24 décembre 2007

Fatwa contre Bourgois et Gracq: c'est fait.

Julien Gracq : "Enfin peinard!"

La mort de Christian Bourgois et de Julien Gracq, deux acteurs de premier plan de la littérature française, ne doit pas faire penser qu’il « arrive » quelque chose, en France, à la littérature : ça fait cinquante ans qu’il ne s’y passe plus grand-chose. Non pas que nous manquions d’écrivains, on en compte probablement plus aujourd’hui, des deux sexes, que du temps d’Hugo, de Chateaubriand, de Stendhal et de Baudelaire et chaque amuseur public, devenu sérieux pour parler de son cœur gros comme ça, nous rappelle à intervalles régulier et sur toutes les chaînes qu’il est dans la lignée d’untel, qu’il renouvelle tel ou tel genre ou, bien plus souvent, qu’il a une plume acérée et anticonformiste… Non, la France est manifestement remplie d’écrivains, autant ou presque que de cinéastes, mais on continue à devoir se donner beaucoup de peine pour y trouver un grand livre ou un grand film. Intelligents comme le sont nos écrivains, et riches d’un passé formidable, ils continuent de revendiquer l’excellence au temps de Paul Auster, de T.C. Boyle, d’Hubert Selby Jr, de Philip Roth, de Philip K. Dick, de William Burroughs et de Bukowski, tandis que nos cinéastres font comme si Paul Thomas Anderson, Sam Mendes, Spike Jonze, Larry Clark, les frères Coen, pour ne parler que Yankees, ne contribuaient pas, en plaçant le niveau à une certaine hauteur, à les faire tendre par comparaison vers le zéro absolu.

En 1949, Gracq publie « La littérature à l’estomac », un pamphlet dirigé contre l’édition, la vie littéraire française, et, en filigrane, ce con de Sartre. Il débute ainsi : »La France, qui s’est si longtemps méfié du billet de banque, est en littérature le pays d’élection des valeurs fiduciaires. Le Français, qui se figure malaisément ses leaders politiques sous un autre aspect que la rangée de têtes d’un jeu de massacre, croit les yeux fermés, sur parole, à ses grands écrivains. Il les a peu lus. Mais on lui a dit qu’ils étaient tels, on le lui a enseigné à l’école : il a décidé une fois pour toutes d’aller satisfaire ailleurs ses malignes curiosités. Lisant peu, il sait pourtant que son pays, de fondation, est grand par les ouvrages de l’esprit. Il sait qu’il a toujours eu de grands écrivains, et qu’il en aura toujours, comme il savait jusqu’à 1940 que l’armée française est invincible. » On en est toujours à ce sommeil-là aujourd’hui.

Gracq fut original à bien des égards. Il n’en faisait vraiment qu’à sa tête, pas seulement quand il refusait le prix Goncourt, ni quand il déclinait les invitations de Mitterrand, ni quand il se retirait totalement, et avant même l’introduction de la télé en France, de la vie médiatique, mais aussi quand il continuait, malgré tout, à rendre hommage à Breton et aux productions du surréalisme. Qu’une sincère admiration pour le projet surréaliste et l’ami ( ?) que fut Breton l’ait poussé à une fidélité très longue, on le conçoit. Mais avec le recul, et en jugeant ce qui reste des œuvres produites en littérature, on a quand même beaucoup de mal à comprendre la postérité du surréalisme et son relatif prestige.

Le surréalisme est peut-être un lien qui rapproche Gracq et Christian Bourgois, par l’intermédiaire de William Burroughs, édité en France très tôt par Bourgois. Quand il mettait en place ses techniques de cut-up avec Brion Gysin, entre Tanger et Paris, Burroughs donnait au surréalisme une santé et une ampleur qu’il n’avait jamais eues littérairement. Se foutant parfaitement des écoles, celui qui considérait que la littérature avait alors "cinquante ans de retard sur la peinture" n’aurait probablement pas supporté plus d’un quart d’heure un type comme André Breton. Mais, bien qu’il s’agisse aussi d’une forme d’impasse, ses textes cut-up (dont Tristan Tzara avait eu la prémonition) ont immédiatement atteint et dépassé tout ce que l’écriture automatique avait toujours tenté de faire. Donner à l’inconscient une forme littéraire, idée française, fut réalisée en France, mais par un Ricain pur beurre qui, chose faite, passa ensuite à bien autre chose. Il n’y a plus que quelques franchouillards pour continuer, (esprit de résistance dans le vide bien de chez nous) avec un siècle de retard, à trouver l’idée intéressante, à l’image des peintres de la place du Tertre.

Burroughs, Gysin


Signe des temps, on entend partout que Bourgois fut l’éditeur des Versets Sataniques, de Rushdie, on n’entend même que ça. Il avoua lui-même avoir fait ce geste dangereux sans savoir précisément ce que valait l’œuvre menacée, ni la teneur réelle des menaces (« je ne savais même pas à l’époque ce que signifiait le mot fatwa »). En tout état de cause, à l’heure de sa mort, les médias mettent en avant cet épisode, c'est-à-dire un thriller, pour rappeler au grand public (tout le monde en a entendu parler) qu’il a frissonné devant le danger fascisto-chiite. On favorise encore un moment qui n’est certes pas rien, qui a sans doute valeur de symbole, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec la littérature, et on passe très vite sur le reste du catalogue, et ce qu’il signifie : Burroughs, Ginsberg, Brautigan, Fante, Pessoa, Gadda, Jünger, etc, des auteurs qui ont vécu des dangers bien aussi réels que Rushdie, tous seuls, sans le concours de brutes barbues et sans gardes du corps.

3 commentaires:

  1. excellent billet, vraiment excellent.

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  2. Bon jugement sur le surréalisme : 70 après y reste quoi? Breton est illisible, rien à sauver, passé de mode, sa littérature sent la chambre de vieille fille, ses jugements définitifs, ses diktats sont puérils, ridicules.

    Entendez cette idole pourrie pontifier sur des mômeries au cours des entretien avec André Fraigneau.

    Mais le pire du surréalisme c'est encore ses descendants : marchands de pubs, journaleux, révoltés de salon. On peut dire que cette saloperie littéraire nous aura bien pourri la vie tout court.

    Merde à Breton et vive Barrès.

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  3. Le reportage tv fr3 sur Garcq, de env 3mn, ne parlait QUE de son refus du Goncourt et de sa vie en retrait du monde littéraire, genre "esprit rebelle", pas UN MOT sur sa littérature, etc.. Pour les médias, il n'y a que la vie médiatique qui existe.

    NB : je crois que jean Clair a écrit quelque chose sur le mouvement surréaliste. Quelque chose de critique. Ca, le mouvement Dada et Sartre, ça préfigurait pas mal de choses, surtout l'illégitimité, l'arrivisme à coup d'étiquettes "rebelle (de salon)"..

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