété : immeubles en fête, c’est ça. Bien entendu, ça ne suffit pas pour qualifier de pétainiste une opération, fût-elle festive.
Quand on eu la chance d’habiter dans des quartiers très différents les uns des autres, on se rend compte de quelques constantes valables sous toutes les latitudes, à toutes les époques et de toute éternité. Premièrement, plus le niveau de revenus des habitants d’un quartier s’élève, moins ils sont sympathiques. Polis, oui, quelquefois, mais sympathiques, jamais ! Dans un quartier embourgeoisé (ou pire : rupin), il faut s’arranger pour ne jamais avoir besoin de ses voisins, ce qui revient à dire qu’il ne faut pas les déranger. Que ce soit pour une garde d’enfant impromptue, une panne de bagnole, un tire-bouchon cassé, un canapé convertible à descendre par l’escalier ou tout autre petit embarras de la vie quotidienne, il n’est pas question de demander à ses voisins de compatir, de supporter du bruit, et je te parle même pas d’un coup de main ! Il semble que l’Humanité se soit donné un mal fou pour arriver à ce stade ultime de développement où le confort personnel et la quiétude totale sont les deux règles d’airain qu’on ne transige sous aucun prétexte. Dans un quartier bourgeois, les archaïques Dix commandements sont remplacés par un seul : « Tu ne dérangeras jamais tes voisins ». Immeubles en fête dans ce contexte, c’est comme saupoudrer un catafalque de confettis.
Dans un quartier fauché (ne parlons pas de quartier « ouvrier », la fermeture accélérée des usines tendant à faire disparaître cette catégorie professionnelle comme neige en Floride), c’est l’inverse qui prévaut. Si l’on n’y est pas totalement hostile à l’idée de confort personnel, tout indique que ce confort doit obligatoirement être ostensible et, quand c’est un confort vraiment moderne, bruyant. Bien sûr, il y a ce con qui utilise chaque jour de l’année sa perceuse, quelque part dans les étages supérieurs (à moins que ce soit les étages inférieurs, on ne sait), ou qui semble taper sur les tuyauteries avec un petit marteau, exprès pour que le bruit se propage… Bien sûr, il y a ce couple affreux qui se traite de tous les noms chaque matin et chaque soir (la journée, on n’est pas là) et dont les mômes sont de parfaites têtes à claques. Bien sûr, il y a cette poissonnière qui conversationne à minuit avec ses copines depuis la fenêtre du sixième, et qui se plaint auprès d’elles de ses déboires sexuels de boîte de nuit, c’est clair j’veux dire. Evidemment, il y a ces dix imbéciles qui magouillent comme des porcs pour s’acheter des BMW décapotables avec lesquelles ils font le tour du pâté de maisons huit heures par jour. On connaît tout ça, mais le caractère prioritaire de l’habitant de ces quartiers, qui unifie tous les comportements, c’est avant tout qu’il doit être bruyant. Une télévision géante fonctionne toute la journée, fort, et une bonne partie de la nuit (surtout quand on s’endort devant). Une réunion de famille se ponctue d’une volée de décibels, aidée par le molosse qui aboie chaque fois que personne ne passe devant la porte du palier. Un match de foot (ou un Tour de France, c’est pareil, mais avec des vélos) s’écoute fenêtre ouvertes. Par la grâce des cloisons hyperminces, une chasse d’eau devient un niagara, à peine couvert par le bruit de l’ascenseur qui s’arrête à l’étage. Sont-ce ces bruits omniprésents qui arrosent égalitairement les habitants de leur impérieuse voix ? Toujours est-il qu’on assiste à un nivellement des conditions et, partant, à une plus grande proximité humaine. Un peu comme la solidarité des tranchées rapprochait les Poilus entre eux, celle des conduits auditifs soude les voisins autour d’une souffrance commune. De là les signes de solidarité qu’on y rencontre encore, et qu’un changement de statut social rendraient impossibles.


