12 février 2009

Risque Zéro


On avait laissé Matthieu Jung il y a deux ans submergé par les élans de solidarité suite au tsunami dans Le Vague à l'âme (Scali) ... Il nous revient en ce début d'année avec un autre roman dont l'écriture a commencé en 2004 et qui traite de nos sociétés obsédées par le risque zéro avec Le Principe de Précaution (Stock).

Comme l'auteur le déclare lui-même dans une entrevue à Chronicart: "Aujourd'hui tout a changé, les mentalités ont évolué, nous sommes entrés dans une ère nouvelle, plus solidaire et citoyenne, où je ne sais qui décide dans je ne sais quel bureau de diffuser des messages de prévention afin que les clients de la RATP n'attrapent pas la pépie. Dans la vie quotidienne chacun constate au contraire un durcissement des rapports humains consécutifs à l'exacerbation de nos individualismes, mais notre société adore poser des cautères sur les jambes de bois une fois qu'elle a amputé des membres qui étaient valides avant qu'elle leur inocule la gangrène."

Celui en qui François Taillandier voyait comme l'un des héritiers putatifs de Philippe Muray continue à creuser son sillon en scrutant le Réel (d'aucuns appellent ça "le roman social") avec son maternage délirant ("il faut penser à s'hydrater quand il fait chaud"), son ridicule (Pierre Bellouga, patron de tasante.com) et cette obsession hygiéniste d' éliminer tout risque, c'est ainsi que Jung citant le docteur Chambry dans Chronicart déclare:

"Si on maintient un système dans lequel la peur est toujours présente, il faut pouvoir rassurer et l'idée à ce moment-là c'est de rassurer par une logique sécuritaire et de maitrise où on a tout pensé pour qu'il y ait zéro risque. Or, la vie, c'est le risque permanent. Il y a donc une logique inquiétante qui fait que si on reste dans une logique de zéro risque, forcément cette logique va s'opposer au vivant."

Cette pathologie de nos sociétés festives cacherait en fait une thanatophilie suspecte...

Ci-dessous une critique du toujours très chevenementiste Christian Authier:

Vivre nuit gravement
à la santé

«Principe de précaution» de Matthieu Jung est un conte moral et sociologique sur l'obsession du «risque zéro» qui mine le moral de nos contemporains.

«La situation est sous contrôle», « La cellule de soutien psychologique est sur les lieux », « Le calme est revenu » : il faudrait dater et analyser l'apparition de ces mots d'ordre rassurants - que l'on entend lorsqu'un fait divers sanglant, un accident, une catastrophe écologique ou un attentat survient - pour saisir une part de l'état d'esprit des démocraties techno-marchandes obnubilées par le « risque zéro » et le contrôle. À sa manière, entre le conte moral et le roman sociologique, Principe de précaution, de Matthieu Jung, s'y attelle en mettant en scène Pascal Ébodoire, cadre - pardon, asset manager - dans une grande banque où il jongle chaque jour avec des millions d'euros.

Cet homme sans qualités se méfie du tabac, des sucres rapides, de la vitesse sur les routes, des infections nosocomiales, des bugs informatiques, des maladies sexuellement transmissibles. Lorsqu'il rentre le soir dans sa banlieue cossue où l'attendent une gentille femme, une adorable fillette et un adolescent « rebelle » (c'est-à-dire épousant toutes les modes de son époque), il se dit qu'il vit décidément dans un beau pays où, avec un peu de vigilance, tout ira pour le mieux.

«Orange mécanique» rejoint Disneyland

Pourtant, dans ce meilleur des mondes dont il partage les credo (l'Europe, la mondialisation le métissage), Pascal sent confusément que les choses prennent une sale tournure. Attaché presque malgré lui à des notions archaïques comme l'honnêteté, le respect ou le goût de la vérité, il est agressé par la violence et la vulgarité d'un temps que son collègue Lionel incarne, à travers le récit cru de ses frasques sexuelles, mais avec lequel il partage un intérêt pour les crimes familiaux. Pascal est à la fois attiré et repoussé par ce malotru (que le lecteur adore détester sans y parvenir vraiment) ainsi d'ailleurs que par un autre collègue, l'érudit et catholique Luc. Tout l'art de Matthieu Jung tient dans cette distance et le tiraillement intérieur de son personnage qui approuve les mutations en cours sans occulter la part d'incertitude et de danger qu'elles induisent. Que reste-t-il alors aux hommes de bonne volonté lorsque Orange mécanique rejoint Disneyland et que la vie en société devient une somme d'« affrontements impitoyables d'égoïsmes forcenés » ?

La chute de ce roman de 400 pages que l'on dévore ne surprend pas vraiment. L'intérêt est ailleurs, dans l'observation de nos comportements et de nos états d'âme. Pas de théorie chez ce jeune auteur qui a lu Perec et Houellebecq sans tomber dans le pastiche. Juste une exposition précise de l'état des lieux. Après un premier roman, Le Vague à l'âme, chez Scali, salué dans ces colonnes par François Taillandier, Matthieu Jung installe un univers. Il écoute et scrute ses contemporains. Il nous fait entendre le pathétique, l'absurde, le cocasse et l'émouvant de nos conditions humaines. Bref, c'est un écrivain.

Principe de précaution de Matthieu Jung Stock, 408 p., 19,50 €.

2 commentaires:

  1. Tout cela est certes fort intéressant, mais avouez que ca ne vaut pas Gilles Langoureau!

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  2. A retenir lorsqu'il sortira en poche.

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