27 mars 2008

White season


La BBC2 a récemment diffusé une série de cinq documentaires (et un téléfilm) White season sur la disparition de la classe blanche ouvrière du Royaume-Uni. L'écrivain Tim Lott dans un remarquable article paru dans The Independent (traduit par Courrier International) y voit surtout l'expression de préjugés des élites.

Le CGB d'entrée se pose cette question: peut-on calquer cette grille d'analyse sur l'hexagone? Certes les modèles divergent (assimilationniste pour l'un et differentialiste libertaire pour l'autre), mais on peut retrouver certains point communs.




L'honneur perdu du prolétariat anglais

Qu'évoquent pour vous les mots "classe ouvrière blanche"? Couteaux, beuveries, irresponsabilité, jeunes à capuches, salopes, voyous, sales pauvres? Pourquoi nous permettrons-nous pas d'associer des termes aussi injurieux à cette minorité particulière? Ce n'est pas White season qui va nous apporter des réponses.

Mon père a travaillé chez un marchand de fruits et légumes pendant trente-cinq ans. Ma mère était femme au foyer, elle s'est suicidée en 1987. Ils ont toujours voté travailliste. Ma mère s'est pendue dans la maison où elle avait vécu toute sa vie, à Southall, dans l'Ouest de Londres. C'est sans doute aujourd'hui, l'endroit qui compte le moins de blancs de tout le Royaume-Uni. Ma mère se sentait perdu: son univers avait disparu.

C'est en partie ce que ressentent les gens de la classe ouvrière. Même si je fais aujourd'hui partie de la classe moyenne, ce sont toujours "les miens". Je les trouve honnêtes, drôles, irrévérencieux, forts et sans prétentions. Je les trouve aussi obstinément ignorants, hédonistes, colériques, souvent racistes. Ils se méfient de la culture et de l'éducation, qu'ils associent à la classe moyenne, qu'ils détestent. Parce qu'ils ont en fait plus d'animosité envers les classes moyennes, qu'envers les Noirs, les Indo-Pakistanais ou les homos.

C'est parce qu'ils ont été trahis par plusieurs générations de cette classe sociale qui leur est soit-disant supérieure: la classe moyenne blanche progressiste. Pour cette dernière, la classe ouvrière respectable, autrefois célébrée, est un espèce disparue, dont seule subsiste la lie (même s'ils n'emploieront jamais ce mot là). Il y a sans doute une once de vérité là-dedans, mais si c'est vrai, la classe ouvrière ne s'est pas éteinte: elle a été assassinée.

Et comment s'est-on débarrassé d'elle? Le premier assaut qui a miné ses espoirs et son moral est la grande trahison éducative, avec l'abolition des grammar schools (des collèges qui n'étaient ouverts qu'aux élèves réussissant un examen à la fin du primaire) et le maintien des écoles privées. Les grammar schools, selon le point de vue culpabilisateur des progressistes, favorisaient les enfants des classes moyennes au détriment des enfants issus des classes populaires. Alors qu'en fait elles favorisaient surtout les enfants les plus doués. Et si l'on regarde les élèves sortis des grammar schools après la guerre: Harold Pinter, Dennis Potter, Allan Silitoe, Melvyn Bragg, Alan Bennett et tant d'autres, elles ont injecté un élement de sensibilité ouvrière dans la culture.

Aujourd'hui au nom de l'égalitarisme- la même chose pour tout le monde sauf pour la classe moyenne blanche progressiste, qui a les moyens de scolariser ses enfants dans le privé-, la sélection dans les écoles ne se fait plus sur l'intelligence- dont un grand nombre d'enfants de classe ouvrière sont pourtant dotés- mais sur l'argent. Les progressistes ont décrété que les enfants d'ouvriers étaient tous aussi intelligents (c'est à dire peu- même si on prétend le contraire) et qu'ils devraient tous aller dans les mêmes usines écoles, souvent minables.

Deuxième grande trahison: le multiculturalisme. Ce credo qui veut que toutes les cultures aient la même valeur (en théorie) mais que les cultures minoritaires sont d'une certaine manière-même si personne ne sait vraiment en quoi-supérieurs à bien des égards à la culture du pays d'accueil, qui, elle, est intrinsèquement raciste. La classe ouvrière n'a pas très bien accueilli l'immigration. En partie à cause du racisme, bien sûr, tare contre laquelle la classe moyenne blanche progressiste est naturellement immunisée. Mais parce qu'elle a du mal à accepter de voir les occasions de logement lui passer sous le nez, des emplois mal payés prendre la place d'emplois décents, et de devoir apprendre à exister dans un nouveau genre de culture qui a supplanté la sienne. Et devoir apprendre à avoir honte quand on vous enlève tout a été très dur à avaler.

Troisième trahison: la détermination de cette classe moyenne blanche progressiste à éradiquer le nationalisme- du moins le nationalisme anglais. Si vous êtes écossais, gallois ou irlandais, évidemment vous pouvez glorifier votre drapeau et votre culture. Mais si,, vous êtes anglais, célébrer Saint Georges et le drapeau anglais est raciste. Parce que les ouvriers blancs, bien qu'ils aient été envoyés au fond des mines et parqués dans des usines, ont apparemment réussi à exploiter leurs frères et sœurs des colonies au cours des siècles précédents, et qu'ils n'ont donc pas le droit d'être fiers de leur pays, pour lequel leurs parents et grands-parents ont pourtant souffert et sont morts au cours de deux guerres mondiales.

Quoi d'autre? L'utopie des logements sociaux des années 1960 et 1970, qui a déraciné des communautés entières d'ouvriers, et les a mis dans des tous hideuses et invivables. Comment, alors, s'étonner que la classe ouvrière blanche soit en colère, désespérée, qu'elle joue avec des couteaux et qu'elle s'étourdisse de bagarres et d'alcool? La White season de BBC2 ne dit rien pour sa défense. Elle se contente d'observer à distance, comme au zoo. Après tout, nos élites ne la considèrent pas comme une espèce animale? Les universitaires de la classe moyenne blanche aiment introduire le concept de l'"autre". Et c'est bien connu, les blancs de la classe ouvrière ont la haine de l'"autre": Noirs, Indo-Pakistanais, musulmans. Mais, il ne leur est jamais venu à l'idée que c'est elle, la classe moyenne blanche progressiste, qui est championne de la haine de l'autre. Sa répulsion à l'égard de la classe ouvrière blanche, bien trop proche d'elle, en est la preuve. Elle s'en sert pour projeter ses propres travers et son racisme à l'envers sur la classe ouvrière

Tim Lott



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire