18 juin 2008

Edward Louis Bernays, marionnettiste des masses




Au XX°siècle, certains puissants de ce monde fracassèrent l’histoire et tentèrent d’orienter la civilisation vers des directions totalitaires dignes des romans d’Orwell ou d’Huxley. Je ne les citerai pas, tout le monde les connait. D’autres personnages, inconnus du grand public et toutefois aussi redoutablement efficaces, ont, dans la même optique, théorisé et créé des méthodes et des stratagèmes perfides basés sur les découvertes récentes de leurs époques, en piochant dans les domaines des sciences sociales et humaines comme la psychologie sociale, la psychanalyse, les sciences comportementalistes, la cybernétique et tant d’autres qui allongeront inutilement la liste. Et bien, ces salopiots réussiront là où les procédés brutaux ont échoué !
Une de ces forces insidieuses, mélangeant psychologie sociale et psychanalyse, a été créée pendant la première partie du XX ° siècle. Elle porte les dénominations plutôt sympathiques d’« industrie des relations publiques » et de « Com » dans notre langage contemporain (beurk !). Son rôle est de manipuler l’opinion publique par la propagande en utilisant des techniques issus initialement des travaux de Gustave le Bon, père de la psychologie sociale, puis de la psychanalyse. Un personnage fascinant lui a donné ses lettres de noblesse et a bouleversé en profondeur le comportement humain. Ce monsieur s’appelait Edward Louis Bernays (nous l’appellerons désormais « Bébert » pour les besoins de l’article) et était le petit neveu américain du psychanalyste superstar, Sigmund Freud (qui engendrera des malades mentaux diplômés comme Gérard Miller).

Un malade mental diplômé célèbre

La profession de conseiller en relation publique dans le domaine politique a été popularisée par le sitcom américain « Spin City » avec dans le rôle de spin doctor, Michael J. Fox la tremblote, puis Charlie Sheen toc.

Les débuts de la COMédie
C’est Ivy Ledbetter Lee, un ancien journaliste, qui inventa le métier de conseiller en relation publique et en était le premier professionnel. Il avait réussi à améliorer l’image de la compagnie « Pennsylvania Railroad » où les accidents étaient fréquents. Un de ces plus gros clients était John D. Rockfeller qui l’engagea suite au massacre de Ludlow dans l’État du Colorado. Le 20 avril 1914, lors de grèves de mineurs qui se prolongèrent et qui n’étaient pas au goût du despote de la Standard Oil Company, John D. fit intervenir l’armée dont les exactions se soldèrent par la mort de deux femmes, six hommes, douze enfants et d’une centaine de blessées. De quoi en prendre un sérieux coup question réputation. De plus à cette époque, les corporations ne contrôlaient qu’une partie de la presse américaine et bizarrement un nombre conséquent de journalistes firent leur boulot (les muckrackers : déterreurs de scandales) et se déchainèrent sur la pieuvre tentaculaire pétrolière. N’importe quoi, eux !
Ivy entra dans la danse et dirigea la chorégraphie en gavant les journaux d’articles exposant les syndicats ouvriers, les accusant de compromettre la liberté industrielle. Pendant de longs mois, les syndicats eurent mauvaise presse (la répétition inlassable est la base de toutes propagandes et du lavage de cerveau. Y a bien un moment où ça rentre comme le dirai un certain Rocco). Entretemps, Ivy convainquit aussi John D. de la nécessité d’une bonne gestion médiatique de son image sur l’opinion publique. Ainsi, la philanthropie des milliardaires naquit avec Rockfeller. Elle est aujourd’hui monnaie courante dans le show bizz dès qu’on a des clients qu’on appelle public. Quel mauvais esprit, ce Paracelse ! Rockfeller comprit les possibilités extraordinaires que pouvaient lui apporter les relations publiques dans les domaines politiques et affairistes. Une poule aux œufs d’or qu’aimerait bien se taper un vieux coq comme lui. Ce jour-là, le champagne dut couler à flot.