Ce n’est pas pour cela que la fête des voisins est fondamentalement réac (option Pétain), mais c’est dans ce contexte qu’elle sévit. L’idée de départ est de renouer du lien social, de promouvoir le vivre ensemble ou d’adopter une démarche citoyenne dans un contexte urbain (ou une autre formule obscène de la même farine). L’idée est, en somme, le temps d’une journée, de revivre la vie d’avant, celle des films populaires des années quarante, avec son brassage des conditions et des âges, de retransformer les villes en villages et de faire comme s’il était possible que des gens d’un même quartier se sentent d’un même quartier. Or les villes n’ont pas été construites par des urbanistes soucieux de revivre le passé artificiellement. Elles ont été bâties autour de l’activité humaine : le travail. C’est parce que les gens travaillaient et habitaient au même endroit qu’ils pouvaient se connaître, s’apprécier ou se détester, s’aimer, se fréquenter, s’épouser. La structure de la société, celle de l’économie et celle des villes permettaient que des gens partagent un territoire géographique. C’est dans ce cadre, et uniquement dans ce cadre, que des échanges peuvent s’opérer (nous les appelons « humains » avec un respect superstitieux, comme des collectionneurs fascinés contemplent un vieux travail d’orfèvrerie) et que des notions de solidarité prennent un sens. On vit ensemble, on travaille ensemble, on souffre ensemble, on forme un groupe, on peut donc être solidaires des autres, etc. Notre époque a permis que chaque habitant d’un quartier, ou presque, passe deux heures dans les transports en commun pour aller travailler à dache : les conséquences sont logiques, impitoyables et parfaitement universelles. Quand on prend son RER et qu’on va travailler à soixante bornes de son quartier, il est IMPOSSIBLE de rien lier avec qui que ce soit. On en arrive à mieux connaître les collègues de bureau que ses propres voisins du dessus, et c’est bien naturel. L’intégration dans une communauté, qu’elle soit de quartier ou nationale, ça passe par le boulot, et c’est marre. Tout le reste, absolument tout le reste n’est que bavardage. Rien ne peut se faire sans ça, et tout en découle. Le travail ne pourvoit sans doute pas à tout, mais c’est un préalable incontournable. Si l’on travaille dans son quartier, on arrivera à connaître tout le monde, y compris les concurrents, on y trouvera sa place et sa vie.
Le pétainisme ici, ça consiste à se faire une image idyllique du passé, avec ses bonnes odeurs et ses voisins toujours prêts à l’entraide, à nier le monde dans lequel nous vivons (et qui engendre la dureté des rapports entre les gens, voire la totale indifférence, voire la haine, dans la plus grande logique) et à tenter de faire comme si, se contenter d’une mascarade. Dans la France de 2009, participer à « immeubles en fête », d’un point de vue intellectuel, c’est comme espérer le retour de la monarchie ou l’unité de l’Eglise.
La réaction se porte bien, elle fait la fête dans la cage d’escaliers.

15 commentaires:

  1. "participer à « immeubles en fête », d’un point de vue intellectuel, c’est comme espérer le retour de la monarchie ou l’unité de l’Eglise."

    Ouais, mais comme c'est juste histoire de faire coucou en buvant quelques coups et en mangeant un morceau, on va pas non plus se priver.

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  2. @ Beboper

    J'habite dans un quartier tout ce qu'il y a de plus peinard. Y a bien un pétage de plomb de temps en temps, mais ça fait même pas une ligne dans le torchon local. Comme justement avec la crise, y a quelques apparts qui tardent à trouver preneurs, j'ai pensé à vous. Vous verrez, tout le monde se dit bonjour sauf un vieux qui traite tout le monde de collabos... mais personne sait pourquoi. Y a au moins deux trois rades sympas. Par contre je peux pas vous garantir que les tauliers habitent dans le coin, vu que je les ai jamais croisé ailleurs.

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  3. La fête des voisins, c'est ni obligé, ni très pratiqué.

    Voila.

    Ps : y a une coquille, "On viT ensemble".

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  4. Je ne réponds jamais à la sonnette ou l'interphone, faudrait me trainer par le colbac pour que je me rende à une telle fête de cons.
    D'ailleurs ma porte est ornée d'un nom qui n'est pas le mien. Me retrouveront pas!
    Un mode de vie qui s'apprend en lisant... Les lettres menaçantes de maître Farouche, mon huissier.

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  5. Armée des 12 bonobos26 mai 2009 à 09:08

    Moi, j'ai un pote qui vit dans une cité, quartier a priori populaire, eh ben, les relations y sont tellement chaleureuses, grâce donc à cette souffrance censée souder selon toi, qu'un des gamins d'un de ses voisins lui a carrément brûlé sa caisse à coup de cocktail Molotov.

