13 juin 2007

Eloge funèbre

Un dimanche électoral comme un autre


Qui expliqua mieux que le grand Léon la tentation du nihilisme, laquelle ne peut qu'étreindre tout coeur épris de Justice lorsque triomphe avec le total assentiment de la foule, comme en ces jours obscurs, la plus idiote des tartufferies? Jugez plutôt (pour rendre ta lecture plus agréable - j'allais dire divertissante! - et te permettre de déguster tout ton saoul la prose bloyenne, je t'offre de bon coeur, ami e-lecteur, une mélopée adéquate).




"Tant que ces choses seront vues sous la coupole des impassibles constellations, et racontées avec attendrissement par la gueusaille des journaux, il y aura, - en dépit de tous les bavardages ressassés et de toutes les exhortations salopes, - une gifle absolue sur la face de la Justice, et, - dans les âmes dépossédées de l'espérance d'une vie future, - un besoin toujours grandissant d'écrabouiller le genre humain.
- Ah! Vous enseignez qu'on est sur la terre pour s'amuser. Eh bien! nous allons nous amuser, nous autres, les crevants de faim et les porte-loques. Vous ne regardez jamais ceux qui pleurent et ne pensez qu'à vous divertir. Mais ceux qui pleurent, en vous regardant, depuis des milliers d'années, vont enfin se divertir à leur tour et, - puisque la Justice est décidément absente, - ils vont, du moins, en inaugurer le simulacre, en vous faisant servir à leurs divertissements.

Puisque nous sommes des criminels et des damnés, nous allons nous promouvoir nous-mêmes à la dignité de parfaits démons, pour vous exterminer ineffablement.
Désormais, il n'y aura plus de prières marmonnées au coin des rues, par des grelotteux affamés, sur votre passage. Il n'y aura plus de revendications ni de récriminations amères. C'est fini, tout cela. Nous allons devenir silencieux...
Vous garderez l'argent, le pain, le vin, les arbres et les fleurs. Vous garderez toutes les joies de la vie et l'inaltérable sérénité de vos consciences. Nous ne réclamerons plus rien, nous ne désirerons plus rien de toutes ces choses que nous avons désirées et réclamées en vain, pendant tant de siècles. Notre désespoir complet promulgue, dès maintenant, contre nous-mêmes, la définitive prescription qui vous les adjuge.

L.B., Cerbère du Royaume céleste


Seulement, défiez-vous!... Nous gardons le feu, en vous suppliant de n'être pas trop surpris d'une fricassée prochaine. Vos palais et vos hôtels flamberont très bien quand il nous plaira, car nous avons attentivement écouté les leçons de vos professeurs de chimie et nous avons inventé de petits engins qui vous émerveilleront.
Quant à vos personnes, elles s'arrangeront pour acclimater leur dernier soupir sous la semelle sans talon de nos savates éculées, à quelques centaines de pas de vos intestins fumants; et nous trouverons, peut-être, un assez grand nombre de cochons ou de chiens errants, pour consoler d'un peu d'amour vos chastes compagnes et les vierges très innocentes que vous avez engendrées de vos reins précieux...

Après cela, si l'existence de Dieu n'est pas la parfaite blague que l'exemple de vos vertus nous prédispose à conjecturer, qu'il nous extermine à son tour, qu'il nous damne sans remède, et que tout finisse! L'enfer ne sera pas, sans doute, plus atroce que la vie que vous nous avez faite."
Léon Bloy, Le Désespéré (1886)

En moins de deux mois, la démocratie vient de prouver magistralement et, espérons-le, définitivement sa complète abjection et sa foncière inutilité à servir le peuple. Cette vaste fumisterie politique dont s'enorgueillit benoîtement l'Occident ne peut qu'être au service des plus obséquieux, rusés et retors parmi nos médiocres hommes d'état, comme il fut déjà mille fois prouvé. Grâce soit rendue aux organes de propagande presse, chantres de la bonne parole, le peuple fait où on lui dit de faire, bien dans l'urne, avec des selles à la couleur prédéterminée, choix que chaque électeur, bon bougre, exécute scrupuleusement! Il est grand temps que cesse ce régime de molle tyrannie où le pouvoir est remis à quelqu'un par défaut, faute de mieux! Vite, un dictateur pour ce pays de décérébrés! La démocratie est morte, vive la démocratie!

5 commentaires:

  1. Un dictateur je ne sais pas, par contre j'ai de plus en plus envie de petit matin pour reprendre l'expression de Drieu.

    Sinon Tool c'est sympa, je connais pas très bien en fait. Ca me parait bien touffu un peu comme Bloy d'ailleurs.

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  2. même avis que ci dessus...


    "Après le Grand Soir, il y aura le petit matin.
    Et nous qui ne sommes ni bourgeois, ni conservateurs,
    ni réactionnaires, ni démocrates-chrétiens ni maçons
    et qui sommes capables, nous aussi, de manier les mitraillettes,
    nous nous intéressons à ce petit matin. "


    drieu la rochelle

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  3. Le style de Bloy est souvent considéré comme ampoulé, touffu, etc, par des gens qui, peut-être, n'en voient pas la force comique. Quand Bloy veut être vrai (La femme pauvre), il ne prête JAMAIS à rire. dans l'extrait savoureux d'aujourd'hui, il nous fait justement ressentir, par le comique de ses formules, la joie extrême qu'il doit y avoir à dribler avec des têtes d'énarques sous l'oeil connaisseur de la foule, tandis que les chiens et les cochons, etc.
    Un rapprochement qui n'a peut-être jamais été fait, qui peut surprendre mais que je propose aujourd'hui : Bloy et William Burroughs. Burroughs, autre prophète de l'apocalypse, autre styliste funambule, autre comique ultra puissant...

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  4. Tout à fait d'accord, Théodore, et pour se convaincre de l'humour féroce de Bloy, il n'y a qu'à lire Léon Bloy devant les cochons, la crème du pamphlet! L'exegèse des lieux communs est aussi très instructive là-dessus... Humour du désespoir, grinçant, grand guignolesque! Ce n'est pas pour rien qu'il fut l'un des premiers à saluer comme il se devait le génie des Chants de Maldoror, ce bijou de drôlerie.

    Faudra que je me mette à Burroughs , que je ne connaît pas du tout, pour pouvoir apprécier la comparaison. Les mises en parallèle les plus cocasses peuvent parfois s'avérer très justes.

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  5. Si je me souviens bien, les "Histoires désobligeantes" sont une suite de nouvelles (j'ai prêté l'exemplaire à une ordure inconnue qui ne me l'a jamais rendu !)qui m'ont valu l'opprobre d'un ancien voisin qui m'a demandé un jour d'arrêter de faire du bruit "toute la nuit" ! J'avais lu ce livre en hurlant littéralement de rire et ce con avait cru qu'on s'en était payé une tranche, ma copine et moi... Ha, Bloy, c'est presque dommage de l'avoir lu, je ne pourrai plus le découvrir.
    Pour Burroughs, petit veinard qui peut encore le découvrir, attention, c'est du solide, ça demande de la préparation, on peut être déçu selon la période qu'on attaque. Je conseille "Les terres occidentales" pour commencer et en prendre plein la gueule, mais, hein, c'que j'en dis...
    Burroughs a beaucoup bossé sur le contrôle social, thème qui complète bien ce que Bloy ne pouvait encore prévoir. Oui oui.

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