19 décembre 2007

Mon dieu, protégez-nous des économistes!

Pigé?

On entend parler de nouveau de protectionnisme depuis quelque temps, depuis que la pensée critique sur la mondialisation se multiplie. Il y a une dizaine d’années encore, le simple mot de protectionnisme faisait sourire et déclenchait presque la pitié : il est maintenant brandi comme une solution, voire la solution, face à l’incompréhensible bordel au milieu duquel nous sommes en train de couler.

Remarque liminaire : ceux qui sont supposés nous éclairer sur les avantages et inconvénients de telle ou telle mesure économique, dont le protectionnisme, ne sont finalement d’aucune utilité. Parmi les économistes, il est tout aussi facile de trouver des partisans que des adversaires du protectionnisme, pour ne parler que des économistes prestigieux : Le prix Nobel Maurice Allais, dont René Jacquot évoquait le nom hier, est un protectionniste convaincu, comme Paul Samuelson, tandis que d’autres Nobel, Milton Friedman ou Freidrich von Hayek s’y opposent résolument. Il reste donc aux non économistes que nous sommes à se faire une opinion, c'est-à-dire à trouver un discours théorique suffisamment construit pour appuyer ce qu’on pensait déjà confusément, sans souci de justesse, de justice, ni d’esprit réellement scientifique…

Pas plus que les grosses têtes nobélisées, je ne suis capable de trancher quoi que ce soit dans ce débat technique. J’observe simplement qu’il est plus facile de protéger son économie quand on est puissant que quand on est faible, probablement parce qu’on est moins sensible aux mesures de riposte qui s’ensuivent généralement. Le protectionnisme est donc paradoxalement utilisé par des pays assez puissants pour se foutre de l’avis des autres, et il est pratiquement interdit aux pays faibles, que le mot protection semblait pourtant désigner en priorité. Mieux : le contexte actuel est celui d’un protectionnisme qui viserait à nous protéger, nous, pays puissants, des attaques dégueulasses des pays de crève la dalle ! Quand on écrit « protectionnisme contre la mondialisation », il faut traduire par protectionnisme contre les produits chinois, indiens ou autres, c'est-à-dire contre des produits réalisés à bas coûts, dans des conditions sociales très exotiques, dans des pays moins développés que les nôtres, et sur une échelle qui nous dépasse.

Deuxième observation : la critique de la mondialisation est une discipline occidentale qui naît et se développe au moment même où la mondialisation commence à produire des effets défavorables aux économies et aux sociétés occidentales. Quand il s’agissait de produire des usines clés en mains et de les fourguer au Maghreb, à l’Argentine ou en Extrême-Orient, la mondialisation était tout simplement formidable, comme notre savoir-faire, nos ouvriers, nos capitaines d’industrie et le drapeau tricolore. Quand le marché mondial des produits agricoles est réglé par les puissances occidentales grâce à des positions dominantes et des mécanismes d’aides qui mettent les agricultures du sud en faillite, tout le monde, ou presque, s’en accommode. Quand Bouygues va construire une université à Riyad ou un barrage sur le Yang-Tsé-Kiang, on se félicite (je me demande bien pourquoi, d’ailleurs), mais si un obscur village d’Inde se met à produire nos godasses douze fois moins cher que nous, il faut d’urgence s’en protéger !

De deux choses, l’une : soit l’économie, fût-elle mondiale, est la lutte de tous contre tous et n’est régie que par des intérêts à court terme, alors protégeons-nous comme des bêtes ; soit l’économie vise à équilibrer des échanges entre des acteurs de façon qu’ils puissent tous vivre de leur travail, et dans ce cas, posons-nous la question de savoir ce qui arrivera aux villageois indiens quand on aura fermé le marché que nous représentons pour eux.

