24 février 2007

Le dernier Napoléon

Le prince impérial Eugène Louis Bonaparte fut le fils unique de Napoléon III et de l’impératrice Eugénie. Après le désastre de Sedan et la mort de son père il porta sur ses épaules tout l’espoir d’un éventuel renouveau bonapartiste. Espoir éphémère car il fut le seul membre de l’illustre famille à tomber au champ d’honneur. Ironie de l’histoire, il le fit sous l’uniforme de sa gracieuse majesté, la Reine Victoria, le 1er juin 1879, à l’autre bout du monde, au Zoulouland.


Peu de bébés ont apportés plus d’espoir que le petit Louis lorsqu’il vit le jour ce 16 mars 1856. Espoir d’une dynastie, les Bonaparte, qui voyait se consolider la lignée. Mais également espoir d’une nation qui considérait le second empire comme un rempart infranchissable à une future restauration des Bourbons.

Depuis la 2ème capitulation de Napoléon 1er, la France avait souffert de 15 ans de restauration puis, après une première révolution nationale, de 18 années de règne du roi des Français Louis Philippe. Le soulèvement européen de 1848 avait restauré une seconde république en France dont le 1er président fut Louis Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur. Trois ans après ce fut le coup d’état et le rétablissement du second empire. Cinq ans plus tard, la France s’était fait au nouveau régime alors que naissait le prince Napoléon Louis Eugène Bonaparte, garant d’une continuité impériale et nationale.

Toute l’Europe monarchique fut en premier lieu bien inquiète de voir remonter sur le trône de France la descendance indirecte de l’ogre corse mais très vite elle se rendit compte que le neveu n’était pas belliqueux (quoi qu’on en dise, l’oncle non plus ne l’aurait pas été si on ne lui avait pas déclaré la guerre presque tous les ans de son règne). Et puis Napoléon III porta secours à l’Angleterre lors du conflit contre les Russes durant de la guerre de Crimée en 1854. Plus jamais la France et l’Angleterre ne devaient se faire la guerre et le second empire français devenait « fréquentable ».
Eugénie et Louis


Un an avant la guerre de Crimée Napoléon III épousa par amour Eugénie de Montijo, la fille d’un duc espagnol sans le sou. Puis, en 1856, naquit le prince impérial. Loulou, comme on l’appelle dans l’intimité, est parti pour quatorze années de bonheur doré sur tranche. Doté d’une nourrice anglaise, miss Jane Shaw, surveillé par un pédiatre, le docteur Barthez, il joue comme un fils d’ouvrier avec les enfants des familiers de ses parents. Trop gâté par son père, sa mère, en contre partie, lui prodigue une éducation stricte.

Très jeune, il est de toutes les manifestations du règne. Fait chevalier de la légion d’honneur six heures après sa naissance, il fut enrôlé dans les grenadiers de la garde quelques jours plus tard. A 4 ans, il était avec sa mère à Notre-Dame de Paris pour célébrer le Te Deum en l’honneur de la campagne d’Italie de 1859 (où la France s’allia aux Italiens contre l’Empire d’Autriche). A 6 ans, on lui attribua le grade de caporal des grenadiers de la garde. La France l’adore et malgré la police politique, la répression et la censure, les portraits de la famille impériale sont accrochés aux murs de toutes les chaumières ouvrières du pays.

La famille Bonaparte


Le petit Loulou, bien que sur un nuage, fera l’expérience de l’opposition au régime de son père, incarné dans son exil des îles anglo-normandes par le grand Victor Hugo, à l’âge de 12 ans. En effet, en 1868, le prince est invité à la remise des prix du concours général de la Sorbonne. L’un des lauréats est le fils du général Eugène Cavaignac, un adversaire de l’Empire depuis son échec aux élections de 1848. Lorsqu’on l’appelle, le jeune homme reste assis et ignore son prix sous les applaudissements de l’amphithéâtre. Le jeune prince comprend pour la première fois de sa vie que tous les Français n’aime pas son père. La même année, il sera fêté par la Corse toute entière pour le centenaire de la naissance de son grand oncle.

Médaille du prince impérial


Après le désastre mexicain, Napoléon III, désirant redorer son blason en Europe, déclare la guerre en Juillet 1870 à la menaçante confédération des Etats Allemands menée par la Prusse de Bismarck. Le jeune prince, âgé de 14 ans, accompagne son père au front, entre Metz et Saarbrücken, sous l’uniforme de sous-lieutenant des grenadiers de la garde. L’armée française, composée de conscrits, est tellement certaine de sa victoire que les officiers n’ont que des cartes de l’Allemagne, aucune de l’Alsace. Dommage car ils ne passeront jamais le Rhin.

L’armée prussienne, elle, ne compte dans ses rangs que des professionnels. De plus, tous les soldats du kaiser sont vaccinés contre la variole (maladie responsable de 23.000 morts dans l’armée française cette année) et autres saloperies. On connaît la suite.
Sedan est un désastre militaire, puis politique pour Napoléon III qui, comme son oncle à Waterloo, tentera en vain de se faire tuer sur le champ de bataille.

Pendant que sa mère fuyait Paris sous un déguisement et que déjà, les communards juraient de défendre la capitale coûte que coûte, le jeune prince, sous escorte, rejoignait la Belgique où, à Ostende, il embarqua pour l’Angleterre. Il retrouva sa mère à Chislehurst, dans le Kent, puis son père, lorsqu’il fut libéré en 1871. La reine Victoria (qui adorait Napoléon III, sentiment plus que réciproque) et le prince de Galles leur firent le meilleur accueil mais en Angleterre, nombreux étaient ceux qui continuaient à honnir le nom de famille de l’ogre corse. Le trio impérial embarrassait plus qu’un peu la perfide Albion.

Loulou rejoignit le King’s College, dans le Strand où il ne fut pas long à s’ennuyer à mourir. Suivant la tradition familiale, il opta pour la carrière militaire et grâce à sa mère, entra en novembre 1872 à l’académie militaire royale de Woolwich, au sud de Londres.
Là, son anglais plus que médiocre lui valut bon nombre de moqueries. De plus, lorsque ses professeurs abordaient l’étude de la bataille de Waterloo du point de vue anglais, il se mettait dans une folle colère. Néanmoins, il était heureux à Woolwich, du moins jusqu’à ce jour de janvier 1873 où on vint lui apprendre le décès de son père.

4000 Français traversèrent la Manche pour rendre un dernier hommage à leur empereur à l’église de la Vierge Marie de Chislehurst. A 17 ans, Louis devenait l’héritier du bonapartisme et nombreux furent ceux qui l’enjoignirent de retourner en France pour faire tomber la 3ème république. Mais il déclina l’offre, préférant attendre sa majorité pour que le peuple français l’appelle par un plébiscite. Comme son père, il veut être élu légalement mais contrairement à lui, il ne veut plus de coup d’état. Aussi retourna-t-il à ses études au grand soulagement de la république française, dont le présidant, Adolphe Thiers, avait encore du mal a essuyer ses mains du sang de la commune sur le torchon de la nouvelle constitution.

Louis reçut son diplôme d’officier en 1875 à la septième place sur 37 cadets (1er en escrime et équitation). Trente trois de ses camarades entrèrent dans l’armée britannique mais Loulou devait se contenter d’un grade de lieutenant honoraire dans l’artillerie royale. Le premier ministre Benjamin D’Israeli ne voulant pas d’un Bonaparte dans son armée.
En France, toute la presse républicaine se moquait bien de lui en l’appelant Napoléon trois et demi ou le Bébé Impérial. Lui, n’en prit cure et, lorsqu’il fut en âge, demanda à faire son service militaire en France. Demande ignorée plus que rejetée.
Louis sous l'uniforme anglais


En Angleterre cependant, il devint populaire, encore plus lorsqu’il commença une chaste liaison avec la plus jeune fille de la reine Victoria, la princesse Béatrice.
Mais en bon Bonaparte il savait qu’il devait conquérir son trône par les armes. L’Angleterre ne voulant pas de lui, il demanda à servir dans l’armée austro-hongroise de François-Joseph. Lettre morte. Il tourne en Europe, surtout du Nord, où il croise des cousins plus ou moins éloignés, comme le prince Joachim Murat qui lui donne un sabre ayant appartenu à son grand-père, le Roi de Naples.

Et puis le 11 février 1879 on apprit à Londres que 1.329 soldats britanniques avaient été massacrés en Afrique du Sud par les Zoulous. 55 officiers supérieurs y perdirent la vie. Encore plus qu’à Waterloo.

Le dernier carré d'Isandwana


Tout le royaume demanda vengeance. Louis accrocha donc son petit wagon au train du patriotisme anglais. Bien que D’Israeli ne voulait toujours pas de lui, la reine, qui l’adorait, fit pression pour qu’il s’embarque avec ses troupes. Cependant, en sous-main, les ordres étaient stricts. Il ne devait rien arriver au prince impérial. Sur sa feuille de route, il ne devait être que spectateur du conflit. En France le parti bonapartiste était outré de voir l’héritier du grand Napoléon risquer sa tête pour des Anglais qui avaient enchaîné son grand oncle comme Prométhée à Sainte-Hélène. De même, les républicains français avaient peur d’une récupération du symbole impérial par l’Angleterre à leur encontre.

