16 janvier 2008

La littérature à coups de Hachette

A la fin de sa vie, Paul Morand, écrivain prolifique et grand voyageur, publie un excellent livre : Venises. Au pluriel. Durant les quelques années qui lui restent à vivre, tous les interviewers aborderont la question de ce pluriel accolé au nom d’une ville, et ce cinéma durera même après sa mort, dans la plupart des textes sur l’auteur. Morand, homme pressé qui savait faire bref, avait semble-t-il trouvé une formule parfaite pour multiplier le sens d’un mot : le pluriel ! Emerveillés, les observateurs littéraires se rendaient compte qu’il existe plusieurs Venises, comme une femme mariée pendant trente ans au même homme peut dire mon maris ou comme un homme curieux pourrait parler de son idées fixes… Depuis lors, le procédé a été repris assez souvent. On fixe un S à n’importe quel mot, de préférence un nom propre, attirant l’attention à coup sûr. Pourquoi pas ?

J’aime beaucoup Riad Sattouf. Son dessin est efficace, à la fois enfantin et expressif. Il a un talent d’observateur hors du commun, un sens de l’humour assez particulier et une sorte de bonhomie qui me plait. Ses mini planches sur La vie secrète des jeunes sont, de très loin, ce qui a le plus de valeur chaque semaine dans Charlie Hebdo. En 2005, Hachette a publié son Retour au collège dans une collection intitulée Hachette Littératures, avec un S, et je viens de le lire.

Ben voyons...

Foutre un S à littérature signifie probablement qu’il y a plusieurs sortes de littératures : la bonne, la mauvaise, la grande, l’insignifiante, la française, l’étrangère, la classique, celle d’avant-garde et celle à l’eau de rose, etc. Bon. Hachette veut peut-être nous dire que tout ce qui est susceptible d’entrer dans ces catégories disparates sera publié, car il est permis d’envisager du fric avec tout. Là où l’innovation est de taille, c’est quand on range les œuvres de Riad Sattouf sous cette lumineuse appellation. Le retour au collège (très bon, par ailleurs) est une bande dessinée, ou un reportage dessiné, enfin c’est un machin avec des dessins dedans, ou des dessins avec un machin autour, mais en aucun cas de la littératures ! Je suis prêt à parier que Sattouf lui-même se marre en se voyant bombardé dans ce genre de truc.

Flaubert disait que « les bourgeois ont la haine de la littérature ». Les marchands en particulier, et ça ne s’arrange pas. Ceux qui nous gouvernent ont même probablement la haine, ou le mépris de tout ce qui n’est pas producteur d’argent : littérature, musique, etc. Ils font donc tout leur possible pour démolir l’art en prenant garde d’en tirer quand même profit. On arrose les oreilles du genre humain de musique non stop, jusqu’à ce qu’elle ne serve plus qu’à vous accompagner dans le métro, ou patienter chez le dentiste, et on noie la littérature dans un ensemble hideux qui fait mentalement voisiner Proust et Pouchkine avec Marc Lévy ou Titeuf. Quand on aura compris que Riad Sattouf fait de la littérature, on n’aura probablement plus besoin d’aller lire autre chose pour l’apprécier… Depuis quelques décennies, on se demande si la BD est un art, si elle est un art mineur ou majeur, le huitième, le neuvième, le dixième art… Pour répondre à ces questions, il aurait suffit que la BD produise des œuvres magnifiques et profondes, à l’instar de la peinture, de la musique, de la poésie, et l’insoutenable incertitude s’arrêtait d’elle-même... Hachette a trouvé une solution plus rapide : la BD, c’est de la littérature. Certains prétendent que les jeunes ne lisent plus (sous entendu : de la littérature) ? Faux, répond Hachette l’astucieux !

Des paranos annoncent depuis longtemps la mort de la littérature, de la politique, de la philosophie ou du bon vieux temps. Hachette a trouvé un dérivatif à cette prédiction en mettant tout ce qu’on imprime sur des feuilles de papier dans la catégorie de la littérature, garantissant ainsi à cet art vénérable une solide éternité, tant qu’on imprimera de la bande dessinée, des calendriers de la Poste ou des pubs pour les boîtes de Ronron.

1 commentaire:

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