20 décembre 2007

Mondialisation heureuse ?

Il y a quelques années, énervé par une double page de mon journal régional faisant la part belle à un faux-journaliste ricain donneur de leçons, j'avais rédigé ce cathartique petit courrier qui a probablement fini dans la première corbeille venue. Le voilà ressuscité.

Réponse à Thomas Friedman et autres chantres du libéralisme mondialisé

Thomas Friedman a manifestement une vision béate et partielle de la mondialisation. Dans l'entretien accordé à Sud Ouest Dimanche et paru le 29 octobre, le journaliste américain s'émerveille devant ce phénomène qu'il considère comme inévitable et civilisateur. Sa conception est béate car elle ne tient pas face à la réalité du monde. Des études, autrement plus rigoureuses, menées par de vrais spécialistes comme Emmanuel Todd, montrent que le libre-échange moderne, mondialisé et dérégulé, s'accompagne d'une formidable montée des inégalités internes à chaque société et que si des richesses sont créées (augmentation du PNB réel), elles profitent à certains groupes sociaux, généralement des élites qui gagnent beaucoup, au détriment d'autres groupes, généralement des travailleurs ordinaires qui perdent d'autant. Vision également partielle du journaliste américain car vision occidentalocentriste. Elle occulte l'incapacité du modèle américain qu'il vénère tant à redistribuer la richesse produite et passe sous silence son incompatibilité souvent délétère avec les modes de vie des populations qu'il tente de convertir. Une manière de colonialisme qui revêt les oripeaux du Développement et de la Démocratie et qui se contente au mieux d'imposer le même modèle inégalitaire à la planète entière. Un colonialisme qui impose ses lois économiques partout et qui au bout du compte se révèle incapable d'éradiquer le sous-développement qu'il prétend pourtant combattre. Ainsi, dans son interview, Thomas Friedman, chantre du néolibéralisme et de la mondialisation, nous livrait quelques perles faites d’optimisme cynique et de positivisme partial. En voici un florilège suivi à chaque fois d’un petit commentaire :

* Friedman : « C’est ainsi que le monde est devenu plat. Je n’entends pas par là qu’il s’est égalisé mais que, sur cette plate-forme technologique, de plus en plus de gens ont d’égales chances de se connecter, d’entrer en compétition et d’échanger » - Mythe de l’égalité des chances et apologie de la compétition.

* Friedman : « Si vous tenez un blog et que vous êtes bon, vous pouvez me concurrencer au New York Times » - Croyance naïve en l’existence d’une méritocratie fondée sur les compétences humaines et la probité intellectuelle (si cette méritocratie était avérée, Friedman, au lieu d’officier au New York Times, gratterait quelques papiers fumeux dans un hebdomadaire de seconde zone au fin fond du Nebraska)

* Friedman : « L’idée de vous battre contre quelqu’un en Chine ou en Inde peut-être excitante si vous aimez le challenge, mais terrifiante si vous ne vous sentez pas armé » - Philosophie belliciste

* Friedman : « Le politique peut abattre les cloisons entre les deux Corées ou l’Iran et Israël, mais il ne peut pas interrompre l’aplatissement de la Terre* » - *comprendre ici : la globalisation. (Le titre de l’article était : « La Terre est de plus en plus plate ». On pourrait ajouter : « à l’image des valeurs défendues par le capitalisme mondialisé »). Propagande et mauvaise foi d’un membre de la classe supérieure américaine qui bénéficie directement du caractère inégalitaire de la mondialisation capitaliste et qui la présente donc comme un phénomène naturel et heureux, phénomène contre lequel on ne peut rien et contre lequel il est vain de vouloir résister.

* Friedman : « L’Europe peut-être très compétitive, mais elle n’a pas comme mon pays le sens inné du risque et de l’innovation. Elle est dans la préservation de ses acquis. Elle n’a pas besoin d’une mutation politique mais d’une ample révolution culturelle » - Impérialisme qui donne des leçons et qui veut imposer ses valeurs totalement creuses et inégalitaires à des cultures riches de vingt siècles d’histoire. Ici le vernis craque car dans l’euphémique expression « révolution culturelle », il faut évidemment entendre la destruction des formes économiques et culturelles antérieures à l’expansion du capitalisme moderne mondialisé. Il faut comprendre destruction des manières de vivre et des rapports sociaux qui font obstacle à la réalisation et l’expansion de ce même capitalisme. Mais l’idéologue reste très discret sur tous ces points. Il considère probablement ces sujets comme mineurs et les dommages dont ils témoignent comme « collatéraux ». La monstruosité de cette conception rappelle un film de science-fiction, le bien nommé Alien, dans lequel les choses avaient mal tourné. En effet, l'ordinateur central du vaisseau spatial (baptisé assez judicieusement « Maman ») avait été reprogrammé pour favoriser la Mission au détriment ...je vous le donne en mille : au détriment de l'équipage ! Pour Friedman, la Mission est en cours. Elle s’intitule : Mondialisation, Dérégulation, Uniformisation.