Sur un autre plan, tout le monde a bien compris que les peuples des pays pauvres ont tendance à émigrer dans les pays riches, surtout s’ils n’ont aucun espoir de voir changer leur pays d’origine. Quand on aide une industrie à naître dans un pays d’Afrique, quand on commence à y créer des emplois et des conditions de vie acceptables, on se garantie aussi contre des vagues d’émigration de la misère. Personne, que je sache, ne conteste ce principe simple. Mais on fait pourtant comme si ces industries naissantes ne devaient pas avoir de débouchés, comme si une usine dans le sud n’avait pas vocation à exporter aussi dans le nord, et donc, comme si le développement économique du sud devait servir à reproduire éternellement les rapports de puissance existant au niveau mondial. Quand on voit comment les pays riches s’affolent face aux pauvres qui sortent la tête de l’eau, on se demande si l’aide qu’ils leur apportaient n’avait pas pour fonction principale de leur donner bonne conscience, et si ils n’avaient pas cru qu’un rapport de don (ou d’aide) pouvait se reproduire sans fin, chacun jouant le même rôle pendant que rien ne change. Quand on apprend à un enfant à faire de la bicyclette, on ne doit pas s’étonner ni trouver injuste qu’il nous mette un jour vingt minutes dans la vue sur notre parcours habituel !

La question est complexe. La mondialisation des échanges produit des traumatismes chez nous, c’est incontestable. La tentation de se protéger est légitime et logique. Par ailleurs, la mondialisation permet à des pays de se développer, et leur fermer la porte au nez aura des conséquences gigantesques chez eux, donc à terme chez nous. Certains prétendent qu’il est légitime de se protéger contre des pays qui n’ont pas de législation du travail comparable aux nôtres, ce à quoi on pourrait répondre qu’ils ne risquent pas d’avoir une super législation du travail s’ils n’ont pas, d’abord, du travail… En Europe, les Allemands sont les moins chauds pour le protectionnisme. Pourquoi ? Parce qu’ils sont sympas avec le reste du monde ? Non, parce qu’ils ont su conserver une industrie à forte valeur ajoutée qui n’est pas hyper concentrée, qu’ils ne dépendent pas uniquement de la fusée Ariane, du TGV et d’Airbus, et qu’ils savent produire mieux que les autres des machines-outils et des biens intermédiaires. Tant que les pays émergents concurrencent l’Europe sur la fabrication des T.shirts, des serviettes de table et des pantoufles, les Allemands s’en foutent. Quand ils seront dangereux sur les points forts de l’économie allemande, on reparlera de protectionnisme communautaire en Europe. Généreux, hein ?

11 commentaires:

  1. La critique de la mondialisation n'est pas l'apanage des alter occidentaux.

    La Russie, l'Amérique du Sud sont en train de se débarasser du FMI qui leur imposait des politiques ruineuses.

    Et si le cycle de Doha est bloqué, c'est en partie à cause des pays du sud qui en ont assez de servir de terrain de jeu aux multinationales.

    La mondialisation contrairement à ce que l'on nous serine en permanence n'est pas un processus gagnant/gagnant.

    Elle se paie d'un accroissement des inégalités, au nord comme au sud, et d'une paupérisation qui menace la cohésion des sociétés et ouvre la porte aux plus sinistres aventures, comme nous en avons connu dans l'entre deux guerres.


    Enfin, il ne faut pas confondre protectionnisme et refus de l'autre.

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  2. Ce que mister BEBOPER devrait regarder, à mon avis, pour prolonger sa réflexion, c'est : quelles sont les conséquences de la mondialisation dérégulée (car il pourrait y en avoir une régulée) sur la structure des sociétés, un peu partout à travers le monde ?

    Qu'il se livre à cet examen attentif des faits. C'est long, cela suppose qu'on sacrifie quelques moments de détente, qu'on renonce temporairement aux fabuleuses soirées trasho-décadentistes du cigibi et même aux conférences cigibiesque sur la haute théologie byzantine pendant la crise iconoclaste. Mais qu'il s'y livre, et il verra (je le lui garantis) : la conséquence de la mondialisation dérégulée, c'est l'instauration mécanique d'une société duale, c'est à dire l'écrasement de la classe moyenne, le nivellemenent par le bas des dominés et la constitution d'une hyperclasse quasiment intouchable.

    Reprenant alors les théories des partisans et adversaires du protectionnisme, notre valeureux cigibiens poussera la curiosité jusqu'à étudier l'origine de l'antiprotectionnisme contemporain, c'est à dire l'école de Chicago. Et cette étude devra forcément passer par la case "qui a financé cette école ?". Là, notre cigibien de choc observera que cette école fut financée justement par les gens qui, aujourd'hui, constituent le coeur de l'hyperclasse en voie de formation.

