6 septembre 2007

Jean-Claude Michéa et Emmanuel Todd sont dans un bateau



Il n'a pas échappé au lecteur averti du CGBi que nous accordions une attention particulière aux travaux d'Emmannuel Todd et de Jean-Claude Michéa.

Le rendez-vous des civilisations (Le Seuil) d'Emmanuel Todd qui sort aujourd'hui fait déjà l'objet de mauvaises critiques par les bonhommes de neige de chez Pivot... et par des historiens partiaux.

Jean-Claude Michéa et son Empire du moindre mal (Climats) ont plus de chance....puisque ses amis de la Fondation du 2 mars ont pris les choses en main...curieusement dans l'Immonde.





JEAN-CLAUDE MICHEA: LES DILEMMES DU LIBERALISME


Même s'il peut paraître aller dans le sens de l'opinion dominante en France, assez largement antilibérale, le livre de Jean-Claude Michéa représente un point de vue tout à fait original, qui a toutes les chances d'agacer, à gauche comme à droite.

Michéa se veut "socialiste" mais il doit fort peu à Marx et il n'a aucune nostalgie de la vieille politique progressiste ; en fait, il ne se veut même pas "de gauche", car il tient le clivage entre gauche et droite pour une dualité interne à la pensée libérale. Il se réclame de la tradition anarchiste, mais il est très éloigné des courants libertaires contemporains, qui sont pour lui le supplément d'âme de la modernité libérale ; il se veut comme Orwell "anarchiste tory", ce qui est une manière de revendiquer une identité "conservatrice" dans un pays où le conservatisme est l'ennemi privilégié de la droite comme de la gauche. Pis encore, il confesse sans état d'âme son "populisme", au risque de décourager les meilleures volontés libérales et-ou progressistes.



La thèse de Michéa peut être résumée de la manière suivante : le libéralisme n'est pas un courant particulier de la politique moderne, qui pourrait lui-même être subdivisé en courants divers, dont le libéralisme économique ne serait qu'une composante particulière : il y a au contraire une unité fondamentale du libéralisme, qui est au coeur de la modernité, et qui trouve finalement son "centre de gravité" dans l'expansion universelle de l'économie de marché et dans la croissance indéfinie de la production matérielle ; dans ce cadre, les revendications libertaires, qu'elles soient dirigées contre la morale traditionnelle ou contre les restes de l'Etat-nation, sont la pointe avancée de la modernisation et de la mondialisation : le libéralisme culturel est le supplément d'âme ou le complément naturel du libéralisme économique.

Le charme du livre vient d'abord de la grande élégance de la démonstration, qui s'appuie sur une vraie familiarité avec les grands penseurs libéraux. Après d'autres, Michéa montre que la logique libérale naît en fait avec la politique moderne elle-même, et singulièrement avec les guerres de religion, qui discréditent durablement l'idée que la politique aurait pour fonction d'instaurer le règne du Bien : l'Etat moderne devra s'émanciper de la religion pour se faire le protecteur des droits des individus, et le marché apparaîtra progressivement comme le cadre le mieux adapté à la pacification des relations entre les hommes.

De là, d'abord, la solidarité profonde liant le droit moderne - qui organise la coexistence des libertés sans prétendre créer les conditions de la vie bonne - à une anthropologie soi-disant réaliste mais en fait assez irréelle. Une telle anthropologie prétend dévoiler les ressorts cachés et inavouables de toute action plutôt que de se fier aux dispositions généreuses, ou altruistes, de l'humanité.

"HOMME NOUVEAU"
De là, ensuite, la force, dans la pensée moderne, de ce qu'on pourrait appeler un scepticisme dogmatique, qui au nom de la liberté et de l'égalité, refuse toute hiérarchie entre les fins que poursuivent les hommes. Or, cet égalitarisme sceptique, que Hobbes plaçait au fondement de l'Etat absolutiste, trouvera par la suite deux traductions, sociale et politique, sans doute plus adaptées à ses fins.

La première de ces traductions est l'économie de marché : on verra volontiers celle-ci comme le lieu d'un équilibre "mécanique" entre les volontés individuelles. Cet équilibre suppose aussi la dynamique indéfinie de la croissance pour tenter de satisfaire la soif d'acquisition que met en mouvement la généralisation de l'échange marchand.

La deuxième traduction de cette conception sceptique de la liberté et de l'égalité est sans doute la démocratie elle-même, contre laquelle Michéa ne craint pas de reprendre certaines des critiques de Platon. Selon l'auteur, le Grec aurait déjà reconnu, dans l'Athènes démocratique, impérialiste et commerçante, "certaines conséquences humaines du désir illimité d'accumuler des richesses et de la poursuite de l'intérêt égoïste" : on peut discuter cette critique, mais on doit reconnaître la justesse de l'idée qui fait du scepticisme le fondement de la démocratie - c'était la thèse, par exemple, du grand juriste positiviste Kelsen.

La période que nous vivons serait en quelque sorte l'aboutissement ultime de la logique libérale avec, d'un côté, l'extension de la sphère marchande et, de l'autre, la multiplication des conflits nés du relativisme moral moderne. Ces luttes se traduisent finalement par de nouvelles contraintes, visant à la création d'un "homme nouveau" toujours plus vigilant contre les conformismes passés et toujours plus conforme aux normes de la société nouvelle.

Le tableau que donne Michéa de cet Empire du moindre mal qui finit par ressembler au meilleur des mondes est souvent juste et parfois saisissant, parce qu'il est servi par un style alerte, qui tempère l'indignation par une ironie pleine de charme. On peut cependant lui adresser deux objections. Il est possible, en premier lieu, qu'il y ait une part d'illusion rétrospective dans l'idée d'une nécessité de l'évolution du libéralisme politique vers le pur et simple règne du marché ; on aurait pu tout aussi bien, il y a quelques dizaines d'années, prophétiser l'autodestruction de l'économie de marché en montrant que celle-ci avait fait naître une demande illimitée de protection des droits qui se traduisait par le progrès régulier de l'Etat-providence.

On peut aussi estimer que les thèses fondamentales du libéralisme (les droits, la limitation du pouvoir, la distinction de la société et de l'Etat) peuvent être articulées de différentes manières, dont certaines pourraient faire droit aux préoccupations d'un conservateur socialiste comme Michéa. Le philosophe polonais Lezsek Kolakowski a tenté jadis de montrer comment on pouvait être "socialiste-conservateur-libéral" : c'est peut-être là un oxymore, mais sans doute pas plus qu'"anarchiste tory".

L'EMPIRE DU MOINDRE MAL. ESSAI SUR LA CIVILISATION LIBÉRALE de Jean-Claude Michéa. Climats, 224 p., 19 €.

En librairie le 10 septembre.


4 commentaires:

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  3. Ce site tourne en rond et est tellement nombriliste que son administrateur/censeur joue de la suppression de commentaire.
    Bel exemple de puante autosatisfaction et d'égarement hystérique.
    Branleurs.

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  4. Gabriel Fouquet, est-ce que tu aimes quand Ricky Bobby se frotte à ta jambe ?

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