Bébert a un grand-oncle européen qui ne parle que de cul
Bébert naquit à Vienne en 1891, puis émigra à l’âge d’un an aux États-Unis avec toute la smala pour se fixer à NY. Il était le petit-neveu de Freud par son père et par sa mère (trop chiant à expliquer). Très tôt, il se prit de passion pour les travaux de tonton et vénérait sa célébrité, rien de plus normal quand les diners centraient leurs conversations autour de la psychanalyse. Son père travaillait dans le commerce du grain et devint très prospère. Il aimerait que le fiston suive ses traces. Il l’enverra étudier dans une université en agronomie. Malheureusement, Bébert détestait ça et se voyait mal faire ce métier toute sa vie, mais il obtint quand même son diplôme en 1912. Papa était content. Classique ! À son retour à NY, à la fin de son calvaire universitaire, Bébert se posait des questions sur son avenir et pensait avoir une plume assez correcte pour se lancer dans le journalisme. Il obtint son premier boulot de gratte-papier au journal « National Nurseryman ». Peu de temps après, le hasard fit bien les choses. Il rencontra un vieil ami, en 1912, qui lui annonça avoir hérité de deux revues médicales mensuelles et lui demanda un coup de main. Bébert accepta. Un jour, il reçut la recension d’une pièce de théâtre « Damaged Goods » (en français, les avariés) écrite par un auteur de la Comédie-Française, Eugène Brieux, traitant d’un sujet ultra tabou pour l’époque, les maladies sexuellement transmissibles. Bébert et son ami acceptèrent de la publier. Il apprit qu’un acteur américain célèbre, Richard Bennett, aimerait faire jouer cette pièce sur Broadway. Bébert le contacta, le rassura et mit au point un processus médiatique révolutionnaire qui deviendra une des techniques de base de l’industrie des relations publiques et encore très exploitées actuellement. Il créa un « comité sociologique » de la revue médicale et invita des personnalités du gratin new-yorkais à y siéger et à financer la pièce de théâtre (il ne perd jamais le nord, le Bébert).
La technique consistait à créer un tiers parti « officiel », légitimé par la présence de sommités scientifiques, de personnalités éminentes et respectées, en apparence désintéressées, qui servit d’intermédiaire crédible entre le public et l’objet de la controverse pour en modifier la perception. De nos jours, on l’appelle la technique du « tampon » et ça donne, par exemple, les fameuses pubs où des dentistes vantent les mérites d’un dentifrice ou alors, des commissions respectables, genre Attali, pour établir des politiques décidées à l’avance ou bien des experts bidon dans les émissions de téléachats. Enculé de Bellemare !
Le succès fut au rendez-vous pour la pièce de théâtre et dépassa même toutes les attentes. Bébert était aux anges et comprit qu’il venait de trouver sa voie. Il envoya bouler le journalisme et se lança en free-lance comme médiateur entre le public et divers clients. Il travailla dans le show-bizness pour promouvoir le ténor Enrico Caruso, le danseur Nijinsky et les ballets russes. Il en profita pour affiner et mettre au point de nouvelles techniques basées sur la psychologie des foules de Gustave Le Bon et la psychanalyse freudienne.

La sauce à Bernays
Bébert collabora à la fameuse commission Creel. Le président Thomas Woodrow Wilson avait été élu en promettant à la population que les États-Unis ne participeront pas aux réjouissances de la Première Guerre mondiale. Seulement, voilà, ce cafard, qui déjà sous son mandat avait sournoisement sodomisé le peuple américain, en acceptant de faire campagne pour le compte des banquiers internationaux et des « barons voleurs » auprès du congrès pour la création de la Fédéral Reserv System (la FED, banque centrale américaine), changea d’avis, certainement pas tout seul, et créa le 17 avril 1917, la Commission on Public Information (CPI), appelée commission Creel du nom du journaliste qui l’a dirigé, Jean-Pierre Elkabach… euh, non… Georges Creel. Cette commission avait pour but d’infléchir l’opinion publique dans l’idée de la guerre par une propagande qui n’avait jamais été orchestrée avec une telle ampleur jusqu’à présent. Les trois personnages centraux de cette commission étaient Bébert, Walter Lippmann et Jean-Pierre Elkabach… euh, non… Georges Creel. Elle était le véritable laboratoire de la propagande moderne, en utilisant tous les moyens de diffusions d’idées (presse, brochures, films, posters, caricatures, etc.). Elle était composée d’une section étrangère avec des bureaux dans plus de trente pays (Foreign Section) et d’une section américaine, le centre de contrôle (Domestic Section). Elle fut à l’origine du célèbre poster « I want you for U.S. Army » clamé par Uncle Bens Sam.

La commission inventa les « four minutes men », des prises de paroles dans des lieux publics par des personnes bien en vue dans les communautés, parfois des célébrités, qui haranguaient les foules par des discours ou poèmes, dans le but de faire entendre le point de vue gouvernemental, de mobiliser et d’inciter à la haine des ennemis. Creel a soutenu que 75000 orateurs volontaires ont prononcé plus de 7.5 millions de discours. Le rêve du nainboléon Sarkosy !
C’était dans cette ambiance bon enfant et belliciste que Bébert inventa les termes de « groupe de foules » et d’« ingénierie du consentement ».
En 1918, Bébert persuada le président de la Tchécoslovaquie Mazaryk de retarder d’une journée l’indépendance de son pays pour mieux s’assurer les premières pages des journaux internationaux.

Bébert prend ses contemporains pour des Playmobil
En ayant bien compris les théories de tonton et du bon Gustave, Bébert avait conscience que la propagande qui servait habituellement en temps de guerre pouvait aussi bien être utilisée en temps de paix. En 1919, il ouvrit un bureau à NY qu’il nomma d’abord « direction publicitaire », puis finalement opta pour « Bureau de relations publiques », se définissant lui-même de conseiller en relations publiques. Le mot propagande, suite à la première charcuterie mondiale, avait une connotation péjorative, donc Bébert le remplaça par « relation publique » (il l’explique lui-même dans « Propaganda », 1928). Bébert se sentait fin prêt pour le siècle de la consommation par le désir. Et croyez-moi, il en créa du désir, car c’est lui qui l’instaura dans les domaines publicitaires et promotionnels ! À partir des twenties, les banques propagèrent les chaines de magasins et les pullulèrent d’objets de consommations aussi dispensables qu’une « Union européenne ». Bébert sera leur meilleur vendeur. L’employé du mois indétronable pendant des décennies ! Bébert commença à beaucoup s’enrichir et devint multimillionnaire très rapidement.
Bébert, c’est en autre le créateur de :
— de concours de sculpture du savon Ivory de la société Proctor & gamble dans les écoles yankees pendant 37 ans, sur le dos des contribuables.
— la promotion du petit déjeuner copieux d’œufs et de bacons, recommandé par un « comité de médecins » (oh, le joli tampon) pour le compte de l’association des producteurs de porcs.
— du changement des mentalités de consommation éclipsant le besoin par le désir.
— de l’organisation à la maison blanche de diners avec une ribambelle de stars du show bizness afin d’améliorer l’image du président Coolidge, réputé austère et cynique. (À cette occasion, il a été le premier au monde à faire sourire un président).
— une coopération constante avec les médias et des antennes en leurs seins.
— de la promotion du piano défendant l’idée d’une salle de musique dans chaque foyer.
— de l’idée du gouvernement invisible utilisant la propagande par le désir pour diriger. (idée partagée avec Walter Lippmann)
— de l’idée que les vêtements expriment la personnalité. (Même les slips ?)(Il est possible que ce soit Bernays qui créa l’idée du narcissisme de masse dont parle Christopher Lasch, peut-être indirectement, ce qui peut donner les attitudes « rebelles » ou « cool » dont je soupçonne être des créations commerciales, par exemple Coca-Cola qui les reprend souvent dans ses pubs).
— de l’idée de comités d’experts sur commande en les qualifiant d’indépendants.
— créa l’association d’idées masculinité/automobile.
— la propagande massive du besoin urgent de constructions de routes et d’autoroutes, pour les comptes de General Motors, de la Standard Oil Company et de Mack Trucks qui eurent pour effet d’augmenter considérablement les ventes de camions, de voitures, de consommations d’essences et de pneus (ce qui était le but recherché)
— de l’organisation, en 1929, le jour même du jeudi noir, pour le compte de General Electric, d’une fête d’anniversaire prétextant de l’invention de la lampe à incandescence par Thomas Edison. GE était contrôlé par la famille Morgan, dynastie financière et une des grandes profiteuses de la crise de 1929, malgré la version officielle (ça mérite un article).
— de la promotion de l’image d’Israël, ainsi que de l’Inde, aux états unis.
— de l’origine de la flambée des actions boursières avant 1929, en promouvant l’idée d’une hausse incessante de l’économie, jusqu’à la douche froide (« tampon » faire rouler l’économie).
— Les organismes-tampons entre un client et l’opinion publique (bonjour, Mr Ménard !)
— du glamour dans les magazines féminins et en profita pour glisser les publicités de ses autres clients.
— d’avoir réussi à faire fumer les femmes en associant la cigarette à la liberté et à l’émancipation féminine, ainsi qu’à des modèles de société comme les célébrités. La présence de la cigarette a explosé dans le cinéma grâce à Bébert.
— et à partir des années 50 de travailler pour la CIA (en vérité pour les frères Dulles, créateurs de l’agence de renseignement et proprio d’United Fruit dont les terres Guatemalaise laissées en friches ont été réquisitionnées par le gouvernement. Les deux frangins ont vu rouge). Son seul fait d’armes connu est d’avoir diabolisé le gouvernement socialiste de Jacobo Arbenz Guzman, au Guatemala, en une horrible dictature. La CIA finança le coup d’État et plaça le sympathique général Castillo Armas qui fêta sa prise de pouvoir par 100 000 morts déclarés au cours des cinq années suivantes.

Le gouvernement invisible
Pour Bébert, l’homme était mû par des forces inconscientes irrationnelles appelées pulsions. Alors, Bébert en conclut que pour manipuler l’homme, il suffisait de s’adresser directement à son inconscient par un langage irrationnel comme le désir. L’association du but à atteindre à des désirs inconscients, répertoriés par les travaux de la psychanalyse, implantée efficacement par la propagande.
Bébert appartenait à un courant de pensée antidémocratique qui estimait que les peuples sont des troupeaux de bêtes sauvages, indisciplinées, irresponsables et que seuls des êtres capables sont en mesure de les domestiquer.
« La minorité a découvert qu’elle pouvait influencer la majorité dans le sens de ses intérêts. Il est désormais possible de modeler l’opinion des masses pour les convaincre d’engager leur force nouvellement acquise dans la direction voulue. Étant donné la structure actuelle de la société, cette pratique est inévitable. De nos jours, la propagande intervient nécessairement dans tout ce qui a un peu d’importance sur le plan social, que ce soit dans le domaine de la politique ou de la finance, de l’industrie, de l’agriculture, de la charité ou de l’enseignement. La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible », Propaganda, 1928, Edward Bernays.
« Le public doit être mis à sa place afin que les hommes responsables puissent vivre sans craindre d’être piétinés ou encornés par le troupeau de bêtes sauvages », The Phantom public, 1927, Walter Lippmann.

Conclusion
Bébert mourut dignement en mars 1995 à l’age de 104 ans en laissant derrière lui les bases de l’industrie à manipuler et guider les masses populaires, dont les techniques sont totalement généralisés dans nos mass-médias. Tous les ans, des milliards de toutes les devises mondiales sont injectés dans l’économie dans l’unique but de manipuler l’opinion publique dans la direction souhaitée et c’est Bébert qui a permis cela. Il fut le créateur de l’association d’un objet, d’une politique, d’un personnage ou d’une idée avec un désir. (se laver la tête de toutes propagandes, c’est dissocier le désir de son objet). Aujourd’hui, les techniques ont évolué grâce à l’apport du numérique dans le domaine publicitaire (saturations de couleurs en rapport avec le packaging de l’objet, couleurs excessivement vives, bande-son des plages publicitaires plus fortes que le reste des programmes, etc.) et des avancées dans les domaines des sciences sociales, mais les base théoriques et pratiques viennent de Bébert. Bébert a travaillé pour de nombreux gouvernements américains successifs, de nombreuses multinationales, de nombreuses personnalités et gouvernements étrangers, ainsi que de longues années pour la CIA et les frères Dulles dont on ne connait malheureusement que l’épisode Guatemalais, sécurité des États-Unis et intérêts privés obligent. Bébert fait partie des hommes qui ont le plus influencé le XX° siècle. C’était un vampire psychique qui a beaucoup de disciples de nos jours. Il s’immiscait dans l’inconscient collectif à pas feutrés et déposait ses virus pour un intérêt public ou privé. Sa femme disait de lui qu’il était misanthrope, jugeait tout le monde comme stupide et se considérait comme supérieur. Sacré Bébert, je comprends maintenant pourquoi Goebbels a proposé à Hitler de t’engager, même si tu étais juif !

- Propaganda, Edward bernays, écrit initialement en 1928 et réédité en 2004, préfacé par Normand Baillargeon.

P.S : Attention, si vous lisez « Propaganda ». Un fort esprit critique est recommandé. En effet, ce livre est en lui-même une propagande, car Bébert y légitime toutes ses théories.

3 commentaires:

  1. extra ! ça donne envie de vomir, mais d'en savoir plus !

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  2. En effet, ça donne envie de le lire (en se pinçant le nez).

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  3. un article très intéressant, un tantinet alarmiste, car le pouvoir des médias est contrebalancé par d'autres leaders d'opinions (famille, religion...).

    Cela dit, les mass medias n'ont pas 100 ans, il est intéressant de considérer leur impact dans une perspective temporelle et non plus figée à un instant t. Essentiellement à la suite Lazarsfeld, les médias ont été réputés avoir une influence moindre que les leaders d'opinions. Mais dans une perspective dynamique, les leaders de l'instant T ont pu être influencés par les médias de l'instant T-1.

    La question n'est plus de savoir qui domine l'autre mais de déterminer si leurs relations sont dialectiques. That is the question.

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