    S'intéressant aussi aux arguments des protectionnistes, notre chercheur remarquera que le protectionnisme, dans leur bouche, n'est pas l'interruption des échanges, mais leur régulation par un système de droit de douane modulables et souvent lié à la question de la neutralisation des écarts de coûts salariaux. Ce n'est donc pas le protectionnisme d'avant l'abolition du tarif Méline (est-ce l'orthographe ?...). C'est autre chose : c'est la forme concrète, possible, crédible, d'une autre mondialisation.

    Notre chercheur, renonçant même à la dernière partouze mondaine organisée par les membres les plus délurés du CiGiBi, ira même jusqu'à se demander qui a promu les groupes qui ont fait en sorte que "l'autre mondialisation" désigne non les protectionnistes modérés, raisonnables, comme Allais, mais bien les excités altermondialistes. Ceci devrait le ramener assez vite dans les parages de Chicago...

    Au terme de ce périple, notre ami BEBOPER reprendra son texte, réfléchira aux conséquences de la mondialisation non sous l'angle du niveau de consommation comparé des peuples pauvres et des peuples riches, mais sous l'angle du degré d'hétéronomie des classes sociales dans tous les pays touchés massivement par le phénomène, et là il se frappera le front, il dira : "Euréka ! je m'ai gourré.".

    Puis il publiera les photos de la partouze du CiGiBi, pour se faire pardonner et pour que la plèbe rigole un peu, à son tour.

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  3. Voilà des commentaires intelligents et drôles, bien que sérieux. Comme quoi, on peut faire les trois à la fois...
    Revenant juste d'une partouze où, comme à son habitude, Ricky Bobby tînt la place d'honneur, je n'ai eu que le temps de prendre une douche avant de répondre à ces admirables interpellations.
    J'étais bien certain, en écrivant ces quelques lignes volontairement ambigües et qui ne tranchent pas dans un débat technique qui me dépasse, d'avoir des réponses argumentées en retour.
    Corentin, si la critique des instruments de domination (ou de régulation) du libéralisme (banque mondiale, FMI, etc) n'est pas nouvelle, ni ici ni au Sud, la possibilité de recourir au protectionnisme me semble une nouveauté chez nous, et surtout, ceux qui envisagent cette solution ne sont plus automatiquement traités de ringards. C'est à partir de ça que je développais, mais je suis d'accord avec toi sur l'existence de réelles critiques du système au sud. Là où je ne te suis pas, c'est quand tu dis que la mondialisation entraîne la paupérisation des sociétés du sud. Il ne faut pas confondre aggravation des inégalités et paupérisation. Les inégalités ont explosé en Chine, ou en Russie, mais le niveau général est plus élevé aujourd'hui qu'il y a quinze ans. ça signifie que certains profitent plus de l'ouverture de l'économie que d'autres (schéma classique historique), mais que la société s'enrichit globalement(il est évident que je ne pense pas que la Chine actuelle soit un pays où il fasse bon vivre, ni que son exemple soit un modèle à suivre, j'essaye juste de ne pas être aveuglé par le problème des inégalités). 100% d'accord, en revanche, sur les ravages (ou bouleversements)non-économiques de la mondialisation sur les sociétés.
    Ceci répond en partie au perspicace Michel Drac: je souscris totalement à ton deuxième chapitre. Là où tu me surprends, c'est dans ta vision conspirationniste de la théorie économique, et surtout de sa critique. Je suis tout prêt à te croire, mais j'avoue ne pas avoir d'éléments pour faire le lien entre les altermondialistes et leurs mentors secrets ultralibéraux. Mais je suis preneur!
    Le sujet est vaste, amis commentateurs, et j'ai surtout voulu mettre en lumière ce qu'un observateur du Sud, un mec qui essaye de s'en sortir en créant sa boîte de confection, par exemple, pourrait nous dire à nous, riches pleurant sur le bon vieux temps et refusant tout à coup qu'il nous vende ses merdes.
    Quant aux photos de nos frasques, cher Drac, je te réserve un cliché montrant ce que René Jacquot est capable de faire de sale avec trois nanas et une encyclopédie Univeralis...

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  4. Salaud!!! Tu avais promis de ne pas en parler!!