Tout cela, Louis s’en moque. Il s’embarque à Southampton le 28 février 1879 pour l’Afrique du Sud. Son navire, le Danude, atteint Cape Town le 26 mars puis se rend à d’Urban où il est pris de fièvre. Une fois remis, il est affecté à l’état-major de lord Chelmsford, le commandant en chef. Il retrouve deux de ses camarades de Woolwich, les lieutenants Arthur Bigge et Frederick Slade, qui l’enivrent de leurs récits de batailles (ils ont tous deux combattus à la bataille de Khambula le 29 mars). Louis trouve, parmi les cavaliers irréguliers, beaucoup d’anciens communards partis en Afrique pour se refaire une vie. Le monde est petit.

Portant l’uniforme des officiers artilleurs, Louis est muté au service des cartes. Il fait de temps à autres de la reconnaissance mais est toujours lourdement chaperonné. Victoria ne veut surtout pas qu’il lui arrive quoi que ce soit. Cependant, le jeune homme de 23 ans a le diable au corps et ne cesse de demander de l’action.

Le 1er juin 1879 on lui permet d’aller vérifier ses cartes sur le terrain enfin de trouver l’emplacement du prochain campement de la garnison. Il est accompagné du lieutenant Carey, avec qui il s’était lié, de six autres cavaliers et d’un guide zoulou. En milieu d’après midi la petite bande s’arrête près d’un village de natifs pour se reposer et boire le café. Louis et Carey discutent de la première campagne d’Italie de Napoléon 1er. Puis le guide vint leur dire qu’il vient de voir un guerrier zoulou. Louis ordonne à ses hommes d’aller quérir leur monture pour se mettre en selle. Puis une volée de balles tombe sur eux avant une meute de guerriers sortit de nulle part.

La mort du prince


Les Anglais déjà en selle galopent vers la rivière. Louis saute sur sa selle mais, le pied à l’étrier, la sangle de cette dernière se brise et son cheval part au loin alors que lui se retrouve sur les fesses. Nicolas Le Tocq, un cavalier de Guernesey, essaye de le prendre en groupe mais n’y parvient pas. Lorsque les Anglais regardent derrière eux ils voient le prince poursuivi par sept guerriers zoulous. Après avoir cavalé 300 mètres, Louis se retourne pour affronter son destin. Le pistolet à la main, il tire ses six cartouches dans le tas. Un guerrier jette sa sagaie et elle le touche à la cuisse. Tombant sur un genou il dégaine son épée, cette même épée que portait Napoléon à la bataille d’Austerlitz. Un autre guerrier jette sa lance qui se plante dans l’épaule gauche du prince. Loulou tombe à genou et l’épée à la main, est rejoint par les Zoulous qui lui donnent quinze autres coups de lance dans le torse.

Les Anglais qui s’enfuient au galop ne virent pas les guerriers noirs exécuter autour du corps du dernier Napoléon leur danse des braves. C’est ainsi qu’ils rendent hommage, selon leur coutume ancestrale, à ce jeune guerrier blanc qui a eu le courage de se retourner pour prendre sa mort de face.

Collage montrant les officiels aux obsèques de Louis

Ainsi expira le dernier Napoléon, à 23 ans, l’épée d’Austerlitz à la main.
Son corps repose toujours, avec ses parents, au mausolée de Chislehurst, dans le Kent.
Tous les ans, le 1er Juin, les guerriers Zoulous célèbrent encore par une danse, la fin de ce jeune brave qui a su regarder sa mort dans les yeux.

4 commentaires:

  1. Reste un arrière petit neuveu, Charles Napoléon, Marié à Béatrice de Bourbon qui après avoir été adjoint au maire socialiste d'ajaccio est candidat UDF à la députation de Fontainebleau. Ca ne s'invente pas.

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  2. Oui j'ai entendu ça. C'est le fils de Louis Bonaparte mort en 1997 et qui s'engagea sous un faux nom dans la légion en 1939 puis dans la résistance. Il a même été arrêté par les Allemands et fut gravement blessé en 1944. De Gaulle l'a fait chevalier de la légion d'honneur et l'a autorisé à rester en France (les Bonaparte n'avaient plus droit de séjour depuis 1870). Il a désigné sous petit Jean-Christophe (et non son fils aîné Charles) comme nouveau prétendant bonapartiste au trône de France.

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  3. je demande la repentance des zoulous !

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  4. vous avez vachement de points communs capilaires quand même avec Eugène Louis Bonaparte mon cher Atlantis...

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