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  6. Ca marche pas toujours. J'ai eu le même genre de souci avec une Madame Nitouche. Ni une, ni deux, j'ai inversé les fils des sonnettes pour ne plus me faire emmerder. Résultats le voisin de palier a quitté sa femme pour cette cruche. Le problème c'est que maintenant c'est l'ex qui tambourine à la porte pour un oui pour un non.

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  7. @ 09:08

    Que faire ? Ton pote pourrait peut être essayer de remplacer sa tire par un wagon plombé. Ces temps-ci, j'ai eu vent de deux ou trois types un peu à l'ouest qui se promènent en bus. Paraît que ça l'fait. En tout cas en campagne ils arrivent toujours à se garer, même sur les Champs.

    Vlad

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  8. J'ai le bonheur de vivre dans un bourg en bordure de la forêt de Rambouillet, population à niveau de revenus confortable, et pourtant il nous arrive de sympathiser, voire de nous donner un coup de main, entre voisins.
    Chacun de nous occupe un territoire bien précis et assez vaste pour pouvoir ignorer le voisin, c'est ainsi qu'il nous est sympathique et que nous allons volontairement vers lui.
    Mon voisin de palier m'était un parfait inconnu dans une vie antérieure parisienne.
    Ce qui me rend perplexe, ce sont les lotissements de maisons à la Kaufmann & Broad qui ne libèrent pas de ce fichu partage du territoire.

    PLC

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  9. C'est pathétique de voir l'hypocrisie érigée en "Fête", pauvres cons!

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  10. Euh... je suis perplexe... l'intégration dans une communauté ne passe pas par le travailler ensemble, mais plutôt par le passer du temps ensemble non? Pour moi, c'est plutôt le boulot qui empêche d'avoir le temps pour pouvoir avoir des moments conviviaux avec les autres,...
    Et puis, pauvres gens qui ne sont amis qu'avec leurs collègues.

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  11. Faut-il pour autant obéir à cette injonction sous-jacente qui est de se faire des amis à tout prix?
    Quitte à faire le mendiant de l'amitié sur fessebook pour récolter 12 millions d'amis... En restant seul devant son PC.

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  12. A Zoé: j'me suis mal exprimé. Il n'est pas nécessaire de travailler "ensemble" (comme des collègues d'usine, par exemple) mais de travailler dans des branches différentes, mais sur le territoire où l'on vit. Vivre et travailler dans un quartier (ou dans son coin de campagne), c'est la meilleure façon d'y connaître tout le monde. Quant à "l'intégration", habitant une ancienne région ouvrière à très forte population venue d'ailleurs depuis un siècle et demi, je ne bougerai pas d'un iota: le travail, y'a qu'ça!

    A l'anonyme de 00H21: merci de penser à moi. Hélas, j'ai déjà un logement, et des plus pénards... avec les douze voisins que j'ai, on se fait des petits repas de temps en temps, mais attention, on se passe pas la savonnette sous la douche, ça reste correk...

    A l'anonyme de Rambouillet: serais-tu capable de prendre des photos de tes voisins bourgeois ET sympa, et de les diffuser sur la Toile? Gros potentiel pour toi !

    A K: Bonne question, faut-il se faire des amis à tout prix? Faut-il une fête pour ça? Si on en est là, pourquoi pas, mais qu'on le dise vraiment, au lieu de jouer aux conviviaux-saucisson-bière, qu'on le dise: on veut baiser! Si la fête des voisins a permis que quelques personnes tirent des coups inespérés, je suis prêt non pas à changer mon opinion, mais à parler d'autre chose, magnanime!

    "Immeubles en fête" est à la convivialité ce que la fête des mères (oh! revoilà Pétain) est à l'amour filial. J'ai parlé.

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  13. "magnanime!"

    A la bonne heure Beboper, vous voilà revenu à plus de mesure.

    Pour vous montrer toute mon admiration, je rajouterais à votre liste la Saint Valentin et la Saint Jean-Jack. Là au moins on est sûr que les draps s'en souviennent.

    PS: votre parrain mériterait le titre de premier entremetteur de France, autre chose qu'un Debré.

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  14. En parlant de ça, ce soir, j'ai barbecue avec les voisins.

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  15. Moi ce que j'aime c'est d'acheter de la sardine et de la faire griller sous les draps de la voisine du haut. Avec les voisins, on dit toujours Qu'est-ce qu'on se marre avec celle là ! La voisine, hein, pas la sardine !

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