20 février 2009

Star traque (2 / 7)


Il s’est passé pas mal de temps avant que Walberg se décide à aller enquêter aux Etats-Unis. Plus d’un an en tout cas puisqu’il a pris l’avion pour L.A. le 16 octobre 2019, date à laquelle je l’ai rencontré. Entre confrère, vous pensez bien qu’on évite de trop parler des trucs importants et secrets qu’on prépare. On a donc discuté de tout et de rien puis on a abordé légèrement nos travaux en cours, moi le lobby sportif aux USA, lui le cinéma.
- Le cinéma ? C’est plutôt vaste, non ?
- Très vaste. En fait, je vais bosser sur une catégorie d’acteurs bien spéciale : les anciens. Je vais essayer de rencontrer les vingt plus vieux acteurs d’Hollywood, tous des stars.
- Qu’est-ce qui te fascine chez les vieux ?
- Ha, ha ! Non, je suis pas fasciné, je suis pas la groupie qui rêve de toucher la robe de Lauren Bacall, pas du tout. Je fais juste une enquête sur ces acteurs et actrices là et j’ai un contrat d’édition pour sortir un bouquin sur eux. La longévité, tu vois, c’est ça qui me fascine.
On avait échangé quelques propos cyniques sur le rôle de la dope dans les deux mondes qu’on explorait, celui du strass et celui de l’exploit sportif. Je lui avais appris deux ou trois choses sur Bill Craper, le nouveau joueur de tennis canadien, seize ans et demi, celui qui avait tué un adversaire en servant trop fort et par malheur sur son plexus solaire. Lui avait juste daigné me dire qu’il avait un rendez vous avec un type qui était depuis quarante huit ans chauffeur de Lauren Bacall. Bien mince pour commencer une enquête, non ?
En fait, le chauffeur en question s’appelait Stefano Peropoulis, c’était un émigré Grec qui, des Etats-Unis, n’avait pratiquement connu que le monde artificiel et industriel du cinéma. Il était descendu de son bateau pourri pour entrer au service de la star. La chance, disait-il. Sa beauté ulysséenne avait peut-être aidé l’embauche : on disait Lauren Bacall assez sensible aux pectoraux velus, aux dents blanches, aux mains puissantes, aux yeux extra bleus, aux jambes parfaites, enfin à tout ce que les salopards savent mettre en avant quand il faut. Walberg avait misé gros sur Peropoulis. Il s’était même renseigné sur lui, trouvant son village d’origine, apprenant des trucs intéressants sur ses goûts et les raisons de son départ de Grèce. Il s’arrangea pour utiliser gentiment une partie de ce matériau dans la conversation, comme par hasard, et devint immédiatement un type épatant aux yeux du chauffeur. Officiellement, walberg se présenta comme faisant un bouquin à la gloire de Lauren Bacall, en masquant soigneusement le côté enquête géronto-sociale. Il flatta l’orgueil du chauffeur en lui proposant même de faire de son livre un recueil d’entretiens avec celui qui connaissait si bien une idole mondiale, et depuis près d’un demi-siècle ! Le grec se voyait déjà en couverture d’un best seller… En deux ou trois jours d’entretiens sérieux, d’échange de documents et de photos, Walberg et Peropoulis étaient devenus potes. Le plan B pouvait commencer, comme on disait dans les polars au siècle dernier : rencontrer la star. Walberg réussit donc en moins de deux semaines à obtenir un rendez-vous avec une star mythique, sans contacter le moindre agent (une habitude à lui) et sans exposer les motifs réels de son enquête. Ça n’a peut-être pas l’air de grand-chose, dit comme ça, mais je peux certifier que pour avoir réussi un truc pareil, rien que pour ça, Walberg avait à mes yeux déjà mérité le Pulitzer. A ma connaissance, il n’y a pas d’autre exemple d’une telle entorse aux règles hollywoodiennes depuis des lustres. En fait, depuis que le système des contrats à vie s’est mis en place, pas une seule personne non-autorisée n’a pu parler en tête à tête avec une star, pas une enquête n’a été entreprise, seuls les potins les plus grossièrement stupides donnent une idée (fausse) de la façon dont ces gens-là vivent. Les agents transmettent à la presse spécialisée des pseudo informations sur le mariage d’Untel, le nouvel amour d’Unetelle, le coup de blues d’un autre, etc. Ces infos sont illustrées par des photos officielles et, comme aux meilleurs moments du Brejnévisme, le peuple avale tout ça le sourire aux lèvres. Aux Etats-Unis, personne ne s’en plaint vraiment puisque après tout, il n’y a pas d’enjeu, que la démocratie n’est pas menacée et qu’il ne s’agit que de show business.

A suivre.

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