Pour achever la réplique, voici quelques extraits des travaux d’ Emmanuel Todd auxquels j’ai fait référence plus haut et qui sont des modèles de probité intellectuelle et de rigueur scientifique :
« L'ouverture commerciale absolue est, sur une longue période, néfaste à l'ensemble de la société, mais elle profite à certains groupes et secteurs. Le libre-échange, s'il étouffe la croissance et tasse les salaires des travailleurs ordinaires, avantage extraordinairement certaines catégories sociales supérieures ».
« Le résultat global en termes de bien être des populations, du libre-échange moderne : l'abaissement des barrières douanières dans la majeure partie du monde occidental s'est accompagné d'une chute du taux de croissance de l'économie mondiale et d'une formidable montée des inégalités internes à chaque société »
« Sur les campus universitaires, les étudiants continuent d'apprendre que le libre-échange, s'il pose des problèmes à certaines catégories de travailleurs, est bon pour la société dans son ensemble, pour le consommateur, ce petit roi théorique du capitalisme anglo-saxon. Comment une telle croyance peut-elle tenir contre la réalité du monde. L'explication doit faire intervenir trois niveaux entremêlés : idéologique, sociologique, économique »

6 commentaires:

  1. "Egalité des chances" voilà un beau mot inventé par un député vichyste Gaston Bergery...

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  2. Désirant approfondir la question, peux-tu donner le titre du livre d'Emmanuel Todd dont tu tires tes références, svp.
    Dans le même ordre d'idées, on pourra consulter les excellents Divin Marché de Dany Robert-Dufour et Souffrance en France de Christophe Desjours pour mieux comprendre les conséquences sur le plan individuel et collectif de la mondialisation néo-libérale.

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  3. Avant la mondialisation, la Chine était un territoire crève la faim. Ces ex pays pauvres sont l'avenir du pognon, parce que le Bresil, l'Inde et la Russie ont compris tout ce que la mondialisation pouvait leur apporter.
    Votre négationisme du réel me fout la gerbe. Entetez vous dans votre fanatisme égalitaire et vous ferez bientôt de la France la nouvelle Chine d'hier.

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  4. zefa l'altermondialiste qui s'impatientait, dans un commentaire sur un autre article, d'une nouvelle attaque sur new york. donc, rien à esperer de lui (elle)...

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  5. l'attaque sur NY
    c'était une plaisanterie tu sais

    altermondialiste ? c'en est une aussi non ?

    Le commentaire qui nous accuse d'oeuvrer pour la transformation de la France en Chine d'hier me laisse perplexe (enfin s'il s'adresse bien au CGB et non pas à une hyène capitaliste virtuelle).
    Il me semble avoir suggéré dans ce post qu'avec la mondialisation (division internationale du travail) ni le peuple chinois ni le peuple français ne seront gagnants et que c'est précisément vers cette situation que la mondialisation nous conduit : une France dans laquelle on aura fait des travailleurs français des chinois, et des travailleurs chinois qui en chieront toujours autant malgré l'élévation du niveau de vie du pays (qui ne concernera évidemment qu'une fraction d'entre eux - les kapos du système).
    Les seuls gagnants on les connaît : les capitalistes apatrides qui méprisent les peuples. Ce sont eux les nihilistes du réel (pour reprendre ton expression).

    Quant à la Russie elle est en train de réviser son engouement pour l'économie mondialisée.

    E Todd "L'illusion économique"

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  6. Un petit mot sur le "négationisme du monde réel". Le fanatisme désigne un attachement aveugle et inconditionnel à une cause, entrainant quelle qu'en soient les conséquences sur autrui et sur soi même la nécessité absolue d'imposer son opinion. Souvent, c'est la peur qui cautionne cette absence de nuances. Votre évocation d'un fanatisme égalitaire est donc à mettre en balance avec vos propos, ayant ainsi (relisez vous) absolument l'ensemble des caractéristiques d'un message à caractère fanatique... un fanatisme économique, mondialiste, cautionné par la peur de l'appauvrissement des pays riches.

    Pour ma part je préfère y opposer des arguments factuels : si la mondialisation doit aboutir à l'élévation du niveau de vie de l'ensemble de la planète au niveau des 5 à 10% de pays "riches" dont nous faisons partie, cela passe par une très forte croissance. Cela passe par l'acquisition de richesses chez les chinois ou africains qui soient individuellement équivalentes à celles des classes moyennes d'Europe ou des Etats unis. C'est à dire, une voiture par habitant, un chauffage, une maison, etc. Il est scientifiquement prouvé que cette situation est non viable, la terre ayant une surface limitée et des ressources limitées. C'est tout simplement impossible.
    Supposons maintenant que l'objectif soit de maintenir la situation actuelle : 10% (au maximm) des habitants de la planète a un niveau de vie et de dépense en termes de ressources dix ou cent fois supérieur aux 90% restants. Est-ce acceptable en terme d'éthique ? Est il normal que des jeunes touristes français passent leur vacances en Afrique alors que les jeunes africains n'ont ni l'argent ni le visa pour faire de même en France ? Peut on penser qu'éternellement 90% des habitants de notre planète accepteront cette situation sans se révolter un jour face 10% restants ? n'est ce pas déjà un peu ce qu'il se produit ?
    Thierry

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