    Sinon au sujet du terme "régulation", tout le monde des alters aux néolibéraux parlent de "réguler" la mondialisation (par divers instruments y compris la

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  5. concurrence), je lui préfère le terme de règlementation

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  6. Nous avons fait voir ce que c'est que la fraternité que le libre-échange fait naître entre les différentes classes d'une seule et même nation. La fraternité que le libre-échange établirait entre les différentes nations de la terre ne serait guère plus fraternelle. Désigner par le nom de fraternité universelle l'exploitation à son état cosmopolite, c'est une idée qui ne pouvait prendre origine que dans le sein de la bourgeoisie. "Tous les phénomènes destructeurs que la libre concurrence fait naître dans l'intérieur d'un pays se reproduisent dans des proportions plus gigantesques sur le marché de l'univers. Nous n'avons pas besoin de nous arrêter plus longuement aux sophismes que débitent à ce sujet les libre-échangistes, et qui valent bien les arguments de nos trois lauréats, MM. Hope, Morse et Greg."

    Marx, Discours sur Le Libre-Echange.

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  7. je confirme : Ricky Bobby tenait la place d'honneur. Ce mec a un anus surdimensionné, à défaut d'avoir une grosse bite. Malgré sa laideur, il avait une énorme cote avec les négros que le CiGBi avait conviés à la partouze. Apparemment, y'avait pas moyen de lui défoncer le cul ! incroyable. A croire qu'il se fait encule depuis ses deux semaines. Beboper a d'ailleurs longuement philosopher sur ce sujet durant la touze. On aurait dit un Yann Moix en puissance mais avec une encore plus petite queue.
    C'est vrai hein que Michel Drac est marrant. Mieux vaut que tu penses qu'il soit marrant plutôt qu'acerbe. Pauvre tanche.

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  8. Cher René, ne crains rien, les fameux clichés sont au secret, dans mon coffre, dans la banque que tu sais...
    Ton topo sur la fraternité est incontournable, comme on disait dans les 90's. Il est bien évident qu'une théorie qui repose sur l'équilibre naturel des égoïsmes personnels ne peut prétendre en même temps oeuvrer pour la fraternité. Je pousse le bouchon un peu plus loin: la fraternité, volet capital de notre triptyque, est à considérer comme un moyen, non comme un but. C'est, à mon sens, le moyen qui permet d'atteindre les deux objectifs de la république, la liberté et l'égalité, deux notions antinomiques qui ne peuvent tenir que grâce à la fraternité, ou pour être précis, aux mécanismes mis en place pour la favoriser (car la fraternité n'est pas une grâce tombée du ciel, ni une vertu qu'on décrète). Ce qu'on nomme aujourd'hui régulation (ou règlementation), un homme du XVIIIème siècle l'aurait appelé fraternité... c'est à dire des mécanismes évitant que la liberté en l'emporte trop sur l'égalité.
    A partir de là, si l'extrait de tonton Karl est très exact, si les mécanismes destructeurs induis par le libre-échange se reproduisent partout ou le libre-échange s'applique, il faudrait en conclure que les mécanismes positifs s'y appliquent aussi. La question à trancher est donc peut-être celle-ci: vit-on mieux aujourd'hui dans les sociétés occidentales qu'en 1830 ?

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  9. Bon alors? On bute qui?

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  10. vos échanges sont vraiment grottesques... Vous avez vraiment la grosse tête. Mais je me demande bien comment cela a pu arriver... Vous assénez vos vérités sans aucun recul et après vous vous sucez les uns les autres... Vous offrez vraiment un triste spectacle.

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  11. "Vous assénez vos vérités sans aucun recul et après vous vous sucez les uns les autres..."

    Quand j'ai parlé de photos de partouze, je n'osais pas espérer des détails si croustillants.

    "Vit-on mieux aujourd'hui dans les sociétés occidentales qu'en 1830 ?"

    Les 4 vraies questions serait plutôt :
    - pourrait-on vivre encore mieux ?
    - va-t-on continuer longtemps à vivre de moins en moins bien ? (ce qui est le cas depuis quelques décennies, objectivement, pour une bonne partie de la population)
    - qui commande ici ? (le peuple ou les détenteurs du capital)
    - y aura-t-il encore une terre après le néolibéralisme ?

    Mais bon, comme j'ai eu les photos de la partouze, je veux bien m'arrêter là. L'essentiel est acquis.

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